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«SYSTÈME» ET «FORCES PARALLÈLES»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le système politique algérien. Formation et évolution (1954-2020). Essai de Badr'Eddine Mili, Apic Editions, Alger 2020, 159 pages, 700 dinars



Il avait produit, entre 2009 et 2015, une trilogie romanesque («La brèche et le rempart», «Les miroirs aux alouettes», «Les abysses de la passion maudite»). Voilà qu'il termine sa trilogie politique avec ce dernier ouvrage.

Il aura donc fait le tour de «la question algérienne», côté cour et côté maison, côté obscur et côté lumineux. Comme tout journaliste qui se respecte, observateur social par excellence, au parcours plus qu'honorable. On sent, en lui, un engagement militant. Sa permanence ! Il faut tenir compte de cela pour mieux comprendre les qualités (et les défauts si vous lui en trouvez) de l'homme et apprécier la valeur de l'œuvre.

Voilà donc un travail de recherche qui relève bien plus de la «politologie active» que de la sociologie et encore moins de la littérature politique habituelle... presque toujours austère et rébarbative... souvent trop académique et parfois trop «personnalisée». Ici, l'auteur (et chercheur) nous présente le système politique algérien, sa formation et évolution de 1954 à 2020..., ce qui est assez ambitieux pour un ouvrage d'à peine 156 pages... A partir (à travers) les luttes au sein du pouvoir algérien et en évoquant les racines historiques profondes.

D'abord, les luttes opposant les révolutionnaires de l'Os et du «Groupe des 22» aux militants légalistes du Mtld avant le 1er Novembre 54. Ensuite, les «incompréhensions» entre les chefs de l'insurrection et la direction élue par le Congrès de la Soummam en 56... Ensuite, entre les «militants en uniforme» de l'Emg/Aln et le Gpra, en 61-62.

Ensuite, entre Houari Boumediene et le président de la République A. Ben Bella...

Ensuite, entre le Haut commandement de l'Anp et le Président Chadli Bendjedid...

Ensuite, entre le Président A. Bouteflika à une partie puis à l'ensemble de l'Armée...

Et, aujourd'hui, le Pouvoir d'Etat à un Mouvement populaire... Des «forces parallèles» ! Se transformeront-elles en «diagonales» se croisant... «pour imaginer une ère où plus rien ne sera comme avant ?» Il faut, avec l'auteur, l'espérer.

L'Auteur : Né à Constantine, études de Droit et de Sciences politiques (Université d'Alger). Plusieurs postes de responsabilité au sein des médias étatiques (radio, ministère de la Communication et de la Culture, Dg Aps, Chargé de mission à la présidence de la République sous le mandat de Liamine Zeroual...). Auteur d'une trilogie romanesque et de deux essais politiques : «L'opposition politique en Algérie» et «Les présidents algériens à l'épreuve du pouvoir».

Sommaire : Préambule/Le Fln et l'Armée de libération nationale (Aln)/Le Fln et l'Armée nationale populaire (Anp)/La scission du Fln et l'avènement du Rnd/Le retour «gagnant» du Fln (1999-2019)/ Les limites historiques d'une gouvernance sous tutelle/ Conclusion/Notes

Extraits : «Le Fln de Tripoli de 1962 n'était déjà plus celui de la Proclamation de 1954, pas plus que celui de la Soummam de 1956, auquel ne ressemblera ni au parti de la Charte d'Alger de 1964 du Président Ahmed Ben Bella, ni à l'Exécutif/Appareil du Président Houari Boumediene, subordonné, en 1965, à un Etat appelé «à survivre aux événements et aux hommes», encore moins à celui du Président -Secrétaire général Chadli Bendjedid qui s'en servit pour réaliser, en 1979, une osmose armée-administration-parti réglée par l'article 120» (p 21), «Les opérations combinées par l'Aln (note : offensive du 20 août 1955 dans le Nord constantinois) contre les positions de l'armée française et ses relais ultras fut la première et la plus grande des batailles de la Révolution...» (p 34) «Le Congrès de Tripoli, sur lequel pesait déjà de lourdes incertitudes, se réunit, accueillant un aréopage de participants à forte teneur explosive» (p 56), «Trente-sept ans après sa création, le Fln n'était plus, en ce début des années 90, que l'ombre de lui-même, dépouillé de ce qui lui restait d'identité historique et idéologique, au point que son premier leader, Mohamed Boudiaf, le déclara irrécupérable en prononçant sa faillite» (p 101), «Le premier inspirateur et ordonnateur du Rnd est, sans conteste, le général Mohamed Betchine, ministre conseiller du Président, qui mit dans la confidence Bachir Boumaza, le futur président du Conseil de la Nation, puis Abdelhak Benhamouda, Secrétaire général de l'Ugta, auquel il demanda de contribuer, en tant que leader de la société civile, à la formulation d'une alternative au Fln» (p 110).

Avis : Précision, concision... et (presque) aucun parti pris. Les belles mamelles du bon journalisme... d'antan.

Citations : «Le Président Abdelaziz Bouteflika, qui consomma, en vingt ans, huit chefs de gouvernement et Premiers ministres, 600 ministres et davantage de walis, de secrétaires généraux, de diplomates, de responsables des corps de sécurité, lamina des centaines de cadres de valeur, poussés à l'exil ou morts dans l'oubli, leur préférant les sous-produits de l'argent sale...» (p 124), «Inattendu par ses adversaires qui pensaient avoir cassé ses ressorts, le peuple est revenu à la politique avec une force d'une amplitude et d'une durée qui dépassent de loin celles de ses autres irruptions dans l'Histoire «(p 146).



Dissidences. Chroniques du Hirak. Essai de Mohamed Kacimi, Editions Frantz Fanon, Alger 2019, 208 pages, 700 dinars



A travers ses chroniques, l'auteur qui s'est volontairement voulu plus observateur et journaliste qu'écrivain du mouvement sociopolitique qu'est le Hirak, n'y est pas allé de «main morte». Il ne s'est pas, aussi, contenté de présenter la révolution populaire in situ.

Il a remonté le temps en revenant sur les causes profondes et lointaines de la révolte : Ben Bella, Boumediene (on apprend qu'il aurait fait ses études au Caire avec une bourse du gouvernement français et que Werner Herzog, avant de réaliser son film «Aguire ou la colère des Dieux» avec Klaus Kinsky, avait d'abord pensé à Boumediene et lui avait écrit à ce sujet), le socialisme arabo-islamique, le Fln (le parti unique), les résidences surveillées de personnalités politiques éminentes (Abbas, Aït Ahmed, Benkhedda...), la répression, les liquidations physiques des opposants politiques (Krim, Khider, Medeghri, Chabou...), la politique cultu(r) elle de Taleb Ibrahimi, celle éducative de Kharroubi... sans oublier Chadli et 1980 en Kabylie, Octobre 88 et ses centaines de morts, le Fis, les massacres du Gia durant la décennie noire, la religion et ses excès... et, bien sûr, Bouteflika... «qui va fonder une vraie kleptocratie...».

Il décrit le «tsunami» du Hirak populaire à travers, entre autres, son «printemps fou à Alger», un 1er mars 2019. Il y était. Il nous emmène de Hydra à la place du 1er Mai en passant par la «colonne Voirol», le Chemin de Gascogne, un barrage de Cns, les hauteurs de l'hôpital Mustapha, la rue Hassiba Benbouali, le square Sofia, la place des Martyrs, puis le tunnel des Facultés et le retour vers la place Audin, le boulevard Mohamed V... et la foule, des vieux mais surtout des jeunes, filles et garçons qui dansent, chantent... drapeaux agités... Louisa Hanoune qui est chassée du cortège.... Avec, bien sûr, toujours, en mains, un sachet avec de l'eau et une bouteille de vinaigre. Quatre heures de marche. «Pas de casse» et des jeunes équipées de sacs-poubelles nettoyant les rues jonchées de bouteilles d'eau vides et de papier... Une révolte populaire demandant la «libération de l'Algérie et son avenir». Une journée de fou... qui fait dire à l'auteur qu'il «est en train d'aimer de nouveau cette ville (Alger) qu'il «a tant connue et tant haïe». Lui qui avait fini par ne plus croire en son pays, qui avait pris tant de chemins de traverse pour l'oublier... et qui, de retour, en février 2019, au pays (rentré pour veiller sa mère mourante) a assisté (et participé) au «redémarrage» d'un pays «tombé en panne en 62».

L'Auteur : Né en 1955 à Zaouïa El Hamel. Vit à Paris. Plusieurs romans, essais et pièces de théâtre. Très impliqué dans le théâtre, animant dans une association internationale des ateliers d'écriture...

Sommaire : Avant-propos / Vingt cinq chroniques dont un entretien (2006, Libération), des articles de presse (Libération : 2003, 2004, 2006, Le Nouvel Obs : 2014, Mediapart : 2019)... Extraits : «... Bouteflika, sorti tel un lapin du chapeau de l'armée, une fois encore. Pervers narcissique, mégalomaniaque en diable, vociférateur, dictateur, de la même trempe que Bongo ou Mobutu, l'homme était convaincu qu'il avait fait l'Algérie et non l'inverse» (p 18), « Ce qu'attendent les Algériens, en ces moments de gestation convulsive, ce n'est pas un imam, ni un mufti, mais un maçon, un entrepreneur, un visionnaire qui pourrait leur montrer comment construire une démocratie dont ils rêvent depuis près de soixante ans» (p 133).

Avis : Style plus journalistique qu'académique, pamphlétaire et rageur (on le comprend, comme on comprend tous les «enfants de l'indépendance qui avaient cru que le monde allait «leur appartenir»)... mais qui vise juste et fort. Se lit d'un seul trait. Le «roman» du Hirak !

Citations : «Derrière chaque voile, il y a trois mille ans de haine envers la femme qui nous regardent» (p 36), «L'intégrisme est le stade suprême de l'analphabétisme» (p 39), «Une culture ne se juge pas sur les Andalousies qu'elle a connues, mais sur les Andalousies qu'elle peut engendrer» (p 47), «Telle peut être la devise de l'islam wahhabite : on peut vivre dans la merde, mais faut se prosterner sur du marbre, au moins» (p 70), «Les islamistes n'ont pas réussi à prendre par les armes le pouvoir, mais le régime, pour faire la paix avec eux, leur a donné en pâture toute la société » (p 81), «L'humour est l'arme qui permet à l'Algérien de ne pas prendre au sérieux sa détresse» (p 117), «On ne construit pas l'avenir sur l'oubli et on n'édifiera pas une République sur la clémence. Juger Bouteflika, c'est nous épargner la honte devant nos enfants» (p 138), «Spoliés de leur terre, les Algériens ont fait de la religion leur patrie, et, depuis la décennie noire, toutes les couches sociales rivalisent de piété et de la connaissance de la Charia» (p 175), «La démocratie n'est pas un mot d'ordre, elle résulte de l'effort de chaque citoyen pour accepter les idées, les croyances de l'autre, même si elles ne sont pas les siennes» (p 178), «Le Hirak est certes un mouvement de contestation, mais il doit être également et avant tout un temps de réflexion et d'introspection» (p 178).