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QUELLE ÉDUCATION ?!

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Université entrepreneuriale pour la nouvelle Algérie. Essai Makhlouf Azib, Editions Dalimen, Alger 2021, 202 pages, 900 dinars



L'Université, c'est quoi ? C'est (selon un philosophe américain de la fin du 19ème siècle, Pierce, cité par l'auteur) comme «une association d'hommes, dotée et privilégiée par l'Etat, en sorte que le peuple puisse recevoir une formation (guidance) intellectuelle et que les problèmes théoriques qui surgissent au cours du développement de la civilisation puissent être résolus». Voilà donc la mission principale de l'université, mission qui ne peut s'exécuter convenablement et efficacement que par les personnes aux compétences avérées. Elémentaire et c'est tout dit ! C'est-à-dire qu'au départ, sa construction devait être menée avec lucidité et abnégation et que par la suite sa gestion devait être confiée aux plus rigoureux et aux mieux formés. Ce qui, hélas, dans l'euphorie de l'indépendance douloureusement arrachée et dans la précipitation pour sortir de la «nuit coloniale», les actions liées au processus éducationnel (du bas au plus haut de la pyramide, à l'exception, peut-être, selon moi, des campagnes d'alphabétisation... et de la conception, au départ, du système éducatif public très généreux, qui a permis l'accès au savoir à tous les enfants du pays et ce depuis l'indépendance), même les plus anodines furent excessivement politisées et bien souvent idéologisées, laissant place à l'improvisation et aux décisions précipitées. Et cela a été de mal en pis. Aujourd'hui donc, on se retrouve (liste en annexe de l'ouvrage) avec 50 Universités, 31 Ecoles supérieures spécialisées, 11 Ecoles normales supérieures et 13 Centres universitaires... tout ceci sans compter les nouveaux (et encore rares) Etablissements privés, accueillant plus de 2 millions d'étudiants (encadrés par plus de 50 000 enseignants) tout cela pour des classements à l'international parmi les plus faibles... la quantité, la précipitation -et souvent des idées burlesques... comme celles des langues d'enseignement et de recherche - dans la mise en place de «réforme» des contenants et des contenus ayant mis à mal la qualité de la formation.

L'auteur ne se contente pas d'analyser l'état du paysage universitaire. Il s'intéresse à tout ce qui lui est relié, avec des exemples (et des anecdotes) à l'appui : Les créations des universités, les conférences nationales, les opérations d'inscription des nouveaux bacheliers, l'ouverture des années universitaires, les œuvres universitaires, le système LMD, les diplômes, les diplômés et les titres, les questions des logements, les relations éducation/enseignement supérieur, l'expression linguistique, le livre, le financement de l'Université, la formation, la recherche, le coopération internationale, la science et les risques de manipulation, le «réchauffement» et les enjeux inavoués, l'agriculture biologique, les sources du mal,... et, bien sûr, les incontournables conséquences du «Hirak» et de la «Covid-19» sur l'avenir de l'Université... ainsi que l'espoir de voir, un jour, que l'axe Alger/Tamanrasset s'inscrive pleinement dans le réveil de l'Afrique et trouve amplement son importance.

L'Auteur : Né en 1954 à M'Zita (Bordj Bou Arréridj). Universitaire (Docteur d'Etat ès-sciences), enseignant et chercheur (agronomie et pédologie et techniques de la communication) dont Recteur de l'Université de Laghouat (2007-2010), durant seize années, cadre au ministère en charge de l'Agriculture et du Développement rural (dont Ig et Pdg de la Sgp/Sgda).

Extraits : «Tout ce qui vient verticalement du haut est réglé ! Tout ce qui vient horizontalement peut être réglé ! Les rares cas qui, miraculeusement, transcendent verticalement du bas sont laissés à l'humeur du chef ou d'un cercle très fermé ! Le reste qui constitue la majorité écrasante, est laissé au traitement de la machine avec la réponse bête et méchante : «votre recours est rejeté» (p 29), «Un diplôme est une reconnaissance scientifique. Il demeure la propriété de l'auteur (l'université) et du bénéficiaire (l'étudiant).C'est l'auteur qui construit le bénéficiaire» (p55), «Si les diplômes gratifient une formation, les titres récompensent le travail et l'effort accomplis par l'enseignant, dans l'exercice de ses missions de recherche et de diffusion du savoir» (p56), «L'importance de la langue prend effet avec le contenu à transmettre, la destination du produit à former et l'objectif recherché» (p75)

Avis : Bien que décousu, il remet les pendules à l'heure... bien que tous les ressorts soient... déjà cassés.

Citations : «C'est l'université qui choisit la ville et pas l'inverse» (p15), «Réfléchir ne demande pas un effort, mais la conclusion réfléchie et sa mise en action exigent l'effort» (p25), «Le sous-développement est l'incapacité du pouvoir à saisir les bonnes idées pour les traduire en faits» (p63), «Pour que l'université se développe, il faut qu'elle construise et développe sa propre pensée. Une pensée qui compense sa dépendance de celle conçue et imposée de l'extérieur» (p181)

Note : A lire aussi, s'il est disponible sur le marché national, un récent ouvrage (paru... en France, à l'initiative de l'Association des compétences algériennes, ACA, et signé d'une équipe d'universitaires algériens (6)... établis à l'étranger pour certains et en Algérie pour d'autres) consacré à «l'Université algérienne : Evolution, Priorités et Stratégies. Pour une université algérienne performante et innovante» (Editions Broché) : L. Boukerrou, M. Ayache, M.Feliachi, I.K Lefkaier, A.Taieb-Brahim, N. Zerhouni. Un travail qui constitue, selon eux, «une première étape d'une réflexion stratégique visant à former des cadres conduisant à l'émergence de citoyens responsables, acteurs des choix de société en vue d'un développement durable au service de la société et de son bien-être». Historique, situation actuelle (formation, recherche, gouvernance... ce «talon d'Achille», internationalisation, mobilité, professionnalisation... goulots d'étranglement), et, bien sûr, des recommandations... Tout y passe.



Dimensions du champ éducatif algérien. Analyses et évaluations. Recueil d'articles de Mustapha Haddab, Arak Editions, Alger 2014, 262 pages, 650 dinars (Pour rappel. Fiche de lecture déjà publiée)



En quatorze (14) textes, l'auteur nous permet d'avoir une vue quasi complète sur l'évolution historique du système éducatif algérien. «Contribuer à la constitution d'une histoire sociale du champ éducatif en Algérie depuis l'indépendance», telle est son ambition.

Les articles (études est le terme plus approprié car relevant bien plus de l'analyse que du simple compte-rendu ou de la description) réunis font écho à bon nombre des changements connus depuis 1962 et essayent d'en préciser la nature, les causes, l'ampleur et leurs significations sociologiques et anthropologiques. Malgré l'insuffisance des données et des analyses disponibles et sur lesquelles peuvent prendre appui les chercheurs.

Les dysfonctionnements et leurs raisons sont mis au jour : tendances à la fermeture, à la routine, à l'étroitesse relative de la culture générale et pédagogique....

L'auteur aborde, aussi, les stratégies sociales des individus et des groupes.

Dans ce cadre, l'étude (datant de 1993, ce qui n'est pas si loin du point de vue générationnel) sur «l'évolution du statut des cadres en Algérie et ses effets sur les institutions de formation» est intéressante à plus d'un titre. Elle dégage les multiples facteurs qui ont contribué à contrarier la constitution d'un système stable de formation et de reproduction d'élites dans les différents secteurs d'activité du pays... ce qui a facilité la production et la reproduction d'une domination par les différentes fractions de la classe dominante... dont il faut rechercher la source dès 1962.

Quelques autres études : «La déperdition scolaire : thème idéologique ou objet d'évaluation qualitative» / «Arabisation de l'enseignement des sciences et mutations dans le champ sociolinguistique en Algérie» / «Maltraitances scolaires : projections et réalités» / «Evolution morphologique et institutionnelle de l'enseignement supérieur en Algérie. Effets sur la qualité des formations et sur les stratégies des étudiants»...

L'Auteur : Professeur à l'Université d'Alger, conseiller à l'Inesg, formation en philosophie, chercheur en psychologie sociale, nombreuses recherches sur divers objets de socio-anthropologie. Il a longuement travaillé sur le système éducatif algérien, sur le statut des élites et des cadres... sur l'évolution des langues en Algérie depuis l'Indépendance. Plusieurs publications consacrées à des figures de la culture algérienne (Ibn Khaldoun, Jean Amrouche, Frantz Fanon, Al Mahdi Bouabdelli).

Avis : Des études qui datent certes, mais très utiles au chercheur car elles fournissent les éléments très bien réfléchis et essentiels pour comprendre le présent.

Citations : «La langue arabe est demeurée dans une position seconde par rapport au français, tant qu'elle n'est pas devenue l'instrument indispensable à la réussite scolaire et à la réussite sociale» ( p 67), «La valeur sociale réelle des titres que confère une institution de formation, même lorsque celle-ci est en principe destinée à la formation d'une élite, ne dépend pas seulement des mesures formelles prises pour sélectionner ses étudiants, et pour y instaurer une didactique exigeante, mais surtout du degré auquel cette institution est objectivement intégrée dans les stratégies conscientes ou inconscientes des différentes fractions de la classe dominante, par lesquelles elles tendent à se reproduire et surtout à reproduire leur domination» (p 168).