Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le prodigieux triomphe de l'étendard de l'islam à travers le monde

par Meriem Mahmoudi*

«Celui-là (le Prophète) a remué des armes, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d'hommes sur un tiers du globe habité, mais il a remué des armes de plus des autels, des dieux, des religions, des idées, des croyances, des âmes, il a fondé sur un Livre, dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toute langue et de toute race, et il a inspiré, pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux, et la passion du Dieu Un et immatériel» Alphonse de Lamartine.

Du golfe Persique à l'océan Atlantique, les musulmans célèbrent avec ferveur le mois sacré du Ramadan: le mois, de la réfection et de la spiritualité. En ce mois de septembre 2009, les musulmans du monde entier vivent au même rythme, mènent une vie empreinte de dévotion, de profond recueillement, d'altruisme et de générosité. De l'aurore au coucher du soleil, ils sont astreints au jeûne, à la prière, aux veillées nocturnes et à la récitation du Coran.

 Au moment des prières, un milliard et demi de musulmans, tel un seul homme, le visage tourné vers La Mecque, accomplissant fidèlement les mêmes gestes rituels, avec un libre don de soi dans la confiance et la foi, se prosternent avec émotion, devant Dieu l'Eternel. La ferveur de leur foi témoigne que le message de l'islam est aussi, sinon plus omniprésent qu'il y a quatorze siècles.



A la fin de sa vie, le Prophète Mohamed (QLS) est reconnu, à la fois, comme guide spirituel des musulmans et chef du peuple arabe, ayant uni en une seule nation, les tribus traditionnellement anarchiques de l'Arabie. «Le secret de son étrange pouvoir de se gagner les hommes réside, en grande partie, dans une souplesse d'intelligence qui ne fut jamais esclave de principes rigides. Il a eu le courage de revenir sur des positions qui ne pouvaient plus être maintenues avec avantage... cette intelligence, caractéristique de tous les grands organisateurs» permet à cet homme exceptionnel de fonder une communauté religieuse, politique et sociale. Ses successeurs cumulent les mêmes pouvoirs politique et religieux que lui et sont également des chefs de guerre qui entraînent leurs hommes dans de grandes expéditions militaires. Le calife Abou Bakr déclenche un grand mouvement d'extension qui revêt un caractère particulier, celui de guerre sainte: il faut partout répandre la nouvelle religion, convertir les «infidèles» serait-ce par la persuasion, la contrainte ou le fer. Tel est le principe qui arme le bras de l'islam pour quelque temps, et pour une expansion religieuse extraordinaire. Les textes historiques mettent l'accent sur l'immensité de l'empire qui s'est formé à la suite de toutes ces expéditions militaires, l'un des plus vastes qui aient jamais existé. «Un siècle plus tard, les Arabes, animés par la nouvelle foi, avaient conquis un empire plus vaste que celui des Romains.»

 

L'islamisation des territoires s'échelonne, environ, sur une centaine d'années, de 632 à 732. Les archives consultées mentionnent que cette islamisation s'exerce, en premier lieu, sur les pays les plus proches de la péninsule arabique, à savoir la Palestine, la Syrie, qui tombe après la bataille de Yarmouk en 632, l'Arménie et la Perse, en Asie. La bataille de Néhavend que les armées arabes livrent aux armées de l'empereur de Perse, en 642, est une éclatante victoire pour elles: la Perse presque entière, en peu de temps, tombe sous leur bannière. L'avancée des musulmans continue et atteint l'Egypte qui sera conquise par Omar Ibn Al-As. Ce pays devient alors la base de départ pour la Libye et la côte maghrébine; là encore les troupes remportent des victoires qui sont souvent éclatantes, cependant les sources historiques mettent, en effet, l'accent sur la décadence entamée de l'empire d'Orient, de la Perse et sur la faible résistance des populations rencontrées. Allant de victoire en victoire, et jusqu'à l'année 710, les armées musulmanes, désormais renforcées et subjuguées par leur fulgurant succès, ne cessent de pousser leur offensive et font de nouvelles conquêtes. Elles s'avancent jusqu'aux frontières de l'Inde et de la Chine vers l'est. Vers l'ouest et pendant la même époque, elles s'emparent du Maghreb et de l'Espagne, laissant flotter le victorieux étendard de l'islam là où elles passent.

 Cependant, à partir de l'année sept cent dix, les campagnes que ces armées mènent deviennent de plus en plus difficiles, leur fougueux élan se trouve ralenti et leur avancée cesse peu à peu. On peut, avec intérêt, lire dans les archives que deux importantes défaites ont signifié cet arrêt. En sept cent dix-huit, une armée musulmane qui assiège Byzance, malgré maintes tentatives, doit se replier. Les armées musulmanes envahissent la Gaule; arrivant aux portes de Poitiers, en sept cent trente-deux, elles sont vaincues par Charles Martel qui les force à retourner de l'autre côté des Pyrénées. Ces guerres d'expansion religieuse, ordonnées par les premiers califes, sont faites par les Arabes eux-mêmes par la suite, ces armées que l'on appelle arabes sont plutôt des armées musulmanes: en effet, elles ne comportent qu'une minorité d'Arabes, leur effectif essentiel se recrute parmi les peuples convertis à l'islam.



L'islamisation de la terre maghrébine est inévitable. Dans l»esprit des compagnons du Prophète, mûrit une pensée, celle que le monde doit être soumis à l'obéissance des commandements de Dieu par les armes si la prédication ne suffit pas. En six cent quarante-sept, soit quinze ans après la mort du Prophète, les Arabes pénètrent au Maghreb. Le combattant de la foi, Sidi Okba, issu de la même tribu que Mohamed (QLS) déploie sur cette région lointaine et inconnue, une armée de dix mille cavaliers, bien montés et bien équipés, renforcée par des Berbères convertis à l'islam. Ce chef de guerre saisit l'importance d'un établissement fixe et cela le conduit à fonder la ville de Kairouan en six cent soixante-dix (Tunisie). C'est la première implantation de l'islam en terre maghrébine. C'est à la fois une ville islamique, un pont pour de nouvelles expéditions et un jalon sur la route de l'Egypte et du Maghreb. Les archives décrivent Kairouan de la façon suivante. «Je suis d'avis, avait dit Sidi Okba, d'après un historien arabe, de construire une ville qui puisse servir de place d'armes à l'islamisme jusqu'à la fin des temps.» Kairouan se dresse entre l'Egypte qu'elle protégeait et dont la route devait demeurer libre pour le ravitaillement... et les ports de la côte. Kairouan n'était pas seulement une importante place de guerre, elle jouera un grand rôle religieux: c'est de là que partiront les convertisseurs, qui gagneront le Maghreb à l'islam. C'est là qu'il construira la première mosquée faisant de cette cité la ville sainte de l'islam.

 A travers les corpus dépouillés, on s'aperçoit que cette islamisation est longue, difficile, à plusieurs reprises les Arabes lancent des expéditions en Berbérie, cependant, ce pays se trouve bien loin de L'Arabie et les autochtones, épris de liberté, leur résistent farouchement.

 Un autre chef religieux, Aboul-Mohadjir, succède momentanément à Sidi Okba dans le commandement des Arabes. Il décide de mener une politique d'islamisation des aborigènes et pousse une pointe aventureuse jusqu'aux abords de Tlemcen. Là, il se heurte à la résistance farouche du chef de la tribu des Aouraba, Kossayla, qui finit par succomber aux assauts meurtriers des nouveaux arrivants qui le capturent.

 

En six cent quatre-vingt et un, les aléas de la politique ramènent Sidi Okba au Maghreb. Le caractère sérieux et véritable de sa piété, sa sincérité dans sa foi en sa noble mission fait qu'il entreprend des combats avec courage et énergie. «Il se lance avec ses troupes vers l'ouest dans le but de convertir ou de détruire les mécréants, disant qu'il ne s'arrêtera que lorsqu'il ne trouvera plus d'infidèles devant lui.» Ces hommes à la foi ardente, le bras armé du glaive au service de la religion, ne sont rebutés ni par les solitudes brûlées du désert, ni par la délicatesse de la tâche. Okba Ibn Nafha «traverse tout le Maghreb. A Tiaret, il détruit une armée d'indigènes, à laquelle s'était joint un reste de troupes grecques et qui prétendait s'opposer à sa marche.»

 Ses chevauchées, à travers le pays, le conduisent jusqu'aux rivages de l'océan Atlantique «où ayant fait entrer son cheval dans la mer, il prend Dieu à témoin qu'il avait accompli son serment puisqu'il n'y avait plus d'ennemis de la religion à combattre.» Sur le chemin de retour, Kossayla, qui s'est fait musulman, attaque Sidi Okba aux environs de Biskra. Ses troupes font preuve de qualités guerrières souvent proches de celles de leurs ennemis à qui ils infligent de sérieuses défaites. Lors de cette bataille, ce valeureux combattant de la foi est vaincu et tué non loin de cette oasis où se trouve son tombeau.

 

Profitant de sa victoire, ce chef berbère habile s'empare de Kairouan en groupant autour de lui des Berbères et des Byzantins, coupant les communications avec l'Egypte. En six cent quatre-vingt-huit, il est vaincu et tué par les Arabes.

 En six cent quatre vingt-dix-sept, pour briser toute résistance, pour disperser tout foyer d'insoumission et de rébellion, le calife de Damas envoie une nouvelle armée. C'est la plus considérable que les musulmans aient jamais réunie contre le Maghreb.



Elle est commandée par Hassane Ibn En-Nomane, gouverneur d'Egypte. Il s'empare, tout d'abord, de Carthage et chasse définitivement les Byzantins du Maghreb. Plus tard, il attaque le massif des Aurès, devenu le centre de résistance des Berbères hostiles, opposants inlassables à l'islamisation. Sous la conduite de Kahéna, les Berbères obligent les troupes musulmanes à se replier jusqu'en Tripolitaine. Ne se décourageant pas, il revient à la charge et parvient à vaincre la Kahéna en sept cent un... Massacres et captivité sont les moyens de la terrible répression qui suivit. Les campagnes sont une nouvelle fois dévastées. Epuisés par les longues luttes, les Berbères se soumettent, acceptent l'islam, mais conservent leur langue.

 

Conquis à la pointe de l'épée, le Maghreb sera une province de l'empire islamique naissant. A partir de ce moment, les Arabes, tantôt par la force, tantôt par l'enseignement de leurs chefs religieux, amènent les populations à verser dans la religion musulmane.

 Pour lire et comprendre le Coran, ils apprennent la langue arabe. Celle-ci supplante le latin qui s'efface progressivement.

 Malgré les résistances, l'islamisation du Maghreb devient de plus en plus profonde. Imposée ou volontairement acceptée, la religion musulmane est, dès le 10e siècle, adoptée par la plupart des populations. «La guerre sainte prêchée par Mohamed était dirigée contre les Arabes païens de la péninsule. Il ne semble pas... que le Prophète ait même soupçonné l'extraordinaire expansion que l'islam allait prendre après lui.»



Comment pouvons-nous achever ce message sans rendre un fervent hommage à un grand homme, Alphonse de Lamartine qui brosse le portrait suivant du Prophète. «Jamais homme ne se propose, volontairement ou involontairement, un but plus sublime, puisque ce but était surhumain: saper les superstitions entrecroisées entre la création et le Créateur, rendre Dieu à l'homme et l'homme à Dieu l'idée rationnelle et saine de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l'idolâtre.

Jamais homme n'entreprit, avec de si faibles moyens, une oeuvre si démesurée aux forces humaines, puisqu'il n'a eu dans la conception et dans l'exécution d'un si grand dessein, d'autres instruments que lui-même et d'autres auxiliaires qu'une poignée de barbares dans un coin du désert. «Enfin, jamais homme n'accomplit en moins de temps une si immense et si durable révolution dans le monde puisque, moins de deux siècles après sa prédication, l'islam prêché et armé régnait sur les trois Arabie, conquérant à l'unité de Dieu la Perse, le khorassan, la Transoxiane, le Caucase, l'Espagne... Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l'immensité des résultats sont les trois mesures du génie de l'homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l'histoire moderne à Mohamed ? Les plus fameux n'ont remué que des armes, des lois, des empires; ils n'ont fondé (quand ils ont fondé quelque chose) que des puissances matérielles écroulées avant eux. Celui-là a remué des armes, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d'hommes sur un tiers du globe habité, mais il a remué des armes de plus des autels, des dieux, des religions, des idées, des croyances, des âmes, il a fondé sur un Livre dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toute langue et de toute race, et il a inspiré, pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux, et la passion du Dieu Un et immatériel.



Ce patriotisme, vengeur des profanations du ciel, fut la vertu des enfants de Mohamed; la conquête du tiers de la terre à son dogme fut son miracle, ou plutôt ce ne fut pas le miracle d'un homme, ce fut celui de la raison. L'idée de l'unité du Dieu proclamée dans la lassitude des théologies fabuleuses, avait en elle-même une telle vertu, qu'en faisant explosion sur les lèvres elle incendia les vieux temples des idoles et alluma de ses lueurs un tiers du monde.

 Sa vie, son recueillement, ses blasphèmes héroïques contre les superstitions de son pays, son audace à s'affronter les fureurs des idolâtres, sa constance à les supporter quinze ans à La Mecque, son occupation du rôle du scandale public parmi ses compatriotes, sa fuite enfin, se prédication incessante, ses guerres inégales, sa confiance dans les succès, son ambition toute idée, sa sécurité surhumaine dans les revers, sa longanimité dans la victoire nullement d'empire, sa prière sans fin, sa conversation mystique avec Dieu, sa mort et son triomphe après le tombeau attestent plus qu'une imposture, une conviction.

 

Ce fut cette conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme. Ce dogme était double: l'unité de Dieu et l'immatérialité de Dieu, l'un disait ce que Dieu est, l'autre disait qu'il n'est pas, l'un renversant avec le sabre des dieux mensongers, l'autre inaugurant avec la parole une idée. Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d'idées, restaurateur des dogmes rationnels, d'un culte sans images, fondateurs de vingt empires terrestres et d'un empire spirituel, voilà Mohamed. A toutes les échelles où l'on mesure la grandeur humaine, quel fut le plus grand ?»(1)



*Bibliothèque nationale annexe «Jacques Berque» Frenda».

 

Bibliographie

- La pensée musulmane; éditions du ministère de l'Enseignement originel et des Affaires religieuses 25 mars-5 avril 1974 TII.

- Mohamed, sa vie et sa doctrine, Tor Andrae, traduit de l'allemand par Jean Gaudefroy-Demombynes. Librairies d'Amérique et d'Orient.

- La Libye, Hervé Gueneron, Que sais je ? Presse universitaires de France.

- Histoire de l'Algérie des origines à l'indépendance.

Oran et l'Oranie avant l'occupation française Camille Kehl, société de géographie et d'archéologie de la province d'Oran.

(1)   La pensée musulmane T2 p 213, texte cité par le docteur Eva de Vitray Meyerovitch France, professeur à la faculté de jeunes filles d'Al-Azhar, le Caire. Membre du Centre national de recherche scientifique Paris.