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Béni-Saf: Mausolée de Béni-Rhénane, une richesse à restaurer

par Mohamed Bensafi

Les innombrables siècles n'ont pu avoir raison de ce magnifique musée historique et dont plusieurs ouvrages historiques et archéologiques lui ont été consacrés depuis le dernier siècle. Il s'agit du mausolée royal de Béni-Rhénane.

Coincé à 220 m d'altitude en surplomb du site de l'antique capitale numide, le monument coiffe le sommet d'une colline dominant la basse vallée de la Tafna, sur sa rive droite, à 4 km de son embouchure et à 12 km au sud-ouest de Béni-Saf. L'accès au site est favorisé par trois chemins. Une route carrossable à partir de Béni-Saf, vers le sud, via la carrière de pouzzolane, une autre difficilement carrossable, en pente raide, serpentant le flanc sud de la colline à partir du village de Béni-Ghanem et une troisième piste, un sentier battu, serpentant le flanc Est de la colline à partir du lieu-dit Sidi-Mahdi.

Et selon le président de l'association Siga (Oulhaça), Miloud Mohamed, des profanateurs ont, vers 2004, tenté des percées dans le souterrain qui, à notre humble avis, portent attente à la stabilité du monument. Apparemment ces profanateurs étaient à la recherche d'une hypothétique chambre secrète et donc d'un trésor. Cette transgression a été à l'époque signalée aux personnes concernées, mais rien n'a été fait depuis. Cependant le monument fut dégagé et fouillé par G. Vuillemot, un chercheur historien français, au début des années 60. Avant cette date, il était enfoui sous un volumineux amas de bloc de pierres que les habitants de la région désignaient sous l'appellation de «Kerkar El Araïss» que l'on peut traduire littéralement par le «Dôme des mariées». Une tradition locale qui voulait que les futures mariées fassent plusieurs fois le tour du monticule de pierres pour s'assurer la fidélité de l'époux et le bonheur dans leur vie de couple. Le père Litthielieux, qui s'est penché sur l'Histoire de la région, note que cette tradition était encore vivante vers le début des années 1970.

La dénomination adoptée par Vuillemot est le mausolée royal de Béni-Rhénane selon le toponyme de la plus proche ferme située en contrebas, aujourd'hui le village Béni-Ghanem relevant de la commune de Emir Abdelkader, 15 km à l'ouest de Béni-Saf. Ce monument est en réalité un tombeau en forme de tumulus dont la structure diffère extrêmement des monuments funéraires construits dans la période dite hellénistique à partir du IIIème siècle avant J.C. C'est un tombeau de la dynastie massaesyle attribué à Syphax au IIème siècle avant J.C. Il s'apparente dans son architecture au Medracen. Il s'agit aussi de bien funéraire produit d'une brillante civilisation originale à la fois africaine et méditerranéenne. Ce monument royal, comme bien d'autres sur le continent, présente une sélection d'exemples remarquables de sépultures remontant à des périodes variées et issues de différentes régions. Il témoigne de la diversité des conceptions architecturales et techniques artisanales élaborées au cours de plusieurs millénaires.

Le mausolée royal de Béni-Rhénane est composé de deux parties distinctes, une structure aérienne en pierre de taille et un souterrain. La partie aérienne, la superstructure du monument est une longue galerie de 45 m, composée d'un épais dallage sur lequel prend forme une série de gradins (à trois niveaux) dessinant une forme hexagonale très particulière. Ces derniers supportent un massif de maçonnerie de pierres de taille épousant les contours donnés par les gradins. Les pierres et les éléments d'architecture qui gisent autour du monument permettant d'avoir une idée assez précise de la forme du mausolée avant sa démolition. Il s'agissait, selon F. Rakob (musée Rheinishes de Bonn), d'une importante tour (17 m) coiffée à son sommet d'un édicule pyramidal. Des éléments de décoration empruntés à l'art grec (demi-colonne, chapiteaux, corniche et acrotères) ornaient les façades du monument. La structure souterraine est faite d'un ensemble de 10 chambres voûtées réparties en trois ensembles de caveaux ayant chacun un accès à part. L'accès de la façade Ouest semble être le principal.

La disposition des galeries est faite selon le schéma suggéré par la structure aérienne (alternance d'un côté courbe avec un côté droit). Les chambres sont de même hauteur et largeur, se succédant en enfilade selon un plan qui rappelle la forme particulière donnée par la superstructure.

Le mobilier funéraire retrouvé dans différentes chambres atteste du caractère collectif du tombeau. C'est, selon toute vraisemblance, une tombe dynastique des rois et princes massaesyles et dont la construction devait coïncider avec la période de règne de Syphax, mort en exil à Rome, vers 200 avant J.C. Dans la structure souterraine, le souterrain est une longue galerie de 45 m serpentant sous la limite extérieure du dallage selon le schéma suggéré par la structure aérienne (alternance de côtés courbes et droits). A l'origine, cette galerie était répartie en trois compartiments cloisonnés. On accédait à chaque compartiment, séparément, par l'intermédiaire d'un puits donnant sur une porte à herse. Aujourd'hui, il est permis de parcourir la galerie, d'une extrémité à une autre, grâce aux ouvertures pratiquées dans les murs de cloisonnement par des pilleurs. Des ossements et un maigre mobilier funéraire cassé, éparpillé dans les chambres et à l'extérieur du monument, sont des indicateurs de la destination sépulcrale du monument.

La multitude de chambres (au nombre de 10) montre le caractère collectif du tombeau. C'est, vraisemblablement, une tombe dynastique des rois et Aguellids massaesyles qui régnèrent sur la région. Quant à sa profanation, selon le constat de G. Vuillemot, le monument a fait l'objet d'une destruction volontaire dès l'antiquité probablement lors de l'annexion de Siga au Royaume maure de Bocchus II en 105 avant J.C. Le mausolée a subi une ultime profanation en 2004, lorsque des individus, armés de pics, s'acharnèrent sur le dallage et les caveaux à la recherche d'une chambre secrète. Leurs dégâts sont considérables car pouvant nuire à la stabilité du monument (un puits profond fut creusé à hauteur de la chambre principale). Des pierres du mur furent arrachées pour permettre le creusage d'une excavation horizontale vers l'intérieur du monument. «Il n'en reste pas moins que le monument de Béni-Rhénane occupe une place intermédiaire entre les monuments circulaires - qui semblent puiser leur inspiration dans les pyramides d'Egypte - et les monuments à étages qui peut-être par l'intermédiaire des tombeaux de Sicile comme celui de Thenon ou comme les tombeaux princiers du Moyen-Orient s'inscrivant dans la série de tombeaux imités de près ou de loin de celui d'Halicarnasse, ou à travers ceux des successeurs d'Alexandre», avait souligné l'archéologue français dans l'un de ses travaux.

Avant de faire une autre remarque, la disposition de la galerie ne suit pas complètement le contour donné par la superstructure puisqu'il manque des chambres sous les façades nord-est et Est. Malgré sa complexité, on peut ranger le monument en question dans la catégorie des tombeaux bâtis de l'époque hellénistique dont plusieurs ont été fouillés sur la côte algérienne à Tipaza ou aux Andalouses. Des rapprochements peuvent se faire avec les monuments berbères datant des trois derniers siècles avant J.C. Avec le Mausolée royal de Maurétanie, il partage les éléments de décoration telle la corniche moulurée à gorge égyptienne, les colonnes relevant de l'ordre ionique et l'emploi du plâtre pour joindre toutes les pierres. Dans le Medracen, les fausses portes sont distribuées suivant un dispositif triangulaire équilatéral comme le sont celles des trois systèmes de l'hypogée.

Pour notre accompagnateur, Mohamed Miloud, le plus urgent est que le mausolée nécessite une restauration, une mission de sauvetage vu la dégradation alarmante de sa structure aérienne. Les blocs de grès finissent par s'effriter au contact de l'air marin et de l'action des pluies. Le souterrain en parfaite conservation nécessite tout de même quelques aménagements consistant en un déblayage des chambres funéraires, leur éclairage et un dégagement des accès menant aux caveaux. D'un autre côté, il est utile de faciliter l'escalade vers le monument en créant des sentiers battus et des pistes carrossables. Il est utile aussi de multiplier des manifestations culturelles et scientifiques sur le site par des journées d'études ou visites guidées tout en organisant des missions officielles de fouilles. Et puis une clôture en Zimmermann et un gardiennage ne seront pas de trop.