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La marche d'Alger empêchée

par Ghania Oukazi

Déployées généreusement hier, à la place des Martyrs, les brigades anti-émeutes se sont pris violemment aux journalistes qui couvraient la marche décidée par l'aile «partis politiques» de la coordination nationale pour le changement et la démocratie.

La levée de l'état d'urgence décidée par le chef de l'Etat n'a pas eu d'effet sur le comportement de l'appareil répressif du pouvoir. Le nombre de policiers déployés hier, pour empêcher la marche était hallucinant et a fait dans beaucoup de violence et d'agressivité. Les policiers était bien plus nombreux qu'ils ne l'ont été pour «les besoins répressifs» de toutes les marches précédentes. Des nombreuses brigades antiémeutes ont pris le soin de quadriller la place des Martyrs pour empêcher que les manifestants ne se regroupent à son niveau. A défaut, le message aurait eu plus de signification politique. Ordre donc avait été donné à tous les policiers pour ne laisser aucune personne accéder à cette grande esplanade. Leurs collègues, bien plus nombreux que les manifestants, étaient déterminés à en découdre avec tous ceux qui tentaient de les défier. Protégés par leurs boucliers en plastique, ils chargeaient violemment tout regroupement qui tardait à se disperser. Ils se sont pris aux journalistes avec une férocité inouïe. Beaucoup ont reçu des coups aux tibias et aux chevilles. Les policiers ne ménageaient ni femme ni homme de la corporation. Là où les journalistes se mettaient, ils les poussaient soit d'un côté soit de l'autre de l'artère Zighout Youcef. A un moment, les journalistes ont été carrément encerclés par les policiers. La répression s'était bien exprimée hier, pour un rendez-vous qui ne nécessitait même pas autant de moyens policiers dissuasifs. En effet, le président du RCD était entouré d'à peine une centaine de personnes qui scandaient des slogans hostiles au pouvoir en place. Des brigades anti-émeutes avaient déjà quadrillé, tôt le matin, le siège de son parti, à la rue Didouche Mourad. Des camions anti-émeutes étaient aussi, stationnés au Square Sofia, tout au début du boulevard Zighout. Comme d'habitude, un hélicoptère survolait continuellement le ciel.

«Djazaïr Hora dimocratia.» «Pouvoir assassin !» ont été lancés, pour chauffer l'atmosphère qui l'était déjà puisque le soleil commençait déjà à taper. On ne sait par quel moyen, Saïd Saadi a pu échapper à la vigilance des policiers et a réussi à monter sur le toit d'un de leurs gros véhicules.

L'immunité parlementaire piétinée

Entourés de ses gardes du corps, il a esquissé le signe de la victoire et scandé «Rana fi hissar (nous sommes en état de siège !» et autres slogans habituels au RCD. Les policiers tentent de le faire descendre mais sa garde rapprochée lui a fait savoir que c'est elle-même qui allait s'en charger. Les policiers préfèrent agir, bousculent Saadi et le ramènent du toit mais presque à terre sur son visage. Le gyrophare a cédé sous la violence du geste. Quelques secondes après, Saadi échappe encore une fois, à la vigilance des policiers et remonte sur le toit du véhicule. L'immunité parlementaire dont il jouit en tant que député est piétinée. Elle ne lui sert pas à grand-chose quand il devient «marcheur». Des policiers l'empoignent violement du haut du véhicule et le font descendre jusqu'à le faire tomber. Ses lunettes n'ont pas résisté au choc de cette descente forcée. Les brigades antiémeutes s'appliqueront à le repousser vers les escaliers menant à une partie des voûtes de la Pêcherie. Quelques manifestants qui étaient à ses côtés ont pu regagner le boulevard Zighout en remontant des escaliers de la Pêcherie vers Square Sofia. Saadi lui, a quitté la manifestation vers les coups de 12h. Le député RCD Khendek a été blessé et évacué par ambulance. Ali Yahia Abdenour, le président d'honneur de la Ligue de défense des droits de l'Homme était aussi de la partie à titre personnel puisque la Ligue en question a refusé de rallier la marche pour recourir à d'autres formes de protestation. «Nous continuerons à faire des marches jusqu'à la chute du pouvoir,» avait-il dit tout en soulignant que «si le pouvoir pense faire taire les jeunes en baissant les prix des produits alimentaires, il a tort (?). Ils protesteront jusqu'à ce qu'il parte !»

«Massira silmia !»

Un groupe de manifestants reprend de plus belle. «Djazaïr Hora dimocratia», «echaab yourid iskat ennedham (le peuple veut la chute du pouvoir)». Les policiers chargent. Les manifestants changent de slogans : «Massira silmia.» «Pouvoir assassin.» Il est 11h 45. Sur le trottoir d'en face, des voix s'élèvent «talgouna hna ntardouhoum (lâchez-nous, nous les chasserons)». «Zatla batel (la drogue gratuite)». C'était une contre manifestation qui s'est constituée sous l'oeil conciliant et protecteur de la police. Les brigades anti-émeutes ménageaient avec doigté ces défenseurs du pouvoir qui ont afflué des ruelles reliant la rue Bab Azzoun au boulevard Zighout. Un face-à-face pro et contre le pouvoir a pris ainsi forme. Chaque côté narguait l'autre à coups de slogans. Les pros brandissaient l'emblème national et le portrait de Bouteflika et lançaient les pires insultes, les contre brandissaient aussi l'emblème national et une pancarte «système out !». La situation dégénère. Le camp pro pouvoir a recouru aux jets de pierres. Les policiers n'avaient pas réagi pour les en empêcher. C'est un véritable gâchis.

 Des «clients» de la banque El Khalifa dissoute se mêlent aux manifestants et réclament «leurs dus». «On est là pour une juste cause, on est sorti pour revendiquer nos droits,» nous dit l'un d'entre eux. «Je fais parti du collectif El Khalifa, depuis 2003, on réclame le remboursement de notre argent mais rien n'a été fait. Le président nous a promis de le faire en 2004 mais rien du tout. On est en face d'un Etat congelé !» lance-t-il. «Je m'appelle Arezki et je combats pour un logement, ça fait 25 ans que j'habite chez mes beaux-parents,» lâche un citoyen en colère. «Je parle au nom de la justice sociale. J'ai écrit 5 fois au président, on m'a répondu mais pour faire une enquête sur ma personne et non pas pour me donner un logement. C'est de la hogra !» s'est-il plaint. Il réclame aussi une attention aux retraités qui ne gagnent précise-t-il, que «15.000 dinars.» Un autre citoyen s'exclame «à qui appartient Alger ? Rendez-nous nos plages de Club des pins et Moretti !». Il est 12h passées. Des manifestations reprennent de plus belle animées par un autre face-à-face des pros et des contre le pouvoir. Il est vite dispersé dans un désordre qui cachera les coups de pied, les coups aux tibias, aux mollets et aux chevilles que les policiers donnaient, sans retenue et sans distinction des foules.