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Sahel : topographie d'un pays dans une jeep

par Kamel Daoud

Qu'est-ce qu'un Sahelistan ? C'est de mode : un pays vague, flou, aux frontières mobiles selon les pick-up, avec une chaine TV (Youtube), une monnaie connue (les touristes capturés), une activité industrielle consacrée (enlever, décapiter, négocier ou revendre, puis prier et crier). Ceci pour les territoires ruraux du Sahelistan. Pour les zones urbaines, l'activité c'est attraper, fouetter, lapider, décapiter aussi mais aussi détruire les mausolées, les signes ostentatoires de l'humanité, les corps, les femmes, les manuscrits, les différences.

L'Histoire du Sahelistan est tout aussi floue : on ne sait pas si la fondation de ce pays est à dater du 11 septembre US, de l'invasion de l'Afghanistan, de la naissance des Al Saoud ou de Ben Laden, du tournage du film Errissala ou des premiers temps imaginaires de l'Islam. Le Sahelistan peut aussi être revendiqué comme le dernier acte de Kadhafi ou le premier acte de Hollande. On verra par la suite.

Pour la géographie, c'est plus simple : c'est un pays fait de dunes et de jeeps. Nivelé, déboisé, purifié et transportable dans un 4x4. Le Sahelistan déteste les mausolées, n'a pas de routes goudronnées, de ponts, de plaques d'indication, de places publiques ou d'autres artefacts des âges modernes. On y tolère uniquement les technologies qui servent le but suprême, de détruire la modernité : voitures puissantes, talkie-walkie, téléphones, connexion internet et caméras pour filmer les otages ou ce qui en reste parfois. Le Sahelistan rêve d'être un pays pur, sans autre lignes que la dune et l'horizon, dédié à ressembler au ciel dans sa nudité, tourné vers le haut, déroulé comme un tapis de prières : une utopie du vide et du plat. Une solution finale pour toute géographie. Pour la terre entière qui doit redevenir un ciel sans ride. Le Sahelistan ne rêve pas d'être un pays, mais tous les pays à la fois, la fin des pays, le « a-pays » justement. L'Utopie.

Que faire face au Sahelistan ? Difficile de répondre : si on y négocie une solution, on s'y perd entre fatwas et fourberies : les Djihadistes ne croient pas à leur parole mais à la parole de Dieu, selon eux. Si on laisse faire, cela prend de la surface : petit Kaboul deviendra grand Afghanistan. Si on attaque ou contre-attaque par les armes, le Sahelistan devient le centre du monde, recrute encore plus de Djihadistes, capitalise une nouvelle légitimité. Pas de solution donc. Sauf si on attaque la source, la matrice de tous les Sahelistan possibles : le désert d'Arabie, l'Arabie Saoudite, ses livres, ses chaines satellitaires, ses fatwas et ses oulémas. C'est de là que nous viennent ces pays de morts-vivants. Car c'est un effet papillon. Ou plutôt un effet-criquet, pour être exact.