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Énergie: «L'Algérie va devenir aussi un grand acteur du gaz non conventionnel»

par Samy Injar

Le ministère de l'Energie et des Mines (MEM) a été fort contrarié par les «spéculations» sur la capacité de l'Algérie à tenir ses engagements de livraisons gazières, les prochaines années.

Il prépare sa contre-offensive sur tous les fronts : relance dans l'amont, programme des énergies renouvelables et maîtrise de la consommation interne. Son agenda «procédurier» demeure toutefois peu connecté sur les exigences de réactivité de la transition énergétique mondiale en cours.

Le ministre algérien de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, «ne veut pas se laisser dicter par les autres» son agenda de prise en main du secteur. Pour un de ses plus proches collaborateurs, les dernières déclarations dans la presse sur le déclin de la production algérienne de gaz naturel, ou sur le retard de l'Algérie dans le programme des énergies renouvelables sont de «pures bêtises». Rencontré en marge de la présentation du nouveau Country Manager de Statoil Algérie, à l'hôtel Aurassi, la source autorisée du MEM, évoque la prochaine fin de la phase d'évaluation du secteur que le ministre a entamé depuis son arrivée aux affaires en mai dernier. «Les dossiers se constituent. Les grandes orientations vont être proposées». Mais d'abord au gouvernement. C'est le cas pour le programme des énergies renouvelables, thème sur lequel de nombreux partenaires étrangers ont reproché à l'Algérie sa frilosité, alors que les voisins tunisiens et marocains s'étaient empressés de présenter leurs plans solaires nationaux en écho au plan solaire méditerranéen et à l'initiative Desertec. «Le projet de plan algérien sera sur le bureau du gouvernement avant la fin du mois de novembre. Il sera alors rendu public, et un débat pourra s'engager. Il n' y avait pas urgence à réagir aux plans de nos partenaires européens. Nous n'avons pas le sentiment d'avoir perdu du temps. La première centrale hybride gaz-solaire va démarrer à Hassi R'mel, nous devons en tirer quelques enseignements avant de nous fixer sur les filières technologiques du solaire concentré. Laissons les investisseurs nationaux et étrangers arbitrer entre des miroirs paraboliques dont les coûts d'entretien sont importants et des tours solaires qui n'ont pas dit leur dernier mots dans le solaire concentré». M Youcef Yousfi a déclaré, il y'a quinze jours, en marge d'un débat à l'assemblée nationale, que l'Algérie allait présenter un ambitieux plan d'énergie renouvelable avant la fin de l'année. Ce plan est conditionné par le partage des technologies du renouvelable, la délocalisation des industries de la filière et l'accès commercial de l'électricité verte au marché européen.

«Un potentiel fantastique en gaz non conventionnel»

La grande «contre-attaque» pressentie du ministère de l'Energie et des Mines concerne cependant le thème du «déclin gazier algérien». Les explications du ministre interpellé à Vienne, lors de la dernière conférence de l'OPEP, sur la baisse appréciable des exportations algériennes de GNL en 2009 et en 2010 n'ont convaincu personne. M Yousfi avait parlé «d'incidents techniques». Le ministère de l'Energie se prépare à s'engager sur de nouveaux objectifs d'exportation sur une période de dix ans, «une fois recoupées toutes les données de la situation dans l'amont pétro-gazier». Sonatrach n'a pas signé commercialement pour 85 milliards de m3 de gaz naturel à l'exportation et peut donc assurer des livraisons dans un palier inférieur en attendant l'éclatement de la bulle gazière actuelle prévue dans quatre ou cinq ans si la reprise économique mondiale se consolide. Un scénario cohérent du point de vue commercial, le Qatar s'apprête dans les 12 prochains mois à mettre sur les marchés spot, de 10 à 15 milliards de m3 de GNL extraits de deux nouveaux gisements. Le million de BTU à moins de 4 dollars risque de perdurer. Pas d'inquiétude donc au sujet des volumes d'exportations algériens. L'annonce cette semaine d'une découverte «extrêmement importante» de gaz naturel par Gazprom à El Assel, dans le Sud algérien (76.460 m3 de gaz par jour sur un puits), vient rappeler bien opportunément le potentiel non encore prospecté de gaz conventionnel dans le Sahara algérien. Toutefois, la grande évolution stratégique qui prépare le MEM est de faire de l'Algérie un géant du gaz non conventionnel. «Nous l'avons dit pour la première fois le mois dernier lors du congrès mondial de l'énergie à Montréal. Cela n'a, peut être, pas été bien entendu en Algérie. Nos partenaires, eux, ont bien compris. L'Algérie détient un potentiel important en gaz naturel conventionnel que nous allons développer dans les années qui viennent. Mais son potentiel en gaz schisteux non conventionnel est, lui, tout simplement fantastique». La grande nouveauté de cette ère Yousfi qui démarre, est que l'Algérie décide aussi de devenir un grand acteur du gaz non conventionnel.

L'urgence de la maîtrise de la consommation nationale

Les certitudes du staff qui concocte la future stratégie énergétique du pays de l'après Chakib Khelil sont nombreuses. Mais, semble-t-il pas toujours en phase avec le rythme des mutations des modèles énergétiques dans le monde. Il en est ainsi, par exemple, pour l'appréciation trop peu vigilante, de la baisse rapide des coûts de la production d'électricité à partir de l'éolien, aujourd'hui imitée par celle du solaire concentré (CSP). Les experts admettent que l'électricité générée par les centrales à gaz naturel sera, en Europe, concurrencée économiquement à un horizon plus proche (2020-2025) que celui entraperçu par «la boite à idée» du MEM, sans doute un peu trop engoncée dans le paradigme des énergies fossiles. Le gaz schisteux algérien sera-t-il une énergie primaire meilleur marché en 2025 que le solaire du Sahara ? La publication annoncée du plan sur les énergies renouvelables permettra d'évaluer les prospectives du MEM. En attendant, dans les réponses du MEM à la conjoncture énergétique nationale émerge une urgence : la maîtrise de la croissance de la consommation énergétique nationale, de deux à trois points supérieure à celle du PIB. Les projets de pétrochimie de Chakib Khelil, gros consommateurs de gaz naturel à prix domestique, sont déjà condamnés. Mais le gros de l'effort est dans l'efficacité énergétique, de quatre fois inférieure à celle de la Tunisie. Cela passe par des mesures d'économie dans l'habitat et les transports. Et aussi par les ajustements du prix de l'électricité, du gaz, et des carburants. Youcef Yousfi ne paraît pas en mesure, pour ce qu'il a montré de tâtonnements politiques depuis six mois, de provoquer un effet d'entraînement autour d'un plan sérieux d'économie d'énergie.