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Footeux pays !

par El-Houari Dilmi

Le ballon, aussi rond soit-il, aurait été le premier à faire tourner l’homme autour de lui-même que la Terre perdrait son souffle à tout le temps vouloir rattraper le Soleil sans jamais pouvoir le toucher du bout... du pied... Parce que plus que toutes les religions, le football serait-il le nouvel opium des peuples qu’il adoucirait les moeurs bien mieux que la «chose» politique, cette science «occulte» qui se joue du destin des autres par procuration détournée. Tenant de la morale improbable d’une bouteille jetée à la mer, c’est l’histoire tout aussi vaporeuse d’une lettre écrite à l’encre sans tain, retrouvée dans un ballon crevé et jeté au coin d’un terrain encore plus vague que le destin flou du pays, footeux jusqu’à la crise apoplectique collective.

Pour percer le contenu cabalistique de la missive, l’on fera appel au père inconsolable d’un supporter tué d’un ballon trop pointu dans le dos, un invalide de la guerre post-moderne du football-soccer, un jouer qui a gâché sa carrière à courir après son but et un entraî neur qui se retrouve nez à nez avec son destin sonnant pour finalement louper lamentablement son pain trébuchant. A trois, ils auront pour mission (im)possible de potacher sur le contenu indécodable de la lettre avant de rédiger une feuille de match (qui sera jamais joué) sur laquelle ils attesteront de leur «invention» dans une langue peu intelligible au commun des footeux.

Avec une loupe aussi grosse qu’un télescope géant, le supporter, l’invalide, le joueur et l’entraîneur se regarderont chacun dans la main de l’autre pour enfin trouver un sens au contenu de la lettre, retrouvée enfouie dans un ballon crevé. Dans la lettre il était écrit, mot pour mot, exactement ceci:» Vous peuple de ma chère et footeuse patrie, vous qui êtes dans l’air du temps avec un beau pays et un aussi joli drapeau qui vous montent la tête jusqu’à vous rendre gorge, je vous appelle à ne pas cacher votre grosse tête dans un ballon en cuir recyclé, et laisser tout votre corps sans défense exposé aux quatre vents. Mais comme vous le savez sans doute, un ballon est généralement rempli d’air, ce qui suppose que vous courez après le vent, et donc, de tourner encore et toujours en rond, jusqu’au tournis total. La girouette ne pouvant à elle seule justifier l’existence du vent, le ballon ne peut lui non plus, dans sa triviale rotondité, jouer au cache-misère éternel.

Le match opposant le pays à ses propres démons ayant commencé il y a quarante-sept ans sans risquer de prendre fin un jour qui ne viendra peut-être pas, le divorce d’avec son destin confisqué ne peut guérir à l’ombre d’une vie sans but. Mais comme un rêve, aussi fou soit-il, est souvent plus appétissant qu’un morceau de pain sec, le peuple, même avec le ventre creux, peut bien hurler de plaisir de voir un ballon atteindre enfin son but plutôt que suivre du regard un pays toujours à se protéger contre les balles tirées par sa propre main.

Certain de votre  foi inébranlable dans les dieux du football et en vos surprises à venir qui ne manqueront pas de vous boulonner jusqu’à vos têtes trop rondes, croyez, cher peuple footeux, en mes glapissantes et pharaoniques salutations».