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A propos de la généralisation de l'anglais dans l'Enseignement supérieur en Algérie

par Mustapha Benmouna*

L'anglais est incontestablement la langue de communication la plus répandue dans le monde. Que l'on soit représentant diplomatique d'un pays, fonctionnaire d'une institution internationale, personnalité scientifique ou simple touriste, on communique partout dans le monde plutôt en anglais que dans n'importe qu'elle autre langue.

Indiscutablement, les revues scientifiques les plus prestigieuses dans nombre de domaines (physique, chimie, mathématique, médecine etc.), pour ne pas dire pratiquement tous les domaines, utilisent l'anglais comme langue de communication. Chaque année, au top classement dans le monde, on trouve systématiquement des universités américaines ou anglaises, sachant que les prix Nobel sont souvent attribués pour des travaux effectués dans ces universités. L'anglais domine largement dans toutes les technologies de pointe, en particulier celles de l'information, de la communication et de l'intelligence artificielle. C'est peut-être la raison pour laquelle les autorités ont décidé la généralisation de la langue anglaise dans l'Enseignement supérieur et assoir, ainsi, les conditions à l'émergence d'une élite universitaire prête à tenir pleinement son rôle dans un monde régi par le savoir, l'innovation, l'action et l'anglais comme langue de communication.

La promotion de l'anglais comme langue d'ouverture sur l'international a toujours été dans l'intention des responsables algériens depuis l'indépendance. On se souvient que le ?British Council' d'Alger avait été encouragé pour promouvoir cette langue au sein de la société jusqu'à la fin des années 80. Cet organisme avait supervisé l'édition de cours complets de langue anglaise, disponibles sur cassettes (en bandes magnétiques) ou sous forme de manuels dans les librairies, à des prix largement abordables. Même les radios et télévisions algériennes s'étaient mises de la partie en diffusant des cours à l'intention du grand public dans un programme bien connu, portant le titre ?Follow me' (traduction : Suivez-moi).

Tous ces efforts en faveur de la langue anglaise n'avaient pas abouti aux résultats escomptés, peut-être parce que l'encrage du français dans la société était plus fort. Pour ce qui est de l'Enseignement supérieur, le ministère faisait face, jusqu'à la fin des années 90, à d'autres urgences qu'à un usage plus étendu de l'anglais à l'université. Il était impératif d'abord de répondre aux besoins croissants en ressources humaines et infrastructures, dus à l'augmentation rapide du nombre d'étudiants.

Dans ce contexte et en examinant le schéma de la langue d'enseignement dans le Supérieur qui prévalait jusqu'en juillet 2023, on constate que le français était majoritairement pratiqué dans de nombreux domaines. Pour fixer les idées, prenons l'exemple de l'université de Tlemcen (qui est représentatif de la majorité des universités dans le pays, à quelques nuances près) où le français était dominant en Sciences exactes, en Technologie, en Sciences de la nature et de la vie et en Médecine. L'anglais était utilisé surtout en post-graduation où les publications exigées dans les thèses de doctorat étaient rédigées presque exclusivement dans cette langue. En ce qui concerne les autres domaines comme les Sciences sociales et humaines, le Droit et les Sciences politiques, les Sciences économiques, les Lettres et les Sciences islamiques, l'enseignement se déroulait majoritairement en arabe, à tous les niveaux (Licence, aster et Doctorat).

Comment peut-on, dans ces conditions, basculer vers une généralisation de l'anglais dans l'Enseignement supérieur à tous les niveaux et dans tous les domaines? Pour l'auteur, une transition rapide peut être effectuée, tant bien que mal, dans certains domaines, mais dans d'autres, un processus progressif aurait été mieux indiqué. En Physique, Chimie, Mathématique, Sciences du vivant et de la nature ainsi qu'en Technologie, une maîtrise moyenne de la langue anglaise permet de s'en sortir assez bien, à condition de faire un effort personnel de perfectionnement. Le souci pour un usage rapide à l'université est moindre dans ces domaines qui sont suffisamment imbibés d'anglais et où la terminologie technique est déjà acquise à la majorité des étudiants. Au niveau du Master, le problème se pose avec plus d'acuité mais reste gérable dans une certaine mesure, étant donné les effectifs limités en comparaison avec ceux de la licence où le problème se pose à la fois dans le grand nombre et le faible niveau en anglais des étudiants. Beaucoup sont déjà soumis au changement de la langue d'enseignement, puisqu'à l'arabe au lycée succède le français à l'université dans plusieurs domaines.

L'introduction brutale de l'anglais en licence risque de compliquer encore davantage la situation et déstabiliser bon nombre d'étudiants de première année, en mal d'adaptation avec le régime universitaire. Toujours selon l'auteur, le risque d'un échec à grande échelle doit être pris en considération, alimenté par le découragement et l'abandon de beaucoup d'étudiants. En médecine, les choses avaient l'air de bien se dérouler en français mettant en évidence de bonnes performances enregistrées dans l'ensemble. A l'échelle nationale, le niveau de cette formation était au top avec des étudiants sélectionnés parmi les meilleurs lauréats du bac et grâce à la disponibilité d'un grand nombre d'infrastructures médicales à travers le territoire national, notamment des hôpitaux, pour assurer une formation pratique adéquate. L'intrusion brutale de l'anglais constituerait plutôt un obstacle à la formation médicale et pourrait avoir des conséquences négatives sur sa qualité. Pour les autres domaines (Sciences sociales et humaines, Economie, Droit), l'exigence de la maîtrise de la langue anglaise est à un niveau nettement plus élevé. Mais là aussi, on constate que les choses se déroulaient bien en arabe et à tous les niveaux.

Ces remarques sont faites dans l'optique d'une généralisation de l'usage de l'anglais à l'université qui est, du reste déjà effective depuis la rentrée universitaire en septembre 2023. Cependant, l'auteur exprime ici un autre point de vue qui ne s'inscrit pas dans cette optique. Pour mieux comprendre cela, il est utile de faire un très bref retour sur l'évolution de la langue d'enseignement en Algérie, en mettant l'accent sur la campagne d'arabisation qui est sûrement une expérience intéressante à méditer. Dans les années soixante et soixante- dix, le français était la langue d'enseignement dominante à tous les niveaux, dans les cycles primaire et secondaire de l'Education et dans le Supérieur incluant les universités et les écoles supérieures.

De gros efforts étaient faits dans les années 80 pour assoir le rôle de la langue arabe dans l'enseignement supérieur, notamment à travers la création au niveau de chaque université d'un département dédié uniquement à cette campagne d'arabisation pour accompagner les étudiants, les enseignants et les personnels administratifs. Quand on regarde la situation qui prévalait en juillet 2023 avec un enseignement majoritairement en arabe, dans beaucoup de domaines, on mesure le chemin parcouru et l'impact des efforts consacrés à l'usage de l'arabe à l'université. L'idée avancée ici est que, tout en renforçant substantiellement l'usage de l'anglais, le choix de l'arabe comme langue d'enseignement dans tous les domaines et à tous les niveaux peut être fait si l'on adopte une stratégie appropriée pour améliorer la qualité des programmes dans le fond et la forme et assurer une maîtrise adéquate de la langue académique arabe pour chacune des composantes de la famille universitaire.

L'université est actuellement dans une phase cruciale de reconstruction où son évolution est évaluée, de plus en plus, sur des critères de qualité, alors qu'il n'y a pas longtemps, les bilans étaient surtout basés sur une arithmétique de chiffres. Dans cette quête de la qualité dans tous les domaines, la maîtrise de l'anglais comme langue d'ouverture sur l'international est d'une grande importance mais n'implique pas nécessairement la généralisation de son usage dans l'Enseignement supérieur. L'université fait partie intégrante de la société et doit évoluer d'une façon cohérente avec elle, y compris dans la langue d'expression, tenant compte de sa mutation et ses attentes en termes de besoins fondamentaux pour une meilleure qualité de vie. Pour plus de cohérence, la langue d'enseignement doit être la même aux différents paliers du système éducatif dans son ensemble, en l'occurrence l'arabe.

Un sujet d'une telle importance, engageant les générations à venir, a besoin d'un éclairage de la part d'experts en la matière, ainsi que de l'avis de simples citoyens comme dans le cas de la présente contribution. Il est utile de recueillir les avis provenant de différents segments de la société car les décisions prises aujourd'hui devraient être à la mesure de l'ambition que la génération actuelle fixe pour celles à venir. Dans certains pays arabes comme l'Egypte, l'Irak ou la Jordanie, l'anglais est fortement présent à l'université mais l'usage de la langue arabe est prédominant. D'autre part, dans les pays avancés comme la Chine, la Russie, l'Allemagne, l'Italie ou la France, l'enseignement se fait dans la langue du pays mais l'anglais est présent en force surtout dans les instances où il y a une interaction significative avec l'étranger (conférences internationales, journaux scientifiques, etc.). En Algérie, l'enseignement dans le secteur de l'Education (primaire, moyen et secondaire) se fait tant bien que mal, entièrement en arabe et dans presque toutes les matières.

Il suffit de l'améliorer en agissant sur les programmes et les méthodes pédagogiques, en exploitant au mieux les avancées technologiques pour se mettre au diapason de la mutation sociétale en cours. L'édition de livres didactiques est à renforcer en agissant sur le fond (pertinence des programmes, qualité de l'information) comme sur leur forme (présentation, conception de l'image et du message). Il faut susciter l'écriture et la lecture en encourageant les maisons d'édition de livres en arabe, surtout dans le secteur privé. Beaucoup de progrès ont déjà été réalisés dans ce sens, il suffit de poursuivre l'effort de la politique d'arabisation sur de bonnes bases. La généralisation de la langue arabe dans l'enseignement ne veut pas dire qu'il faut supprimer ou réduire l'influence des langues étrangères. Dans plusieurs universités en Algérie, on trouve un département consacré à ces langues même si dans les faits, la liste se limite à quelques exemples dont le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand. Pour une ouverture plus large de notre pays sur le monde extérieur, la promotion d'autres langues serait aussi utile comme le chinois et le russe. La connaissance d'une langue permet une meilleure relation avec le peuple qui la pratique, une compréhension approfondie de sa culture, ses traditions, son histoire. Cette compréhension est à la source d'une relation apaisée, voire même d'amitié et de solidarité entre les peuples, une forme de diplomatie scientifique, culturelle en soutien à la diplomatie classique.

*Professeur de physique à l'Université de Tlemcen (retraité)