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Union-Européenne-Afrique, une relation complexe

par Abdelhamid Senouci Bereksi

Le haut représentant de l'Union Européenne pour les Affaires extérieures et la politique sécuritaire et vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell Fontelles vient de publier, en ce mois de mars 2021, une longue étude sous le titre : «La politique étrangère européenne au temps de la Covid-19».

Le titre semble un peu réducteur puisque le rapport analyse, parfois en profondeur, les grandes orientations de la politique étrangère européenne et les perspectives à moyen et long termes, tout en mettant en exergue l'épisode Covid-19, inattendu mais à l'impact important sur les relations internationales, un épisode dont on connaît le début mais où l'on peine sur les hypothèses de sa fin toujours retardée.

Ce rapport de 304 pages et de 5 chapitres consacre quatre aux grands défis de l'Union Européenne entre ses capacités à bâtir une Europe unie, résiliente et souveraine avec une politique extérieure commune, sa réaction à la pandémie de la Covid-19, à la place de l'UE face aux nouveaux acteurs mondiaux, aux nouveaux empires et au multilatéralisme et enfin un quatrième chapitre qui relate la (les) voie(s) européenne(s) de construction de la Sécurité.

Le cinquième chapitre intitulé « La politique étrangère de l'UE dans le monde » consacre, entre autres sujets, 18 pages aux relations entre l'Union Européenne et l'Afrique. Le présent article s'intéresse à cette partie dédiée à l'Afrique.

Sous le titre « renforçons nos relations avec l'Afrique », le ton est donné dès le début du paragraphe : « La fin du 20ème siècle a été dominée par la montée en puissance de l'Asie sur la scène mondiale. On s'attend à ce que le 21ème siècle soit dominé par l'essor de l'Afrique ». Prophétie, vœu pieux ou prospective froide et compétente ?

L'explosion démographique est le premier élément mentionné par le rapport Borrell pour marquer la montée en puissance de l'Afrique. Avec une population actuelle estimée à 1,3 milliard d'habitants et qui atteindra 2 milliards et demi, en 2050 ? c'est-à-dire dans moins de 30 ans - pour grimper à 4 milliards en 2.100, époque où un être humain sur trois sera africain, l'UE, en tant que voisin et partenaire de l'Afrique ?se sent concernée par les conditions dans lesquelles se déroule l'essor de ce continent jeune et dynamique'. Et d'ajouter, si l'UE ne le fait pas, d'autres le feront et ? à ses dépens'.

Puis sans transition, le rapport Borrell évoque la crise du Covid-19 présentée d'abord comme une exception africaine face en termes de nombre de victimes directes mais qui est malheureusement contredite par les lourdes retombées économiques et sociales de la crise. Il rappelle les chiffres du FMI qui ont prévu une récession de 3,2% en 2020, ce qui se traduit par une chute du revenu par habitant de 5,4%. La crise est exacerbée en raison de la forte croissance démographique.

L'UE, soucieuse d'éviter que l'épidémie de la Covid-19 ne se transforme en épidémie de la faim et alertée par David Beasley, Directeur exécutif du PAM (Programme Alimentaire Mondial), a dégagé un fonds de 8 milliards d'euros pour l'Afrique dont 5,5 milliards pour l'Afrique sub-saharienne. D'autres mesures sont envisagées par l'UE en direction de l'Afrique dans le cadre de la lutte contre la pandémie et ses conséquences socio-économiques. Le projet COVAX est activé pour faciliter l'accès au vaccin pour les pays les plus vulnérables.

L'allégement de la dette aggravée en raison de la crise économique est également envisagé, suivant des échelles allant de la réduction à l'effacement partiel ou total, en passant par l'étalement des remboursements.

Au-delà de la crise due à la Covid-19, le rapport indique qu'il appartient fondamentalement aux Africains, eux-mêmes, de consolider leurs institutions pour permettre une croissance économique qui puisse donner de l'emploi aux 30 millions de jeunes qui arrivent au marché du travail, chaque année. Et là, l'UE propose que la reprise économique soit ?verte, numérique et équitable'.

Borrell prévoit un potentiel ?considérable' et des atouts remarquables, en matière de numérique, d'économie rurale, d'énergie d'origine solaire, biomasse ou hydraulique... à condition, toutefois, de ne pas refaire les erreurs que l'Europe a commises au cours des deux derniers siècles en termes de ?dégâts environnementaux ?.

L'Ethiopie bénéficie d'assez longs développements de la part du rapport. La personnalité du Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix, est mise en exergue en raison de ses capacités et sa vision à construire une ?Ethiopie inclusive, multinationale, démocratique et prospère'

Les déplacés et les migrants dont le nombre est estimé à 3,2 millions, constituent un lourd fardeau pour l'Ethiopie. L'UE a dégagé un fonds de près de 815 millions d'euros entre 2014 et 2020 destiné à combiner l'assistance immédiate avec les projets à long terme devant s'attaquer aux causes profondes de la migration.

Un petit paragraphe est réservé aux relations avec l'Union Africaine qui, selon Borrell, partage 'un intérêt commun avec l'UE pour faire face, à la fois, aux défis globaux et aux conflits locaux' avec l'objectif d'atteindre un partenariat ?plus ambitieux, plus politique et plus tourné vers l'avenir'.

La question complexe du partage des eaux du Nil est largement évoquée dans le contexte mondial du défi de l'eau et dans le contexte africain et plus particulièrement des trois pays concernés : Egypte, Ethiopie et Soudan. L'UE appuie les efforts de l'Union Africaine et une solution africaine à cette question cruciale, impliquant trois grands partenaires de l'UE. Le rapport estime qu' ?avec de l'imagination technique, de l'audace politique et le soutien de la Communauté internationale', ce différend pourrait être transformé en opportunités pour tant de peuples.

La ?diplomatie de l'eau' joue et jouera un rôle de plus en plus important dans la prévention des conflits dans le monde ayant pour origine la rareté de cette matière vitale et sa distribution équitable.

L'exemple du Soudan est évoqué comme un succès des révolutions pacifiques montrant au monde que ?le peuple est le pouvoir ?et que ?les changements politiques peuvent être pacifique et réussis'.

Le rapport rappelle que la conférence pour le partenariat avec le Soudan qui a réuni plus de 50 pays sous l'égide de l'ONU, de l'Allemagne et du gouvernement soudanais, a réussi à mobiliser 1,6 milliards d'euros dont 770 millions en provenance de l'UE afin de consolider les acquis de la révolution pacifique de 2018/2019.

La Culture clôture, sur plus de 3 pages les 18 pages consacrées à l'Afrique. Plusieurs actions de coopération sont citées allant de la sauvegarde des archives et manuscrits de l'Empire du Mali aux programmes d'échanges Erasmus en passant par le FESPACO.

La Culture, comme vecteur de valeurs, tels ?le respect des droits humains et de l'Etat de droit' est parée de toutes les vertus pour jouer un rôle prépondérant dans le partenariat entre l'Europe et l'Afrique, un partenariat appelé à être ?affiné'.

Mes observations :

Essayons, alors, d'affiner ! Une des définitions du verbe affiner est ?éliminer les impuretés'.

L'Afrique, aujourd'hui, ne laisse personne indifférent, c'est le message du rapport Borrell. L'Afrique est même présentée comme la puissance montante du 21ème siècle !

Cela ne veut pas dire que le monde était, par le passé, indifférent à l'Afrique.

De l'esclavage au colonialisme en passant par les rapports inégaux, l'Afrique, berceau de l'Humanité a toujours été un creuset où on puise la chair à canon, la main-d'œuvre bon marché et les matières premières et ressources rares !

Le rappel de ce passé, encore présent par certains aspects, n'est pas évoqué dans le rapport de Borrell, nous avons tenu, pour mémoire, à le faire.

Ce passé douloureux marque encore les populations africaines meurtries au plus profond d'elles-mêmes.

La reconnaissance du passé, dans ce qu'il a de plus horrible, de plus inhumain est nécessaire pour apaiser la mémoire et atteindre ?l'audace politique' dont parle, avec raison, le rapport Borrell. Les musées de la Shoah sont un exemple de l'écriture de la mémoire et une garantie que ?cela n'arrivera plus ?. L'esclavage et le colonialisme sont aussi douloureux que la Shoah et méritent d'être autant, sinon davantage, connus car ils ont touché des millions de personnes et leurs crimes se sont étalés sur plusieurs générations.

Le processus d'affinement, une fois accepté et mis en œuvre, ouvrira des perspectives uniques pour un partenariat basé sur la confiance, le respect mutuel, l'intérêt réciproque et l'égal accès aux opportunités offertes par les deux continents, que tout devrait rapprocher et fondamentalement la proximité géographique, la connaissance mutuelle et une complémentarité exceptionnelle. Le rapport Borrell comporte des pistes très pertinentes pour permettre à l'Union Européenne de participer, en tant que partenaire proche et responsable, à la montée en puissance de l'Afrique en ce vingt et unième siècle naissant.