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Gouvernance territoriale, un enjeu majeur

par Abdelkader Khelil

La pratique d'une gouvernance territoriale appropriée est sans aucun doute la meilleure manière pour l'État d'exprimer sa volonté quant à la recherche d'une proximité sans cesse renouvelée avec la population. C'est aussi une forme de manifestation dictée par le souci de préservation de l'intégrité territoriale. C'est donc à travers cette détermination que les citoyennes et citoyens pourront mesurer à leur juste valeur les efforts déployés par l'État

en leur direction.

C'est pour cette raison que depuis 1804, l'organisation territoriale en France par exemple a donné lieu à la création de départements de taille modeste, afin de permettre à tout administré de se rendre au chef lieu en une journée maximum, c'est-à-dire, environ moins d'une heure avec les moyens modernes de locomotion d'aujourd'hui. Ce souci majeur doit être aussi le nôtre ! Cette recherche de proximité optimale est si importante que j'ai estimé utile de rééditer l'article du 23 novembre 2013, paru dans le Quotidien d'Oran. Cet écrit actualisé par nécessité, traite de cette question majeure qui demeure encore posée avec acuité, neuf années après sa première parution.

Il faut dire que si en France comme partout ailleurs en Europe l'on ne badine pas avec le respect du citoyen, c'est que les urnes sont là pour rappeler aux élus la crainte d'une sanction ! C'est pourquoi le système français d'organisation de l'administration territoriale a été inspiré depuis déjà bien longtemps, par cette devise qui consiste à dire : « qu'on peut gouverner de loin, mais on n'administre bien, que de près ». Autrement dit, pour plus d'efficacité, le préposé au service public doit cesser de se comporter en bureaucrate imbu, pour devenir un authentique commis de l'État, dont la raison d'être est d'agir au plus près des préoccupations et des intérêts des citoyennes et citoyens.

Mieux encore, l'acte de servir au mieux la population, repose sur cette nécessité de simplifier, d'assouplir, d'accélérer le jeu des rouages administratifs et d'épargner aux administrés, la multiplication irritante de démarches stériles. Il faut dire que c'est là, la meilleure expression de cette volonté à vouloir mettre l'administration au service des citoyens !

C'est là pour nos walis, chefs de daïras et présidents d'APC, une source d'inspiration, car leurs actions gagneraient en crédibilité tout en soulageant quelque peu de leur stress au quotidien, nos concitoyennes et concitoyens exaspérés par les faits d'une bureaucratie pesante, toxique et nuisible à l'extrême. Cette attitude inscrite dans la permanence a fait réagir le président de la République lors de son dernier entretien du 30 juillet 2022 avec la presse. Il a souligné à ce propos, que la bureaucratie « n'est autre qu'un ensemble de pratiques autoritaires suspectes, accumulées depuis 30 à 40 ans par des individus si bien introduits dans l'administration qu'on les croirait détenant à eux seuls le pouvoir... Nous les avons à l'œil », a-t-il tonné. Espérons que cette volonté du président de la République à vouloir mettre fin aux agissements de cette hydre maléfique devienne celle de tout un gouvernement et de ses différents démembrements à l'échelon local.

C'est pourquoi dans la perspective de relations apaisées empruntes de respects mutuels entre l'administration locale et les citoyens, comme chaque fois promis et repoussé aux calendes grecques par des forces occultes, la notion de proximité est tellement importante que l'on doit constamment chercher de surcroît à savoir s'il n'y a pas chez nous des situations de vide territorial de nature à constituer un risque latent, induit par l'éloignement des services publics au regard de l'immensité de notre pays.

Cette défaillance est à combler au plus vite, puisqu'il est attendu des pouvoirs publics une juste application du principe de l'égalité des chances. C'est là de nos jours, une question d'actualité des plus pertinentes qu'on doit se poser, afin de se prémunir des dangers potentiels et de l'agitation ambiante, observée auprès de nos frontières mais sans pour autant verser dans une sorte de phobie.

Il faut juste commencer par interroger le territoire quant à l'état d'encadrement de son peuplement, afin de déceler comme à travers un miroir, d'éventuelles disparités et d'apprendre de la sorte à anticiper ce type de situation préjudiciable à la cohésion sociale, sans laquelle il est à craindre une démission de nos concitoyens lorsqu'il s'agira de les mobiliser, si cela s'avérerait être un jour nécessaire. Il y va de la cohésion du front social !

ÉTAT D'OCCUPATION DU TERRITOIRE

Pour mieux nous situer par rapport à d'autres pays pour ce qui concerne la question de la gouvernance territoriale, il est impératif d'établir des comparaisons avec non seulement nos voisins immédiats, mais aussi avec quelques pays européens, sur la base de la taille moyenne des communes.

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De tous ces pays, c'est l'Algérie qui dispose du ratio moyen (km2 par commune) le plus élevé. Mais peut-on dire pour autant que notre pays est le plus sous-encadré administrativement ? Rien n'est moins sûr, si l'on examine cette question selon les différentes strates territoriales, à savoir: les régions du Nord, les régions Hauts-Plateaux et Sud.

RÉGIONS DU NORD (Tab. journal pdf)

Avec un ratio moyen de 102 km2 par commune, l'on peut estimer que comparativement aux ratios des autres pays, le réseau communal des régions du Nord est relativement dense, voire dans la norme européenne pour ce qui concerne : Alger, Boumerdès, Tizi-Ouzou, Tipaza, Blida, Bejaia, Mostaganem, Oran et Aïn-Témouchent. C'est dire que l'encadrement des populations peut être considéré au plan infrastructurel, comme correct à ce niveau.

RÉGIONS HAUTS-PLATEAUX (Tab. journal pdf)

Dans le cas de ces régions intérieures et à l'exception des Wilayas de Sétif, de Bordj-Bou-Arréridj et de Tissemsilt, le ratio moyen de 685 km2 par commune semble indiquer un net sous-encadrement des populations par rapport à celles des régions du Nord.

RÉGIONS SUD (Tab. journal pdf)

À l'exception de Biskra, la taille des communes reste excessivement élevée dans les régions du Sud et particulièrement pour les Wilayas de : Tamanrasset, Tindouf et Illizi. Pour mieux souligner l'ampleur du vide territorial à l'échelle de ces régions, il importe de préciser que la taille moyenne d'une commune représente dans le cas de la wilaya de Tindouf, 67 fois la superficie de la wilaya d'Alger, 2 fois la superficie de la Suisse et 2,6 fois celle de la Belgique. Dans le cas de Tamanrasset, cette taille est de 93 fois la superficie de la wilaya d'Alger, 2,7 fois celle de la Suisse et 3,6 fois celle de la Belgique. Pour ce qui concerne la wilaya d'Illizi, la taille moyenne de la commune représente 60 fois la superficie de la wilaya d'Alger, 1,7 fois celle de la Suisse et 2,3 celle de la Belgique. Cela veut dire que là aussi, il n'y a pas photo ! C'est no comment comme on dit !

ENCADREMENT ADMINISTRATIF DES POPULATIONS : QUELS ENSEIGNEMENTS !

Ce qu'il convient de retenir des expériences d'encadrement administratif des populations dans des pays européens tels que la France ou la Suisse, considérés comme des « champions » de la proximité et de l'adhésion citoyenne, c'est que la gestion adéquate du service public est synonyme de démultiplication des municipalités ces chevilles ouvrières de la République, ces bâtisseurs des nations modernes lorsqu'elles disposent de cadres compétents et de moyens adéquats.

Mais jusqu'où doit-on croire que cette densification communale, dans un pays comme le nôtre 3,7 fois plus grand que la France et 6,6 fois plus grand que l'Allemagne, soit la réponse idoine à la galère de nos concitoyens ? Même si les solutions sont à nuancer en fonction de chacune des trois strates territoriales, il n'en demeure pas moins, que force est de constater que nos collectivités restent malheureusement confinées dans une gouvernance territoriale qui repose plus sur l'entité wilaya qui concentre généralement l'essentiel de ses efforts sur son chef lieu et à un degré moindre sur ceux des daïras, que sur le reste des autres communes. La raison habituellement invoquée à demi-mot pour justifier le peu d'engouement dans l'acte de servir, est que la voie des urnes n'a pas permis de disposer d'une masse critique d'élus habilités à gérer convenablement leurs territoires et à asseoir une vraie culture de la proximité et de la participation citoyenne si nécessaire à la gestion des affaires publiques. Il en découle l'intervention courante des walis et des services déconcentrés de l'État dans les affaires internes de la commune. Cette absence de professionnalisme se traduit dans tous les cas par une accumulation des problèmes et un manque à gagner en bien-être social pour la population.

Cela donne souvent lieu à la forme d'une animosité chez les citoyens à l'égard de commis de l'État, traités le plus souvent de corrompus, parce qu'étant selon eux incapables d'apporter de vraies solutions à leurs revendications récurrentes en donnant l'impression qu'ils sont là seulement pour se servir. Tel est le verdict de la vox populi d'Est en Ouest et du Nord au Sud ! Mais alors, que faire pour renverser cette tendance négative préjudiciable aussi bien à l'État qu'au citoyen, parce que notre pays n'a pas su prendre option pour un mode de gouvernance territoriale qui soit mieux appropriée à sa dimension de «pays continent» ?

QUELLES DISPOSITIONS PRENDRE !

Les dispositions à prendre au titre de mesures correctives ne sauraient être uniformes eu égard aux spécificités de nos régions tant au plan géographique qu'anthropologique. Mais indépendamment de tout cela, l'expérience a montré que c'est au niveau du siège de la commune et de ses antennes quand elles existent que se mesure la présence ou non le d'État. Cela veut dire que c'est à ce niveau qu'il faudra concentrer les efforts pour imprimer une traçabilité et donner une lisibilité aux actions destinées aux citoyens, dès lors que la daïra et la wilaya ne représentent que les derniers centres de recours quand ils éprouvent des difficultés à se faire entendre par la bureaucratie communale.

Même s'il est impératif d'assurer une égalité des chances pour tous en termes d'accès aux services publics, il est par contre difficile au regard des besoins exprimés, d'assurer une couverture optimale de la totalité de notre territoire à partir de la création de nouvelles municipalités. C'est pourquoi, l'on devrait se contenter pour l'instant dans les régions du Nord, de la couverture actuelle tout en recherchant un meilleur maillage des services publics de première nécessité qu'il convient de généraliser à l'ensemble des quartiers et des centres ruraux de première importance, tout au moins. C'est là, une manière d'apporter des réponses aux préoccupations des citoyens au moindre coût pour la collectivité. Cette disposition concerne également les autres régions, lorsque les établissements humains sont relativement denses.

Pour ce qui est des régions Hauts-Plateaux les wilayas d'El Bayadh, de Naâma, de Djelfa et de Laghouat avec des densités respectives de 3, de 6,7, de 14,7 et de 15,2 habitants au km2, gagneraient à être réorganisées en donnant naissance à un plus grand nombre de communes. Ceci d'autant plus qu'il s'agit de préparer l'amorce effective de « l'option Hauts-Plateaux » qui reste incontournable, eu égard à la nécessité de redéploiement à venir de populations à partir des régions du Nord. L'idéal pour ces wilayas pastorales, serait d'avoir des ratios d'encadrement comparables à ceux de Sétif ou de B.B.Arreridj pour être au plus près de la population. Il convient aussi, d'organiser les services publics afin qu'ils soient mieux adaptés à la mobilité des populations pastorales. C'est là, un chantier qui mérite d'être ouvert pour marquer la rupture avec la programmation normative des équipements, dès lors qu'il faille tenir compte des spécificités de chacune de nos wilayas et de nos régions ! C'est là, une manière d'intégrer la diversité plurielle qui fait la richesse de notre pays !

S'agissant des régions Sud, le problème est tout à fait différent dans la mesure où il se pose non seulement en termes d'accès au service public, mais aussi, en termes de sécurisation de vastes territoires peuplés avec des densités très faibles. S'il y a des mesures urgentes à prendre, c'est bien au niveau de la structuration de ces territoires qu'il faudra agir. L'on doit donc chercher à créer de nouveaux centres de vie ex-nihilo le long des principaux axes routiers entre : Tindouf, Béchar et Adrar, In-Salah et Tamanrasset, El-Oued et Illizi, chaque fois qu'il sera possible de disposer de la ressource en eau.

Ces établissements humains de faible capacité dans un premier temps sont tout à fait réalisables au regard de nos moyens. Ils pourraient s'ériger à partir d'un premier noyau, articulé autour d'une station Naftal, de stations Sonelgaz d'énergie solaire et de gaz propane, d'une unité de protection civile, d'une brigade de gendarmerie, d'une sureté de daïra, d'une agence postale, d'un centre de maintenance en mécanique, d'un motel, d'une polyclinique, d'un centre commercial polyvalent, de restaurants, d'un quartier urbain composé de logements pour les personnels d'astreinte, d'aires de détente et de loisirs, ainsi que d'équipements socio-éducatifs. Ces lieux de vie doivent être totalement baignés dans la verdure, chaque fois que la qualité des sols et la disponibilité en eau le permettent.

Plus que de démultiplication de municipalités, il s'agit dans ce cas précis, d'une authentique reconquête territoriale qui doit s'accompagner par une politique de peuplement, à soutenir par des mesures incitatives dans un premier temps au niveau des nouvelles wilayas de Timimoun, B.B.Mokhtar, Béni-Abbès, In-Salah, Touggourt, Djanet, El-M'Ghaïr et El-Menia. Il faut rappeler, que c'est pratiquement de cette manière que nos pétroliers vaillants ont érigé le centre de vie de Hassi-Messaoud. Ce centre de vie est devenu une agglomération si importante que l'on a songé à créer en juillet 2013, hors champ gazier pour des raisons de risque majeur à 80 km d'Ouargla, une ville nouvelle d'une capacité de 90.000 habitants.

Placée sous la tutelle du ministère de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, la ville nouvelle de Hassi-Messaoud disposera de quatre quartiers résidentiels totalisant plus de 20.500 logements. Elle est répartie en une zone urbaine (2.053 ha), une zone d'activité logistique (965 ha), un périmètre de protection (313 ha) et un autre d'extension future (1.152 ha). Sur l'ensemble des projets retenus en faveur de ce futur pôle urbain figurent une dizaine d'installations en voie d'achèvement, dont une polyclinique, des établissements éducatifs et de formation professionnelle, des structures sécuritaires, un centre d'enfouissement technique (CET), une Station d'épuration des eaux usées (STEP) et une bande verte.

Ces opérations enregistrent un taux d'avancement global estimé à 80 %, alors que celles concernant la réalisation au niveau du quartier prioritaire (2.000 logements) sont concrétisées à 95 %, selon le directeur de l'engineering et de la construction.

L'ADMINISTRATION ÉLECTRONIQUE

Il importe de souligner qu'indépendamment des mesures à prendre en vue d'une meilleure répartition du peuplement et d'une sécurisation du territoire à travers une politique hardie d'aménagement du territoire, il reste que la question de l'encadrement des collectivités locales constitue dans notre dispositif administratif, le maillon faible et un handicap majeur tant pour l'exécution des programmes et leur suivi, que pour les prestations fournies aux citoyens.

Tout cela pour dire que la question de la lutte contre la bureaucratie et son corollaire la corruption de masse ne saurait être menée à travers uniquement, des directives plus ou moins suivies selon les humeurs d'un personnel rompu aux campagnes administratives épisodiques et habitué à faire le « dos rond », en attendant le passage de la « bourrasque ». Cette question fait référence à la civilité, à l'esprit d'abnégation, à la compétence des agents d'exécution, aux méthodes d'ingénierie territoriale, aux principes de l'État de droit, à la volonté de décentralisation et à la recherche d'une meilleure efficience dans le traitement des problèmes posés à la société.

Cela sous-tend l'acquisition de nouvelles compétences qui permettent le passage le plutôt possible à l'administration électronique. Il faut dire que dans ce domaine des TIC nous sommes bien en retard ! L'objectif recherché par l'administration électronique est de simplifier la vie du citoyen du point de vue de sa relation à l'administration en réduisant les formalités, allégeant ainsi les charges inutiles créées par la bureaucratie et la paperasserie. Le citoyen n'aura plus dans ce cas à braver sa dignité et à supplier des fonctionnaires indolents pour faire valoir ses droits. Du même coup, l'administration électronique accroît l'efficacité des services publics devenant ainsi, un facteur d'économie et de progrès.

Les pouvoirs publics doivent également veiller à ce que l'administration en ligne n'accroisse davantage la fracture numérique et ne profite qu'à une minorité d'initiés. La mise en œuvre de ce dispositif fera que les dossiers de nos concitoyennes et concitoyens ne seront plus traités à « la tête du client». Il faut croire que cet effort de modernisation de notre administration en vaille la chandelle ! Encore faut-il préciser que cet espoir d'une administration au seul service des citoyens ne peut-être portée par des fonctionnaires réfractaires à ce changement. Cette «révolution» dans les mœurs administratives qui signifie la transparence, la convivialité et l'arrêt du service public rendu par la voie du «bakchich» ne peut être portée à bras le corps, que par de jeunes universitaires diplômés en informatique, en électronique et en communication, comme il en existe par milliers... C'est jeunes adeptes du numérique, «dépollués» de la corruption et pour bon nombre au chômage, sont à recruter et à former à hauteur des besoins de nos collectivités afin qu'ils ne sombrent par nécessité, dans les pratiques de l'informel alors qu'ils sont tout l'espoir de notre pays. Encore faut-il que cette question sensible d'encadrement des collectivités prestataires de services soit perçue dans un cadre autre, que celui du filet social qui ne semble pas être dans ce cas, le dispositif le mieux indiqué. À ce niveau, on peut dire que la «balle» est dans le camp des pouvoirs publics qui se doivent de réagir, non comme de façon habituelle par lifting superficiel et de façon cosmétique, mais par d'authentiques réformes de nature à permettre l'ancrage définitif de notre pays dans la voie du progrès et de la prospérité partagée. C'est à cela que tient le pari pris par le président de la République qui a marqué sa volonté à vouloir combattre les forces de nuisances et à arrimer l'Algérie dans son siècle. Quel gouvernement serait donc à hauteur de ce défi qui est celui de toute une nation ! C'est là tout le problème des choix des femmes et des hommes les mieux indiqués pour une telle mission !!!

*Professeur