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La réforme hospitalière : quelle place pour le secteur privé ?

par Bouchikhi Nourredine**

La réforme hospitalière est actuellement sujette à des débats initiés par le ministère de la santé à travers des regroupements à l'échelle locale et régionale ; ultime étape avant l'organisation des assises de la santé prévues en décembre prochain ;une initiative toute somme dictée par la nécessité de revoir le modèle adopté jusque-là en raison de l'insatisfaction des acteurs de la santé et d'une grande partie de la population qui juge les prestations du secteur public bien en deçà de leurs espérances et en raison des exigences de qualité des soins dont le citoyen est en droit d'attendre et ceci à la lumière des insuffisances révélées et surtout misesà nupar la pandémie du Covid.

Le document élaboré par le secrétariat d'état chargé de la réforme hospitalière est pris comme base de travail à la discussion et à l'enrichissement ; il dresse un état des lieux et une analyse qui tente d'expliquer les raisons ayant amené à cette situation dont laquelle se débat le secteur de la santé en général et le secteur public en particulier avec ses acquis et ses insuffisances et propose ainsi des axes de travail à devoir développer avec comme objectif déclaré améliorer et rendre plus efficace le système de santé en réformant le secteur hospitalier pivot de la santé publique.

Bien qu'en tant que citoyen d'abord et ancien hospitalier il est tout à fait légitime de faire des propositions pour améliorer le secteur public chose dont j'ai fait écho avec plusieurs de mes concitoyens dans plusieurs écrits sur ce même journal ;il faut avouer que mes consœurs et confrères du secteur public sont beaucoup mieux placés pour dépeindre le portrait du secteur sanitaire étatique et faire les propositions qui s'imposent afin de redresser la barre et lui redorer son blason.

Nous n'allons pas donc faire de remarques sur les passages du document* consacrées au secteur public.

Maiss'agissant du secteur privé dont je fais partie et sans prétendre le représenter nous pouvons remarquer qu'à la lecture de ce document une impression se dégage d'emblée révélant ainsi l'image archaïque qu'il traine auprès des officiels .C'est ainsi que le secteur libéral n'a été cité à maintes fois que pour mettre en exergue son côté commercial exclusif* quand il n'est pas carrément accusé de manière simpliste d'être « la cause des inégalités en matière d'accès aux soins*.

Une analyse biaisée ne peut être que source de conclusions et de solutions inadaptées.

Il a été fait éloge dans ce document et dans plusieurs paragraphes de concertation avec les différents acteurs . Nous espérons que cela ne reste pas seulement juste une intention dictée par une amabilité de circonstance et que les remarques et contributions des médecins libéraux soient priseseffectivement en considération et ne pas se contenter de leur offrir un rôle de simple figurant comme c'est le cas dans tous les projets proposés à ce jour.

Dans le chapitre problématique c'est la complémentarité du secteur public et du secteur privé qui est montrée du doigt ce qui est vrai mais cela n'a jamais pu être de la responsabilité du secteur privé qui qui au contraire subit les incohérences de la réglementation actuelle qui impose un état de fait à la collaboration du privé avec le public à coup de réquisitions souvent abusives et illégales et une rémunération méprisante. La complémentarité a été et est toujours envisagée dans un sens unique qui ne prend guère en considération les intérêts du secteur privé étiqueté de « secteur développé dans l'anarchie et mu uniquement par la rentabilité économique immédiate *» un constat qui jette injustement l'opprobresur toute la corporation sans distinction aucune et qui ne va pas au fond des choses pour expliquer les raisons de ce dysfonctionnement sinon pour culpabiliser exclusivement un secteur qu'on tente de discréditer à volonté .

la nature a horreur du vide ,le secteur public a été et reste défaillant à divers degrés et ce n'est un secret pour personne . La demande de la population devait être exhaussée et c'est le secteur privé qui s'est chargé de combler les insuffisances du secteur public et malgré cela de nombreux citoyens se retrouvent toujours contraints à voir ailleurs (Tunisie, Turquie et Europe) faute de soins disponibles que ce soit dans le secteur public ou privé qui essaye à coup d'investissement en formation et en matériel de répondre aux doléances des malades désabusés.

Le discours d'une époque révolue n'est plus de mise avec tous les changements politiques et économiques survenus de par le monde et on ne peut ainsi reprocher au secteur médical libéral le fait d'engranger des dividendes d'ailleurs indispensables à sa survie et au maintien de soins de qualité par le renouvellement et l'amélioration de son savoir-faire et ses équipements sans oublier qu'il remplit un rôle socioéconomique celui de contribuer aux recettes fiscales,à la préservation des devises et à la création d'emplois.

En parcourant le document on se rend compte que le secteur privé est une nouvelle fois au banc des accusés car « il aurait produit une situation perverse en assurant 60% des explorations ! *» On feint plutôt de ne pas reconnaitre que bien au contraire c'est l'absence de prise en charge au niveau du secteur public et ce sont donc plutôt 60% au moins des explorations que le secteur public n'arrive pas à satisfaire qui ont contraint ou encouragé le secteur privé à investir le champ . Certes il y a des dépassements mais il est facile d'en venir à bout dès lors que ces explorations soient remboursées au moins à leur juste coût par les caisses de sécurité sociales complètement déconnectées de la réalité et qui détiennent une responsabilité certaine dans cette situation qui pénalise l'assuré et le médecin prestataire.

Une autre conclusion qui semble incompréhensible affirmant que « le fait que la nomenclature des actes médicaux et explorations restée figée est à l'origine du développement du secteur privé dans sa logique commerciale ! * »

Alors que c'est plutôt l'absence délibérée de la révision des actes qui est préjudiciable au patient et par-delà au médecin libéral qui est accusé à tort et souvent de gonfler les honoraires car il représente le dernier maillon accessible au malade et un accusé tout désigné qu'on jette en pâture à la vindicte populaire.

Un autre qualificatif réducteur est aussi attribué au secteur privé celui de « supermarché de la maladie dont l'exercice est dominé par la rentabilité économique immédiate *»

Ce qui dénote d'un état d'esprit et de préjugés qui en disent long sur la perception du secteur privé où tout le monde est mis dans le même sac sans la moindre distinction et n'augure rien de positif dans la relation public -privé. Cette politique d'exclusion est en partie la raison de l'échec de l'intégration du secteur privé au système de santé et ne pourra que rendre la situation sanitaire des Algériennes et des Algériens encore plus délicate.

Ce document a aussi omis d'évoquer les passerelles à définir entre le secteur étatique et libéral et qui pourraient être salvatrices au niveau des régions les plus reculées, la réforme hospitalière en plus des ressources financières et des redressements réglementaires qu'elle exige restera tributaire surtout des ressources humaines qualifiées qu'on ne peut assurer à coup de décrets ou de slogans.

La complémentarité entre secteur public et privé est une nécessité pour le bien être du citoyen surtout dans le contexte actuel de vaches maigres; le secteur privé pour le peu qu'on lui reconnaisse un statut d'acteur à part entière du système de santé algérien pourrait mettre au profit des citoyens ses moyens matériels et ses compétences humaines là où le secteur public ne peut les assurer .La preuve est le recours encore à des étrangers pour combler au manque de spécialistes alors que les nôtres du secteur privé ne sont sollicités dans les structures publiques que sous la contrainte judiciaire et à moindre frais.

L'intégration effective du secteur libéral dans la réforme de la santé ne pourrait avoir que des retombées positives sur le secteur hospitalier qui sera déchargé d'un fardeau contraignant et pourrait ainsi se consacrer à la prise en charge des pathologies les plus lourdes.

Les professionnels de santé ont depuis des années fait le diagnostic des tares de notre système de santé, ils n'ont pas manqué de proposer des solutions mais personne n'a daigné les prendre en considération, espérant que cette fois-ci sera la bonne pour le faire sortir une fois pour toutes de son marasme qui n'a que trop duré.

**Docteur

Notes *: La réforme hospitalière. Cadre conceptuel et démarche opérationnelle Secrétariat d'état chargé de la réforme hospitalière. Mars 2021