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France: identité nationale ou racisme ordinaire

par F. Bikoum (*)

«Les haines de races ne sont jamais, au fond,que des haines de places» (E. ROSTAND)

Du Hallal à l'hallali il n'y a plus d'espace au moindre doute. La France préélectorale aux inclinaisons droitières a sorti l'artillerie lourde et s'est fabriquée un ennemi intérieur sur mesure qui a pour origine ces ailleurs définis comme étant générateurs de peurs, géniteurs d'égorgeurs et réservoirs de terroristes. Il est fait feu de tout bois et de partout à l'encontre d'une cible des plus fragiles. L'essentiel est qu'elle soit typée, reconnaissable au faciès, à la couleur de peau, qui porte des prénoms baroques, qui ne connaitrait dieu qu'au travers d'un voile et qui s'habille et mange différemment. Une campagne d'une virulence sans précèdent à l'encontre de la communauté musulmane vivant en France, de ses pratiques et rites religieux constitue désormais le principal programme électoral qui domine aujourd'hui les débats des prochaines régionales. A en juger par l'enchaînement des «affaires» qui mettent à l'index islam et musulmans avec un amalgame savamment concocté on est en droit de se demander pour qui roule t'on et à quoi rime ces dérives ?

 Tout est jeté en vrac sur l'espace public : la burka ; le voile islamique ; le discours de l'Imam de Drancy qui tourne en boucle ; les menus Hallal proposés par une chaîne de restauration rapide dans ces banlieues crasseuses où seule la «plèbe» s'y rend pour se donner l'illusion de sortir ; le concept douteux «d'un Islam de France» ; la candidate voilée du NPA de Besancenot ; l'affaire Ali Soumaré ; le drapeau algérien devenu épouvantail ; la «chorale» des Lepen qui résonne de Lille à Toulon ; etc.? Tout est dans la confusion pourvu que l'islam soit au centre des polémiques, au cœur d'un débat trouble et troublant. Pour certains politiques d'aujourd'hui le sujet est jugé comme éminemment porteur et peu importe alors les conséquences qui puissent en découler pourvu que l'urne explose.

 A la source de ce phénomène qui banalise le racisme ordinaire et confère aux racistes une respectabilité de «seigneurs de guerre», il y a cette interrogation au timing douteux et étrange sur l'identité française. La suite est de notoriété publique : l'insulte et l'invective s'exercent désormais à visage découvert et se portent sur la poitrine au même titre qu'une cocarde ou ces médailles qui rappellent les hauts faits de guerre.

 Les moyens sont hideux et relèvent de procédés à la fois nauséeux et stigmatisant. L'idée «originale» consiste à asseoir dans la société de 2010 un débat surréaliste qui amènerait la France d'aujourd'hui à lancer des signaux clairs à tout ce qu'elle porte de répugnant en son sein. Dans cet hexagone qui se prévaut de la liberté et des droits de l'homme, comme à chaque fois que l'échéance d'une élection pointe son nez à l'horizon, la boite à pandore dénommée «Emigration» est convoquée sur la scène du débat politique interne pour faire porter aux étrangers le fardeau des échecs passés, présents et futurs. Les régionales de ce mois de mars ne dérogent pas à cette règle et s'inscrivent dans la droite ligne d'une stratégie électoraliste qui indispose la gauche caviar, parce que n'ayant pas une position très claire par rapport à la question et fait jubiler la droite bobo qui pense, comme à l'accoutumé, que l'occasion pourrait cette fois-ci la porter au pinacle des régions.

 C'est ainsi que sous les coups de boutoir d'un Front National ragaillardi, offensif et qui vient de se refaire un lifting à travers Marine Lepen, experte dans le lissage des angles, que tout est livré pêle-mêle aux boutefeux version moderne: le moins bon, le sale et l'odieux. Les principaux partis en course et les poids lourds de la politique française en ces temps de disette redoublent alors de férocité pour lui faire surenchère et flirter sans aucun état d'âme avec ces idées assassines qu'il véhicule depuis plusieurs décennies dans le secret espoir de s'adjuger la sympathie des voix de tous les extrêmes postés à droite. Ah madame l'urne quand tu nous tiens par le bout de nos convictions!

QUAND ON SEME LE DOUTE

Ne voilà t'il pas alors que s'installe dans l'Hexagone cet échange nauséabond initié par un «ministre» félon, transfuge d'une gauche aux positionnements douteux sur la question et représentant de fraîche date d'une droite des plus vindicatives teintée aux couleurs flétries de la Démocratie. Le promoteur visible est Eric Besson qui se distingue par le zèle des «nouveaux convertis» et qui dispose en outre des prérogatives du Ministère de l'Emigration et de l'Identité Nationale, une énorme monstruosité politique et populiste fabriquée à dessein pour cette droite nationaliste et haineuse. Il est tout de même bien étrange qu'au vingt et unième siècle, soit plus de deux mille ans après sa venue au monde, la France mobilise aujourd'hui tous ses moyens et son énergie de puissance de premier plan pour s'interroger sur son identité. Quelque chose de malsain qui titille les instincts les plus abjects du petit peuple désemparé par la crise et les aléas du quotidien figure à la bonne place des non-dits et sous-tend dangereusement cette entreprise. Doit on croire, comme aimait à le déclarer V.G. d'Estaing, que la «France Eternelle» est arrivée à douter de ses racines, de ses constantes et de ses fondamentaux à un point tel pour s'autoriser à courir le risque d'exacerber les haines et de s'adonner à ce jeu puant qui met à l'index l'une des plus importante communautés nationale. Le doute est sérieusement permis et impose de s'interroger sur les raisons non avouées qui ont généré ce débat suspect.

 Dès l'entame de cette prétendue réflexion sur l'identité le décor est vite planté pour des scènes préalablement écrites, des acteurs triés sur le volet et des discours nauséabonds rédigés par des officines douteuses, le tout sous les lambris et les dorures de la république. Le plus ubuesque est que cette parodie de «clarification» est cautionnée sans réserve par des faire-valoir inespérés, ces «sous-ministres» issues de cette émigration venue du sud.

 Quel système politique de par le monde aurait pu initier pour conquérir ou reconquérir une parcelle de Pouvoir local ou National en introduisant dans l'argumentaire politique à consommation interne la variable Emigration ? La réponse est très vite trouvée : toutes les droites qui lorgnent sur les voix des extrêmes portées par le Front National (France), la Ligue du Nord (Italie), le Nationaldemokratische Partei Deutchlands (Allemagne), le British National Party (Angleterre) et bien d'autres entités, encore plus populiste les unes que les autres, soit tout ce que l'Europe compte de «nationalistes», de xénophobes et de racistes, partisans de la pureté de la race, sinistre idéologie qui a conduit le continent dans un passé récent aux fins fonds de l'horreur bestiale et de la déraison.

 Aller faire son marché aux idées aux fins fonds de la haine, dans cette fange exécrable, c'est faire preuve de peu de considération vis-à-vis de l'espèce humaine et réserver peu de place aux humanités tant adoubées de l'autre coté de la méditerranée. Cela ne peut que concourir à faire porter le fardeau de tous les maux dont souffrent les sociétés occidentales sur le dos des migrants qu'ils soient clandestins, en règle avec les lois en vigueur ou même naturalisés de longue date et dont la descendance possède de plein droit la nationalité du pays d'accueil avec tout ce que cela comporte de droits et de devoirs.  

QUAND LES «FAUVES» SONT LÂCHES

Cette mise en scène pathétique, dans un tel contexte de haine, autorise toutes les dérives, y compris au sommet de l'Etat. L'avant goût a été servi très tôt déjà par le Ministre de l'Intérieur, lorsqu'en septembre 2009, à l'université d'été du Parti Présidentiel (U.M.P.), Brice Hortefeux se permit devant un aréopage d'élus et de militants de droite, français d'origine et bon teint, de faire une vanne douteuse sur un petit beur qui pourtant «boit de la bière et mange du cochon», comme avait jugé bon de le présenter une militante du cru.

 Monsieur le Ministre affirma alors que vu sous cet angle, «il ne correspondait pas du tout au prototype» et conclut avant de se soustraire à la caméra en provocant l'hilarité de François Copé, Président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, «il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes».

 Cet aspect de la connivence a été rappelé à ce dernier le mardi 01 février 2010 lors de la session de questions au gouvernement par le député socialiste Didier Mathus qui l'interpella en lui signifiant à peu prés en ces termes «souvenez-vous M. Copé que vous avez été surpris par une vidéo en train de vous esclaffer, forme d'approbation, à la blague du Ministre de l'Intérieur».

 Il s'en est suivit un buzz énorme sur la toile qui s'est malheureusement terminé en queue de poisson, sans excuses ni mise au point particulière. Bien mieux, les sous-ministres de service issues de l'émigration, dont il est question plus haut, se sont précipitées à son secours pour dédouaner l'auteur de cette «galéjade», de toutes formes d'intentions xénophobes ou de sentiments racistes. Pourtant le comportement de Brice Hortefeux ne plaide nullement en sa faveur. Le personnage est haut en couleurs, au sens propre comme au figuré. Initiateur de la culture du chiffre dans le rapatriement des «clandestins» par avions charter, il n'en est pas à son unique dérapage. Sa parole est maîtrisée et ses cibles bien choisies. Azzouz Begag, ancien Ministre délégué chargé de la Promotion et de l'Egalité des chances dans le gouvernement Villepin a eu tout le loisir pour l'observer et le subir, deux années durant. Il a ciselé son image dans le marbre, l'a consigné par écrit et relever les signaux plus qu'ambigus que ce Ministre de l'Intérieur de la France actuelle lance régulièrement à l'extrême droite.

 En Conseil des Ministre il poussa l'audace en signifiant à Begag par le geste qu'il lui trancherait la gorge sans aucun état d'âme. Au vu de l'ensemble de son «œuvre», il serait suicidaire de ne pas le prendre au sérieux et de le croire incapable d'un tel geste. Plus prés encore, c'est Jean Claude Gaudin, le Sénateur Maire fantasque et «goguenard» de la ville de Marseille, supposé ami des arabes, de se laisser aller à ces phrases ambiguës et limite criminelles qui jettent en pâture aux hyènes toute une communauté enracinée de longue date dans les Bouches du Rhône et qui dispose pourtant du sacro-saint droit de vote.

 Dans une posture étrange et avec son accent à la Fernandel il ne se gêna pas de faire publiquement du pied à l'électorat du front national en fustigeant avec outrance les jeunes d'origine maghrébine et africaine. Il leur reproche leur engouement, trop voyant à son goût, pour l'Equipe Nationale d'Algérie, chose qui parait-il fait tâche en Gaule et met en péril la quiétude du pays d'Astérix. Là où tout un chacun voyait une jeunesse composée de Français qui supportaient peut être un peu trop bruyamment la victoire du pays d'origine d'une partie de leurs aînés, le Maire de Marseille lui s'est senti envahi par des hordes de «jeunes musulmans qui avaient l'outrecuidance de ne pas arborer de drapeaux français». Cherchez bien où se loge l'erreur !

 Cette atmosphère délétère ouvre grandes les brèches à toutes les surenchères et autorise le racisme de concierge de bien des élus à s'étaler au grand jour. Encouragé par le comportement de ces personnages de premier plan, un certain Elie ABOUD, quatrième ou cinquième couteau de province, sans envergure aucune, député U.M.P. du lointain département de l'Hérault est lui aussi rentré dans la danse. Prenant appui sur un anti-islam à la fois primitif, séculaire et revanchard, il a déposé devant l'Assemblée Nationale un projet de loi devant interdire d'arborer des drapeaux autres que français lors des cérémonies de mariage. Etaient visés par ce projet d'oukase la «horde» qui trouble la quiétude de cette paisible ville de Montpellier et qui est composée comme de bien entendu de Français d'origine algérienne, tunisienne et marocaine.

 Récemment encore, voyant que son entreprise faisait un flop inédit et inattendu (seuls 22% des français approuvent le débat sur l'identité), le Besson, pour se remettre en exergue, a rajouté une couche, approuver en cela par toute la droite vindicative, en refusant par décret la Nationalité à un étranger marié à une Française, sous le motif (qui reste à prouver) que ce dernier obligerait son épouse à porter le voile intégral. Sans cautionner le moins du monde la bêtise monstrueuse et le comportement débile de ce demandeur aux références religieuses douteuses qui sont à mille lieux de refléter la noblesse des valeurs de l'Islam et ses commandements originels, cela n'autorise en rien, surtout pas dans un pays de droit, à fouler la législation en vigueur. Pour plaire au prince, il n'a pas hésité un seul instant à clouer au pilori, «sur la base, semble t'il, d'une rumeur», un pan entier de la société française en initiant la confusion et l'amalgames. C'est par de tels procédés que la France d'aujourd'hui se rapproche dangereusement et philosophiquement de cette France coloniale à la haine tenace, qui habite l'histoire et dont le souvenir est encore vivace dans les mémoires. Il y a réellement danger !

QUAND L'INDIGNATION DEVIENT SELECTIVE

Ceci conduit légitimement à s'interroger sur ces indignations sélectives qui font se lever comme un seul homme la classe politique française (pas le peuple français), toutes couleurs confondues, lorsque G. Frêche, Président du Conseil Régional du Languedoc-Roussillon, tacle un dinosaure du P.S. en l'occurrence Laurent Fabius en usant d'une expression courante et somme toute consacrée par la langue française en ces termes : voter pour ce mec en Haute Normandie me poserait un problème. Il a une tronche pas catholique.

 Sur cette base, G. Frêche, qui n'a pourtant jamais caché son obédience pour le sionisme, son amour pour le peuple juif et son attachement pour l'Etat d'Israël, mieux que cela, il l'a même consigné dans ses écrits, fût traité d'antisémite primaire au motif que Fabius a des origines juives. Un faux procès d'intention et une campagne indigne et suspecte se sont installés sans raison valable dans le débat électoral. Le Parti Socialiste, contre l'avis de ses militants de base, de concert avec toute la Droite réunie et la variante rose pâle de la gauche, s'attaque avec une violence inouïe à l'élu languedocien afin de le discréditer et lui faire perdre son siège de Président de Région. Comme elles sont suspectes ces réactions à géométrie variable qui se débarrassent de toute pudeur et retenue quand il s'agit de musulmans et qui retrouvent très vite le sens de la mesure et les vertus de la morale dès lors qu'on parle des autres communautés composant la société française d'aujourd'hui et protégées par de puissants lobbys.  

QUAND L'ISLAMOPHOBIE S'INSTALLE

En parallèle, cette même classe politique qui s'indigne ici, trouve légitime ailleurs de stigmatiser dans un exercice que d'aucun qualifie de politique-distraction l'accoutrement vestimentaire que portent environ un millier de «musulmanes», pour la plupart d'entre-elles fraîchement converties (observations et statistiques des services de renseignement français). Parce que le but est de provoquer la crainte et d'exacerber les peurs, tout est décliné dans l'approximation, par ignorance parfois mais souvent à dessein: le voile intégral, la burqa ou le nikab. Pourtant toute la bien pensante est convaincue que cette incongruité vestimentaire et ces déviances à répétition n'ont aucun rapport avec les préceptes de l'Islam, mais rien n'y fait, le débat a déboulé avec fracas dans les médias et les milieux politiques engendrant un discours islamophobe à peine voilé. L'objectif inavoué de la démarche est de susciter chez le français ordinaire un sentiment de rejet sans jamais trouver une réponse au pourquoi de la méthode, ni cogiter sur l'alpha et l'oméga de la question.

 Emprunté à la stratégie de la vente concomitante, cette démarche constitue en vérité une variante des eaux troubles du débat sur l'identité nationale introduit par Eric Besson, personnage politique au sourire figé sur un profil triste, plus proche de ces rictus que provoque la douleur d'une poussée hémorroïdaires permanente que d'un signe avenant. Ce comportement grégaire qui caractérise nombre d'hommes de pouvoir dans la France d'aujourd'hui rend équivoque toute intervention constructive et décrédibilise toute action politique viable en faveur d'une intégration intelligente et féconde. Il ne suffit pas de débaucher les «grandes gueules» des cités de banlieue ou les seconds couteaux de l'opposition pour s'attirer la sympathie ou l'adhésion de ceux qui, il n'y a pas si longtemps encore, furent traités de «racaille» par les uns ou d'appoint électoral pour les autres.

 Même lorsqu'il sera clos, ce débat aura atteint son objectif. Il portera toujours une trace profonde habitée par la malveillance et ce sentiment de rejet qui viendra se loger insidieusement dans l'inconscient collectif, là où sommeillent les vieux démons. A chaque fois qu'on évoquera alors des noms et des prénoms «pas catholiques», à consonance maghrébine ou africaine, le monstre se réveillera à coup sûr et ce jour là, bonjour les dégâts !

(*) Universitaire (U.M.C. - Constantine)