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Cas de grippe porcine en Arabie Saoudite: La polémique enfle autour du Hadj

par M. Saâdoune

Un premier cas de grippe porcine a été enregistré en Arabie Saoudite. L'affaire risque d'alimenter la polémique qui enfle entre les religieux au sujet d'un éventuel report du Hadj.

Un premier cas de grippe A (H1N1) a été confirmé en Arabie Saoudite. Il s'agit d'une infirmière de nationalité philippine qui a été hospitalisée à Ryad. Alors que l'Organisation mondiale de la santé estime que le monde se rapproche d'une « pandémie » de grippe porcine, la nouvelle, annoncée hier par le ministre de la Santé saoudien, Abdullah Al-Rabiah, ne va pas manquer de susciter de vives inquiétudes. C'est qu'on est à la veille du grand rush de la Omra, en période de Ramadhan, qui sera suivie par le grand pèlerinage. Ces dernières années, la Omra en période de Ramadhan a drainé un nombre considérable de pèlerins, qui se rapproche en nombre du rush planétaire du grand pèlerinage. Si le système de prise en charge sanitaire mis en place par les Saoudiens s'est révélé, de l'avis de beaucoup d'experts, assez efficace pour prendre en charge les problèmes de santé courante posés par l'afflux de pèlerins, il n'est pas évident qu'il le sera pour une épidémie. Prendre les dispositions pour détecter les porteurs de virus à leur arrivée en Arabie Saoudite est bien entendu la démarche qui semble la plus rationnelle, mais elle n'est pas nécessairement efficace. Le problème sera beaucoup plus ardu, dès le Ramadhan, avec l'afflux des centaines de milliers de personnes qui viennent effectuer la Omra durant le mois sacré. Et il le sera encore davantage durant le grand pèlerinage avec des hommes et des femmes venus de tous les coins du monde.

 

La terre sainte, plate-forme de propagation ?

 

La terre sainte pourrait se retrouver, malgré elle, comme une plate-forme de diffusion du virus à l'ensemble des pays musulmans. L'OMS ne recommande pas des restrictions de voyages qui n'empêcheraient pas le virus de se propager, tout en perturbant le fonctionnement de la communauté mondiale. Il s'agit d'une recommandation pour le flux normal des voyageurs, l'Organisation mondiale estimant qu'il faut chercher à en limiter l'impact en repérant rapidement la maladie et en offrant des soins adéquats aux malades. L'organisation précise que la détection des signes et symptômes de la grippe peut être une « technique de surveillance efficace », elle n'aide pas « à limiter la propagation de la maladie car le virus peut se transmettre d'une personne à une autre avant l'apparition des symptômes ».

Voilà qui donne une idée de l'ampleur du risque qui se pose pour le rassemblement planétaire qui se déroule en terre sainte. Le cas de l'infirmière philippine est déjà exemplaire. A son arrivée à l'aéroport de Ryad, vendredi, après des vacances dans son pays, elle ne présentait aucun symptôme de la maladie. Ils ne sont apparus, indique le ministre saoudien de la Santé, que trois jours plus tard. Par extrapolation, on peut imaginer ce qui est susceptible d'arriver lorsque plus de deux millions de personnes vont se retrouver dans une forte promiscuité sur des espaces restreints autour du Haram mecquois, à Arafat et à Mina.

 

L'Egypte pourrait mettre les pèlerins en quarantaine



La possibilité d'une transmission du virus avant même l'apparition des symptômes chez la personne atteinte est donc très forte. Sur le site du ministère du Haj saoudien, on rappelle l'obligation pour les pèlerins de certains pays d'être vaccinés contre la fièvre jaune, la méningite à méningocoques et la poliomyélite et une recommandation générale de prendre le vaccin saisonnier contre la grippe. Si ce dernier est utile, il n'est d'aucun secours pour la grippe porcine. L'OMS doute d'ailleurs que « les dépistages d'entrée et de sortie permettront de réduire la propagation de cette maladie », même si elle considère que « les mesures appliquées à l'échelle nationale pour faire face à un risque de santé publique sont du ressort des autorités nationales ».

Pas de quoi rassurer donc sur le fait que la Omra du Ramadhan et le pèlerinage seront sans risque. L'Egypte, qui a enregistré, mardi, son premier cas avec une petite fille de douze ans arrivée des Etats-Unis, s'inquiète ouvertement des risques. Le ministre égyptien de la Santé, Hatem al-Gabali, a mis en garde contre les risques de propagation pour les millions de pèlerins musulmans qui se rendent en Arabie Saoudite. Dans une interview publiée hier par le journal Al-Masri Al-Yom, il estime que le gouvernement ne pouvait interdire aux quelque 600.000 pèlerins égyptiens de se rendre à La Mecque. Par contre, il a évoqué la possibilité que ces pèlerins soient mis en quarantaine à leur retour. « Nous pourrons ouvrir une quarantaine et dire : personne ne retournera chez lui d'Arabie Saoudite... Il y a une grande possibilité» que la grippe A (H1N1), qui a tué 80 personnes et contaminé près de 10.000 personnes dans 39 pays, atteigne l'Egypte pendant la saison du Hajj et de la Omra ».

Faut-il dès lors, au nom du principe de précaution très clairement admis par la charia d'ailleurs, annuler le pèlerinage cette saison ? Le débat est chez les religieux, les « civils » n'osant se prononcer sur une question aussi délicate. Le mufti de la République en Egypte, Cheikh Ali Gomaa, a appelé à un « ijtihad » entre toutes les institutions religieuses reconnues dans le monde islamique pour décider d'un éventuel report de l'accomplissement de la Omra et du pèlerinage cette année en raison de la propagation de la grippe porcine. Cette idée a reçu l'appui du grand mufti de Dubaï, Cheikh Abdelaziz Haddad, qui a recommandé aux fidèles de « reporter les Omras de deux à trois semaines jusqu'à la stabilisation de la situation ». Il a également recommandé un « éclaircissement des rangs » durant les prières collectives et de prier à l'air libre plutôt que dans des endroits fermés. Mais ces appels ont été largement rejetés par de nombreux dignitaires religieux qui estiment qu'aucune raison n'est valable pour retarder ou annuler l'accomplissement d'un pilier de la religion.

Le mufti d'Arabie Saoudite, cheikh Abdelaziz Ben Abdallah Al-Cheikh, a critiqué les discours alarmistes sur la grippe porcine. « Pourquoi ceux qui appellent à reporter le Haj et la Omra ne demandent-ils pas également l'arrêt des voyages vers l'Europe ? ». Il a estimé que certains laboratoires pharmaceutiques pourraient être derrière le tapage organisé autour de la grippe porcine. D'autres religieux estiment qu'il n'y a pas de fatwa à prendre à ce sujet et que les choses doivent relever de l'appréciation des médecins. La polémique ne fait que débuter...