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Algérie-Maroc : Un accord gazier qui illustre un retour de pragmatisme

par Idir AHATIM

Entre l'Algérie et le Maroc, derrière la réserve officielle, les échanges souvent peu amènes des journaux et les actes faussement héroïques des hackers, des démarches de coopération sectorielles se mettent en place. Le secteur de l'énergie est l'un des segments d'un retour de pragmatisme en attendant mieux? Retour sur un accord gazier de «long terme»

Un contrat de livraison de gaz naturel algérien sur dix ans a été conclu entre l'ONE marocaine et l'algérienne Sonatrach « Le gaz naturel sera destiné à l'alimentation de deux centrales électriques CCGT de l'ONE marocaine, celle de Ain Beni Mathar de 470 MW et celle de Tahaddart d'une capacité de 385 MW », est-il précisé. Ce contrat avait été jugé « intéressant pour l'Algérie » par l'ex Pdg de Sonatrach, N.Cherouati, qui a confirmé que « les deux parties travaillent pour assurer la pérennité des livraisons du gaz algérien au Maroc ». D'autres contrats de ce genre pourraient suivre indique-t-on du côté du ministère algérien de l'Energie. La livraison du gaz naturel algérien se fera naturellement à travers le gazoduc Pedro Duran Farell reliant les champs gaziers algériens à la péninsule ibérique, depuis près de 20 ans via le Maroc. Pour mémoire, ce gazoduc a une capacité de 18 milliards de m3/an et assure le transit de 11 milliards de m3 annuellement aux clients espagnols et portugais de Sonatrach. Si l'on déduit les 800 millions de m3/an de droits de transit et les volumes réservés au réseau intérieur de l'ouest algérien, ce sont plus 4 milliards de m3/an de gaz qui ont été « réservés » au marché marocain. En vain jusqu'au mois d'août dernier.

L'INDEPENDANCE ENERGETIQUE A TOUT PRIX

En effet, l'énergie, le gaz en particulier, jouant un rôle stratégique qui n'est plus à démontrer, les autorités marocaines ont longtemps rechigné à faire bénéficier les foyers marocains et l'industrie du pays d'une source d'énergie relativement propre, disponible sur place grâce au gazoduc Pedro Duran Farell. L'épisode de « l'énorme découverte de Talsint » illustre, jusqu'à la caricature estiment certains spécialistes, les efforts déployés pour éviter une dépendance stratégique vis-à-vis du « frère-ennemi ». Pour rappel, Mohammed VI avait annoncé, en 2000, dans un discours radiotélévisé mémorable, que le sous-sol de Talsint recelait du pétrole «en quantité abondante». Il a été même question de construire un grand terminal GNL à une période où cette solution revenait beaucoup plus cher que le gaz de Hassi R'Mel ; ce terminal d'une capacité initiale de 3 milliards de mètres cubes devait permettre de faire passer, à moyen terme, la part du gaz dans les approvisionnements énergétiques du Maroc de moins de 3 pour cent à 20 pour cent. Cette option, d'ailleurs, n'est toujours pas écartée?

L'EQUATION ENERGETIQUE SE COMPLIQUE

Le Maroc se trouve confronté à une évolution défavorable de la scène énergétique mondiale. D'une part, ses besoins vont crescendo, bien plus vite que ce que nécessiterait une simple indexation sur la croissance démographique. Les contestations sociales imposent de ne plus ignorer les besoins élémentaires, notamment en matière d'énergie. Les ressources énergétiques traditionnelles du Maroc sont limitées et quelque peu obsolètes, notamment le charbon. Le pétrole importé à bon marché est de l'histoire ancienne et la facture pétrolière restera en constante augmentation, vu la tendance lourde qui se dessine. Elle pèse déjà très lourdement sur la Caisse de compensation.

UN ESPOIR : LES ENERGIES RENOUVELABLES

Par bonheur, le Maroc est balayé par des vents consistants venus de l'océan Atlantique ; il est sur ce créneau le pays le plus favorisé de l'Afrique du nord. En juin 2010 que le Maroc a dévoilé un projet d'énergie éolienne d'un montant de 3,53 milliards de dollars ayant pour objectif de contribuer à faire passer à 42% d'ici 2020 la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Le projet prévoit la construction de cinq parcs d'éoliennes pour faire passer à 2.000 mégawatts en 2020 la production d'électricité d'origine éolienne, contre environ 280 mégawatts aujourd'hui. Idem pour l'énergie solaire puisqu' une puissance de 2000 MW serait l'objectif à atteindre dans le « plan solaire du Maroc » d'ici 2020. Cependant, les experts sont unanimes à reconnaître les limites techniques du recours aux énergies renouvelables pour la définition du « panier d'énergies » d'un pays considéré, quel qu'il soit. En effet, toutes ces sources d'énergies renouvelables aboutissent à la production d'électricité ? non stockable à grande échelle. C'est pourquoi, jusqu'à ce qu'on sache le faire, la part des renouvelables dans un mix énergétique ne saurait dépasser les 40% sous peine de graves ennuis. Il s'agit donc de prévoir, à côté des énergies renouvelables, une énergie stockable, peu polluante et de préférence pas trop lourde pour les finances publiques et l'économie du pays. Le gaz naturel remplit tous ces critères, ce qui explique le changement d'attitude des autorités marocaines vis-à-vis du gaz algérien.

VOLUMES DISPONIBLES POUR LES CONTRATS AVEC LE MAROC

Outre les volumes de gaz liés aux redevances de transit du gaz destiné à l'Espagne et au Portugal, le Maroc s'engage à acquérir 640 millions de m3 de gaz annuellement ; des volumes additionnels seraient en discussion selon les autorités algériennes. A ceux qui se sont empressés de parler de stress sur l'offre gazière algérienne à l'exportation, des responsables du secteur ont vite fait de rassurer : les volumes à dédier au(x) contrat(s) marocain(s) sont disponibles. Au pire, les volumes cédés par Sonatrach sur les marchés spot du GNL, en pleine déconfiture, seront affectés à ces derniers. In fine, comme l'enseigne l'histoire des relations gazières fondées sur les grands gazoducs internationaux, si les conflits géopolitiques peuvent retarder la réalisation de tels ouvrages, ces derniers s'érigent très vite en facteurs de paix dès leur entrée en service.