A regarder de près ce dégoût de vivre qui s'empare des Algériens,
il y a peut-être de quoi trouver matière à comprendre pourquoi tout le pays
semble tirer vers le bas. Parce que l'on dit aujourd'hui que si trois Algériens
sur quatre aiment leur pays, le quatrième néglige trop «sa» patrie, au point
qu'il n'a jamais les moyens de payer ni loyer, ni l'électricité ni même le gaz,
sauf, peut-être, son mauvais plat quotidien et son flexy
biquotidien. Parce que l'on dit aussi que l'Algérien de Tidda
comme celui du petit village «coincé» là-bas entre Sidi Balak
et Aïn-peut-être, passe au moins huit heures par jour
(plus qu'il ne boulotte !) à parler au téléphone sans que personne ne trouve aucun
mal à deviner sur quoi il pourrait bien «déblatérer» pendant tout ce temps qui
ne veut pas mourir. L'Algérien, seul capable de se parler à lui-même, trouverait
même le moyen de se rendre la vie facile au point de vouloir transporter le
monde sur son dos. Tout vouloir réduire à la taille d'une seule main. Comme
porter tout à la fois (en bandoulière) son garde-robe,
son garde-manger, son poste TV, son frigo, son matelas à ressorts, son bahut à
chemises délavées, ses chaussures usées et même ses chaussettes nippées. Il
voudrait même porter avec lui sa mère sur le dos et sa femme sur la tête. L'Algérien
a un besoin si irrépressible de parler qu'il est capable de dire tout, n'importe
comment, à l'endroit, à l'envers, la bouche pleine, l'estomac vide, dans n'importe
quelle langue, quelle position, avec tous les mots qui lui «transitent» par la
tête. Il faut bien se convaincre que l'Algérien a une soif irrépressible de «se
dire» à l'autre, de montrer sa langue fourchue à tous, son nez bien droit et
ses pieds bien plats. Certains ont même leur manière propre de prouver leur vie
aux autres comme ces jeunes épris d'une nouvelle mode, celle de badigeonner des
graffitis partout sur les murs, juste pour dire son sentiment à l'égard d'un
être aimé, son fiel à en revendre, son rêve d'aller sur la lune, ou carrément
son rejet total et violent d'une société qui le cloue au mur de toutes les
incompréhensions. L'époustouflant succès des opérateurs de ce «machin parlant»
en Algérie s'expliquerait aussi par ce «cas particulier» à nous autres
Algériens, celui d'actionner son portable partout et nulle part, dans la rue, sur
le toit d'un moulin à vent, coincé dans un bus ou un taxi, sous la douche, au
boulot, suspendu entre ciel et terre, juste pour demander qu'est-ce qu'il y a à
becqueter à midi, le navet programmé pour la soirée sur l'unique, le temps
qu'il fera demain la veille ou même la date du prochain Muharram.
A nos terribles
désinvoltures, comment faire face sinon que d'opposer ce sésame passe-partout
de «Allah Ghaleb», certainement religion déclarée du
peuple mais pas celle de l'Etat ? Mais l'Etat peut-il être tout le pays, cette gigantesque machine en panne, incapable de faire face
à ses trop nombreuses ornières ?