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10.000 tentatives de suicide par an en Algérie

par Ziad Salah

« Algérie, changement social ou crise sociétale totale " est le thème de la journée d'études organisée jeudi dernier par le laboratoire Philosophie, sciences et développement en Algérie de l'Université d'Oran. Ce qu'il y a à retenir c'est que cette rencontre a été pluridisciplinaire puisque philosophes, médecins, psychiatres et sociologues venus des universités de la région se sont relayés pour présenter leurs recherches.

Par ailleurs, les thèmes des communications ont tourné autour de trois questions d'une grande actualité : l'urbanisation, le suicide et la jeunesse. Ajoutons que cette journée d'études a été l'occasion pour des doctorants, venus de Tlemcen notamment, de présenter les premiers résultats de leur recherche et surtout d'échanger avec leurs aînés.

Dans sa présentation, le professeur Abdelkader Lakdjaâ, un des initiateurs de cette journée, a rappelé quelques résultats du dernier recensement de la population : 70% de la population vit en milieu urbain et 60% des ménages sont de type nucléaire. Indicateurs suffisamment parlants sur les changements que vit la société algérienne en profondeur. Le professeur rappellera deux conclusions de deux manifestations scientifiques passées : le constat des sociologues lors d'un colloque à Oran en 2002 où ils ont reconnu qu'ils ne connaissent pas la société et l'autre constat, celui des architectes en 2008, reconnaissant eux aussi qu'ils ne savent pas pour quelle société construire. Ces deux constats constituent une sévère remise en question d'une certaine recherche, produite par certaines institutions, et dont la préoccupation demeure la satisfaction des demandes des pouvoirs en place. S'agissant des interventions, celle du Dr Hadj Hacène Fethi de l'EHS de Sidi Chahmi a porté sur " le suicide en Algérie : les enjeux sociaux ". Le psychiatre nous indiquera que l'Algérie enregistre 10.000 tentatives de suicide par an. En 2009, on a relevé 203 cas de suicide, dont 69% sont de sexe masculin et 65% sont des célibataires. 59% des personnes qui ont décidé de mettre un terme à leur existence appartenaient à la tranche d'âge 18-35 ans. Aussi, il relèvera que les hommes recourent à la pendaison par contre les femmes à l'absorption des médicaments. Se référant à la littérature sociologique, le Dr Hadj Hacène optera pour les thèses de Dubet, datant des années 1980, appréhendant le suicide comme modèle de désorganisation sociale. De même, il remarquera que la richesse n'est pas forcément un facteur de protection contre le suicide et qu'en situation de guerre ce phénomène connaît un tassement.

Pour sa part, le Dr Kadi Hnifi Khalil, du CHU Sidi Bel-Abbès, qui a intitulé sa communication " Effet Werther ou contagion suicidaire " a plaidé pour une dépsychiatrisation du suicide en le considérant comme plutôt phénomène social, donc sa prise en charge incombe à l'Etat. Il notera qu'en 2012, il y a eu 20 décès au niveau du CHU Oran et les urgences de ce même centre hospitalier ont reçu 50 admissions entre 2011 et 2012. Ce qu'il faut retenir de son intervention c'est la recommandation de l'OMS concernant la médiatisation du suicide. Cette organisation mondiale recommande de ne jamais verser dans la glorification du suicidé et d'assortir les informations sur le phénomène en donnant des numéros de téléphone des centres spécialisés dans l'écoute des personnes en détresse. Il remarquera que pareil service n'existe pas en Algérie. Du côté des philosophes, Benamar Souarit, maître de conférence en philosophie, a choisi à sa communication le titre " Changement social, maladie et santé : le point de vue épistémologique ". L'immolation de Bouazizi, le jeune Tunisien de Sidi Bouzid, lui a servi de cas de figure pour appréhender, d'un point de vue philosophique, ce nouveau phénomène dans le Maghreb et le monde arabe. En survolant les différentes interprétations, il estimera que l'immolation " est un plaidoyer pour une nouvelle existence ". Comme elle peut être appréhendée comme " une quête d'un pouvoir juste et égalitaire ".

L'après-midi a été consacré à une série de communications sur la jeunesse. Encore une fois, Abdelkader Lakjaâ, auteur de plusieurs enquêtes sur les jeunes, est intervenu en intitulant sa communication " Les jeunes entre famille, religion et vulnérabilité relationnelle ". Mohamed Djalout, détenteur d'un magister en sociologie, s'est exprimé sur " le mal-être chez les jeunes " et Missoum Gacem a titré sa communication " Le changement au sein de l'institution scolaire ". Retenons que lors des débats, une idée (ou thèse) semble faire son chemin chez certains sociologues : une nouvelle culture, ni traditionnelle ni moderniste au sens traditionnel du terme, est en train de se cristalliser en Algérie où la dimension religieuse occupe une place centrale. Les jeunes, notamment ceux qui se déploient sur des sphères autres qu'officielles et formelles, sont les porteurs de cette culture.