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Monarchies vs républiques

par Mohammed Beghdad

Le centre de gravité décisionnel de la Ligue arabe est en train de se déplacer sournoisement vers les pays du Golfe comme l'indique clairement le dernier sommet des ministres arabes des Affaires étrangères qui s'est tenu avec fracas au Caire.

Fier de son intervention libyenne remarquée en appui aux forces de l'Otan, le ministre qatari des affaires extérieures s'est comporté de manière impensable en prenant de la hauteur en ce samedi 12 novembre 2011 avec son air arrogant, hautain et triomphant sur la scène arabe.

L'INFLUENCE FLAGRANTE DU QATAR, FER DE LANCE DES MONARCHIES

Après que la Libye ait été son trophée avec en prime la tête de Kadhafi offerte à ses amis de l'Otan, voilà que le Qatar se lance aussitôt vers une autre ambition d'enrichir son palmarès pour dépouiller la Syrie qui en passant faut-il le souligner que le régime régnant dans ce pays n'a pas laissé à ses adversaires d'autres idoines solutions. Si le pouvoir actuel syrien ne s'est pas comporté de manière dictatoriale, jamais un pays comme le Qatar ne saurait devenu le héros malgré lui.

Le Qatar avec le silence acolyte des autres monarchies des pays du golfe, fortes de leur argent frais par rapport au reste, sont en train de mener la ligue arabe dans une situation tortueuse et inextricable.

Il faut mentionner que les 6 pays (Qatar, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Koweït et Oman) constituent le Conseil de Coopération des Pays du Golfe (CCG) et qui rappelons-le a été créé sous la pression des États-Unis il y a de cela 30 ans afin de maintenir leur mainmise sur les réserves pétrolières et par la même occasion phagocyter encore plus les décisions des autres pays au sein de la ligue arabe.

MONARCHIES DU GOLFE=BUREAU POLITIQUE DE LA LIGUE ?

Ces pays là fonctionnent en bloc contrairement par exemple aux pays du Maghreb qui sont libres de leurs mouvements au sein de la ligue arabe et ne se sont jamais concertés pour prendre une seule décision commune. Cette manière de court-circuiter la ligue arabe a fait réagir le représentant de la Syrie à la ligue arabe qui a accusé à l'issue de la dernière réunion des ministres arabes le CCG d'être le Bureau Politique de la ligue arabe où ses membres y prennent les décisions avant de venir les entériner au Caire à coups de pression sur les autres par les finances qu'ils octroient aux plus dociles. Il est vrai qu'ils profitent des périodes transitoires suite aux bouleversements qui se sont déroulés en Égypte, en Tunisie et en Libye où les nouveaux pouvoirs légitimes issus des urnes démocratiques n'ont pas encore vu le jour. Ces pays archi riches disposent à eux seuls d'un PIB de 994 milliards de Dollars en 2010 pour une population de 39 millions d'habitants soit le 9ème de la population arabe totale, de quoi arroser toute contestation à leur hégémonie intérieure et effectuer du lobbying extérieur pour mettre dans leur ligne de mire un pays comme l'Iran, coché depuis longtemps comme un pays à abattre sur les agendas occidentaux et d'Israël. Alors que les 16 autres pays arabes détiennent un PIB de presque 912 milliards de Dollars mais pour plus de 300 millions d'habitants. Si l'on ôte la Jordanie et le Maroc, ce chiffre s'amenuise de 130 milliards de Dollars qui s'ajoutent avantageusement alors à celui des monarchies du CCG.

Dans ce cas, l'écart se creuse de manière très aisée en faveur de ces dernières quand on passe au PIB par tête d'habitant, il est dans ce cas de 25500 Dollars/habitant contre un peu moins de 3000 Dollars/habitant.

Sans les deux candidats en lice au CCG que sont le Maroc et la Jordanie, le PIB par habitant des monarchies du golfe est 10 fois plus important que celui de tous les pays restants sur la balance.

On comprend assez bien maintenant pourquoi une voix d'un résidant du golfe est considérable par rapport à son pair situé au Comores, en Irak ou en Syrie en dépit des pays républicains qui occupent les 80% du territoire arabe. Ce n'est pas l'héritage historique de la Syrie qui a été pendant longtemps la capitale du monde musulman à l'époque des Omeyades qui peut faire la différence.

C'est grâce au miracle du pétrole qu'un pays comme le Qatar puisse donner de la voix aujourd'hui où dans un passé pas vieux de 30 années, ce type de pays se faisait tout petit en écoutant sans broncher lorsque les grands du monde arabe se saisissaient de la parole.

MONARCHIES CONTRE RÉPUBLIQUES !

Par ailleurs, pour montrer leur solidarité avec les deux monarchies restantes en dehors de leur union, ces pays ont tout bonnement invité les royaumes de la Jordanie et du Maroc à se joindre à leur conseil.      Cela saute aux yeux que le but principal est de soutenir ces pays en leur état actuel dans leur fonctionnement très loin des normes internationales. La preuve, le Bahreïn est aidé par ce conseil à mater son opposition avec l'aval du CCG et l'envoi de forces armées d'Arabie sur place. En quoi un pays comme le Maroc qui se situe à l'extrême-est du monde arabe peut-il être utile au CCG si ce n'est que dans un objectif purement royaliste ? L'autre dessein, c'est sans doute porter le coup de grâce au projet de la construction du Maghreb arabe qui n'avait pas besoin d'un tel coup de massue supplémentaire pour entretenir le rêve de tous les peuples magrébins de la région. Le message à faire passer par le CCG est qu'aucun autre groupement régional ne doit lui faire de l'ombre.

Pourquoi n'avoir pas convié dans ce cas par exemple le Yémen, l'un des pays les pauvres du monde arabe et qui lui est plus proche historiquement que géographiquement si ce n'est son problème d'être une république qui n'entre pas dans les plans du CCG ? Il faut noter que c'est aussi dans l'intention de réduire les mouvements en Jordanie et au Maroc pour préserver leur monarchie dans une stabilité politique et financière par des aides substantielles et sans doute les prémunir de tous les soubresauts imprévisibles. Défendre les monarchies de ces pays, c'est aussi s'assurer de paravents naturels.

Les leaders habituels des pays arabes à leur tête l'Égypte se sont effacés devant le petit poucet qui devient ogre par ces temps-ci des vaches maigres. A-t-on vu l'Union Européenne se faire guider par d'autres pays à part les 3 grands leaders naturels que sont la France, la Grande Bretagne et l'Allemagne ? Sans des régimes arabes hermétiques, jamais cette occasion ne pouvait se présenter au Qatar qui vit actuellement dans une bulle que seuls les régimes des peuples le feraient retourner à sa véritable place. La souris continuera infatigablement à danser tant que les chats font défaut.

LES MINORITÉS DIRIGENT, LES MAJORITÉS ACQUIESCENT

Est-il normal que la voix d'un qatari vaut-elle plus que celle d'un algérien, d'un égyptien ou d'un syrien si on compare le nombre d'habitants de chacun de ces pays ? Est-il logique que le minuscule état du Bahreïn dont la monarchie vacille en ce moment avec ses 665 Km2 ait le même poids d'un pays comme le nôtre avec ses 2381741 Km2 soit 3582 fois plus grand avec une population 30 fois supérieure ? Comment des pays comme les Comores, Djibouti ou la Somalie complètement désintégrés auront-ils identiquement la même pesanteur que les autres ? A mon sens, il faut que certains grands pays disposent d'un droit de veto ou d'un vote à la proportionnelle si l'on veut que le monde arabe ne puisse pas dévier dans un virage dangereux où des minorités dirigent des majorités qui acquiescent.

On peut constater ouvertement que ces monarchies n'hument pas la démocratie qu'ils la revendiquent aux républiques. Avec leur fortune démesurée, ils bouclent toutes les bouches et toutes les excentricités sont corrigées avec cette manne financière rentière presque sans fin. Ce sont les rois et les émirs et sultan de ces pays avec les membres de leur famille qui gouvernent en occupant tous les postes clés des régimes en place. Ils verrouillent tout le système politique de leur environnement. Ils ne tolèrent aucune critique ni aucune voix discordante où le roi et les émirs font presque partie du domaine du sacré.

RÉFORMES DES MONARCHIES ET DES RÉPUBLIQUES

Ce ne sont pas à l'image des monarchies européennes qui règnent seulement mais ne gouvernent point. A part la reine d'Angleterre qui est connue à l'échelle planétaire, les rois et reines d'Espagne, de Belgique, des Pays-Bas ou du Danemark passent presque inaperçus dans leur pays en ne dérogeant pas aux règles d'éthique. Ils représentent uniquement le symbole d'unité de leurs pays et ne vivent absolument pas dans le faste criard comme c'est le cas des monarques arabes dont l'étalement de leurs richesses dépasse l'extravagance. Pour attaquer les républiques arabes dans leur ensemble, ils ont créé Aljazeera et Al-Arabiya mais en aucune façon ces chaînes ne doivent critiquer l'ordre établi au Qatar comme en Arabie quelles que soient leurs inconduites et les anomalies. On a vu comment le soulèvement populaire bahreïni ait été abordé avec l'extrême prudence par ces médias au service de leurs maîtres. On a tous vu qu'Aljazeera s'est comporté cruellement aux côtés de l'Otan lors de la révolte libyenne et actuellement dans le cas syrien de manière inobjective en occultant l'avis des parties adverses ou en essayant de les étouffer scandaleusement. La chaîne d'info France 24 étant plus impartiale en couvrant les mêmes évènements.

MODES DE GOUVERNANCES ARCHAÏQUES ET AUTORITAIRES

De plus les monarchies arabes dans leur ensemble ne veulent en aucun cas changer leur manière de diriger leur pays. S'il y a contestation, comme en Jordanie, au pire des cas, le monarque ira changer le verrou représenté par le chef du gouvernement servant de couverture formidable et qui assume toutes les responsabilités sur sa personne en cas d'échecs. Le Roi est intouchable pourtant il gouverne, personne ne doit remettre en cause son autorité ni son éternelle souveraineté. On sent que les grands de ce monde appuient de façon flagrante le maintien de ces monarchies pour mieux contrôler les puits de pétrole sur lesquels ils se reposent.

Leurs réformes annonceraient la fin de ce chantage occidental. Les occidentaux ont l'air d'être plus sûrs avec une monarchie régnante de ce type qu'avec une république où tout peut changer radicalement s'il arrive un dysfonctionnement à la tête de l'état. Avec un royaume soumis, on peut anticiper sur le devenir d'un pays en misant même sur le prince héritier que l'on peut couver en attendant son règne. Il est impossible que l'on n'entende une seule infime voie discordante appelant à l'abolition de ce type de monarchie archaïque dans un monde plus ouvert comme celui dans lequel nous vivons en ce siècle des nouveaux TIC.

Si la ligue arabe doit se réformer cela ne veut pas dire qu'elle tomberait douteusement dans les bras de ces monarchies anti-démocratiques comme ils le projettent dans un plan non avoué par l'occident. Celles-ci comme pour les républiques arabes doivent d'abord se réformer dans leur gouvernance qui est devenue vainement obsolète. Si un grand pays arabe tremble et se fait tirer les oreilles par un petit pays comme le Qatar, c'est à cause de la dictature qu'il a imposée à son peuple et qui l'a rendue aussi faible devant un tel état microscopique et également devant son peuple. C'est comme si un pays comme la France ou l'Allemagne se fasse dicter la loi d'un pays du genre de la Roumanie ou de l'Estonie. Encore qu'ici la comparaison ne paraît pas dans ce cas trop outrée.

DEMAIN, L'ESPOIR ?

Au lieu de réunir leurs forces en se réformant d'abord de leurs intérieurs que ce soient pour les républiques comme pour les monarchies, les régimes arabes, tout en ignorant les profondes aspirations des peuples, sont alors une fois de plus divisés en opposant des monarchies périmées contre des républiques autoritaires. L'écart ne fait que de se creuser tant que l'éveil des peuples arabes ne s'est pas répandu dans ces pays identiquement comme en occident et particulièrement en Europe où les monarchies et les républiques fonctionnent et vivent dans une merveilleuse symbiose.

La division des rangs va encore s'accentuer, à ne pas le douter, lors de la réunion prévue pour ce Mercredi 16 Novembre 2011 à Rabat pour mettre en action les basses besognes alors que lors des bombardements de Ghaza en 2008/2009, les dirigeants arabes passaient leur temps à faire semblant d'accorder leurs violons et qui ont joué que trop tard leur symphonie avec de fausses notes pour le malheur des frères palestiniens dont le largage des bombes non conventionnelles n'avait cessé que grâce à la mobilisation internationale d'humains épris de liberté et de justice sur cette terre.

Cela ne voudrait pas dire que le régime syrien est exempt de tous reproches. Il a une très grande part de responsabilités par ce qui arrive à cette ligue arabe en perpétuel déclin. C'est son entêtement, fidèle à sa ligne dictatoriale ancestrale léguée par Assad père, qui le persiste à demeurer dans son retranchement qui a abouti à cet indéniable cul de sac. Mais les donneurs de leçons doivent être au-dessus de tous soupçons, ce qui est loin d'être le cas des émules arabes de la Syrie.

Les attentes légitimes du rêve des peuples arabes, transformées le plus souvent en cauchemars, sont encore très loin à se dessiner et risquent inlassablement de durer. Mais malgré tous ses abyssaux obstacles, tous les espoirs peuvent être permis pour un renouveau du souffle arabe. C'est une question de lutte, de patience et de temps.