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Beni Saf: La méduse gâche la pêche

par Mohamed Bensafi

Le constat est patent, le poisson se fait, ces derniers temps, très cher. A leur retour au port, les chalutiers les plus chanceux n'en déchargent qu'à peine une dizaine de cageots. La sardine, quant à elle, a carrément disparu sur les étals. La production halieutique, notamment la pêche au chalut, est à la peine. La malchance ne semble pas ainsi épargner les marins pêcheurs. Après moult difficultés rencontrées durant toute l'année (aléas de la nature, pannes techniques?), voilà qu'un autre phénomène, pas tout nouveau mais moins fréquent, vient se mêler à l'origine de cette sous-pêche. Le phénomène est, semble-t-il, observé sur tout le littoral témouchentois. Cette fois-ci, la malchance s'appelle la méduse. Dans le jargon des marins pêcheurs, on l'appelle «El Morka». Un animal marin invertébré qui a la forme d'une cloche ou si on veut d'un parapluie. Pour ceux qui n'en connaissent rien des méduses, ce sont des animaux composés de 98% d'eau. Les méduses appartiennent au groupe des cnidaires. Elles habitent toutes les mers et tous les océans.

 Il existe plusieurs espèces de méduses. Mais l'espèce la plus rencontrée chez nous est la Pelagia noctiluca. Cette espèce cosmopolite prospère bien sur les littoraux rocheux. Cette méduse, qui atteint 10 cm de diamètre, est particulièrement urticante. Ses 8 tentacules sont très extensibles.

 La méduse est difficile à repérer dans l'eau, parce qu'elle est transparente. A la nuit tombée, les méduses remontent à la surface pour se nourrir. La durée de vie de la méduse est de l'ordre d'une année. Elles sont alors à la merci des courants et du vent qui peuvent les rabattre par milliers vers le littoral. La reproduction de ces invertébrés s'effectue en deux phases successives.

 Mais cette fois-ci, ce n'est pas apparemment sa période, du moins elle est en légère avance. Elles prolifèrent très rapidement. Les pullulations de méduses entraînent la baisse des prises lors de pêche au chalut. Les méduses se nourrissent de larves et alevins de poissons. Ce qui peut fortement provoquer la diminution des populations de poissons pélagiques à long terme au sein d'une zone contaminée par de telles invasions. Djillali, un vieux briscard des mers n'en revient pas: «J'ai rarement vu, comme cette année, les méduses aussi nombreuses.           On a été obligés d'observer un repos en attendant qu'elles disparaissent. Depuis plus d'une semaine, le bateau n'a pas quitté le quai. Généralement, les méduses sont emportées par les courants marins sinon elles meurent mais cela peut prendre plusieurs semaines, voire des mois. Certaines zones de pêche, à l'ouest surtout, sont moins peuplées par les méduses mais toujours est-il qu'elles continuent d'empoisonner la vie des marins pêcheurs en perturbant la pêche. Pour les sardiniers, je ne vous dis pas, ajoute Djillali, ce sont les plus grands perdants.

 Alors, le clair de lune et la méduse, malin celui qui ramène un poisson. Il est ensuite relayé par Abdelkader, un autre marin pêcheur: «Tu ne peux même pas faire le tri des poissons tellement elles vous collent aux mains et encore qu'il faudrait faire attention à sa piqûre. Un autre problème demeure lors des récupérations des prises par filets, un grand nombre de méduses peuvent s'y empêtrer, écrasant et intoxiquant ainsi les poissons comestibles se trouvant en dessous, faisant diminuer la valeur marchande des prises. «Le poisson, la sardine surtout, quand il s'est mêlé à la méduse, perd un peu de son goût.

 Il a un arrière-goût plutôt saumâtre». Il arrive même que les mailles des filets soient obstruées et il faudrait constamment les nettoyer. Cependant, si les scientifiques trouvent des explications à cette invasion, il n'empêche qu'ils en incombent la responsabilité à l'homme. Et il va sans dire qu'il est également la première victime. Car une cohabitation avec la méduse risque de tourner à l'avantage de cette dernière.

 Et pour en savoir plus, nous avons consulté un océanologue : Plusieurs facteurs sont la cause de cette invasion qui demeure sur toutes les mers du monde. Tout d'abord, les changements climatiques influent directement sur la surpopulation des méduses. Les changements climatiques, la surpêche et les rejets toxiques ne déciment absolument pas les populations. Au contraire, ces facteurs concourent à la prolifération des méduses, à tel point que, d'ici quelques années, nos mers risquent de se vider.

 Les méduses sont des carnivores à l'appétit insatiable. Si cette prolifération persiste, elle mettra rapidement en danger toute la biodiversité. En Méditerranée par exemple, la disparition de nombreux animaux prédateurs, comme les tortues marines et les thons, principaux mangeurs de méduses, en serait une des causes principales de cette invasion. Même le tourisme peut en souffrir. Les méduses peuvent envahir aussi les plages. A son contact, le baigneur ressent une brûlure intense qui peut provoquer de graves troubles, voire de syncopes.

 De plus, lorsqu'elles s'échouent, des passants peuvent êtres piqués si ces derniers marchent dessus par accident. Un journal italien a rapporté récemment qu'une Italienne a perdu la vie en Sardaigne suite à une piqûre de méduse. Si les causes du décès sont confirmées, il s'agirait d'une première du genre en Méditerranée. Le choc anaphylactique découlant de la brûlure aurait causé à la dame une crise cardiaque. Habituellement, les méduses ne causent que des réactions cutanées localisées, mais jamais des problèmes aussi graves», a précisé le journal. On saura aussi que souvent, les municipalités concernées sont obligées de fermer les plages ou d'installer des filets anti méduses. En Espagne, on tente aujourd'hui de réintroduire les tortues marines pour stopper les pullulations de la méduse. Alors que peuvent faire nos marins pêcheurs devant cette « El Morka » qui n'a de simple que le nom.

 Enfin un peu d'histoire, autrefois la méduse avait donné son nom à une frégate française. « La Méduse » a fait naufrage, le 2 juillet 1816, au large des côtes de Mauritanie, faisant 160 morts dont 137 périrent abandonnés sur un radeau. Sur les 15 survivants, récupérés après 13 jours, 5 sont morts avant leur transfert à Saint-Louis du Sénégal.