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L'immigré clandestin: un étrange destin

par Notre Bureau De Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Après l'expulsion par la France et l'Angleterre, sous les feux des caméras, de 27 Afghans la semaine dernière, le Conseil européen du 30 octobre a décidé d'organiser des vols charters pour rapatrier les immigrés clandestins. A court de projets politiques pour ses citoyens, l'Europe vieillissante cède aux démons de la xénophobie. L'Organisation internationale des migrations (OIM) de l'Onu cite, pour l'année 2008, le chiffre approximatif de 3 millions d'immigrés clandestins dans les pays de l'UE. Soit environ 1,6% de la population globale de l'Union qui frôle, elle, les 500 millions. C'est autour de ces trois millions d'êtres humains qui vivent «cachés» au sein des 27 Etats membres de l'UE que se cristallise aujourd'hui le discours politique en Europe, se construisent les batailles électorales et vivent les médias à sensation. Effet de loupe, même si le problème de l'immigration clandestine est vrai, réel et sensible tant il est par-dessus tout humain. Les chefs d'Etat et de gouvernement viennent de décider, lors du Conseil européen du 30 octobre, d'organiser des vols communs pour le rapatriement des clandestins. Le Conseil s'engage pour «une réponse européenne déterminée, fondée sur la fermeté, la solidarité et la responsabilité partagée, conformément au Pacte européen sur l'immigration et l'asile», est-il énoncé dans le point 37 du communiqué final. C'est la suite logique du pacte sur l'immigration, proposé par la France, et adopté en décembre 2008 par le Conseil sous présidence française. La Commission européenne est chargée par le Conseil d'élaborer des propositions concrètes (juridiques, techniques et de financement) dès le début 2010, soit dans deux mois. Quant à l'agence de protection des frontières extérieures de l'UE, FRONTEX, il lui est demandé de mettre en place des propositions opérationnelles (moyens matériels, techniques, humains...).

 En gros, la politique de lutte contre l'immigration clandestine se résume, pour l'Europe, en la mise en place de mesures protectionnistes à ses frontières externes et d'organisation de vols charters communs pour ceux qui seront interceptés à l'intérieur de ses frontières. Cette «stratégie» mise en place par l'Europe n'est pas en soi exceptionnelle. Elle y est pratiquée depuis bien longtemps par certains Etats. Ce qui interpelle, c'est la persistance de l'approche du problème d'abord et surtout sous l'aspect sécuritaire et policier. Ensuite, l'absence d'une concertation franche et sérieuse avec les pays pourvoyeurs et de transit des flux migratoires.

 Dans le communiqué final du Conseil européen du 30 octobre, il est fait référence à un seul pays: la Libye. Le Conseil «invite la présidence et la Commission à intensifier le dialogue avec la Libye sur la gestion des flux migratoires et sur les mesures à prendre... y compris la coopération en mer, le contrôle aux frontières et la réadmission» (point 40 alinéa 3). La Libye est avec le Maroc les deux seuls pays de la rive sud Méditerranée qui ont accepté d'installer chez eux des centres de rétention financés par l'UE (5 millions d'euros). La question de la concertation franche et juste avec les pays sud Méditerranée est inévitable tant les instruments institutionnels, accords et autres conventions existent. En plus des accords d'association, il existe le cadre de la fameuse Union pour la Méditerranée (UPM), voulue et lancée par la France de Sarkozy, c'est-à-dire le pays qui est à l'origine du pacte sur l'immigration et depuis le 30 octobre derrière les «vols charters communs». Autrement dit, la France de Sarkozy qui a vanté les avantages partagés de l'UPM comme cadre de négociation avec les pays du Sud, l'ignore lorsqu'il le faut. Et, y a-t-il de plus stratégique, politique, économique et humain que la question de l'immigration entre le Nord et le Sud aujourd'hui pour être traitée du seul point de vue de l'Europe ?

 Depuis les années 70, l'immigration est au centre des négociations et de la diplomatie entre l'Europe et les pays du Sud, et depuis ce temps elle est traitée sous le seul angle de vue européen en fonction de ses seuls intérêts. Le résultat est aujourd'hui catastrophique d'abord pour les pays du Sud. En Europe, l'immigration est devenue, en plus d'une machine économique à bon marché et un bonus démographique, un enjeu électoral pour tous les partis politiques. Dans quelques mois, vont se tenir des forums, conférences, débats... sur l'urgence pour l'Europe au rajeunissement de sa population (main-d'oeuvre plutôt). L'Italie a déjà annoncé qu'il lui faut «importer» 350.000 immigrés par an jusqu'à 2050 pour, juste, maintenir son équilibre démographique (et économique) d'aujourd'hui. L'Allemagne, la France, l'Espagne et l'Angleterre sont dans le même besoin. Alors, 3 Afghans dans un avion renvoyés vers un enfer, c'est pas sérieux ! Et même 100 avions par an pour mille clandestins ne donneront pas plus de sécurité aux citoyens européens, ni plus d'emploi ou de joie de vivre.