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Foutez la paix aux gens

par Paris : Akram Belkaïd

Les gens sont fous. Ou tarés. Ou les deux à la fois. Je ne vous parle pas des abruti.e.s qui continuent à faire leur footing chaque matin alors qu'il est prouvé que les sécrétions projetées pendant la course peuvent contaminer à plusieurs mètres à la ronde. Non, là, je vous parle des tenants du, allez hop, on ne va pas se laisser déborder par l'oisiveté.... Depuis le début de la crise pandémique et de la mise en place du confinement général, nous sommes submergés d'injonctions à continuer absolument « à faire ». Nous voilà bombardés de listes de livres à lire, de musiques à écouter, de spectacles à visionner, de musées virtuels à visiter, de programme d'entretien corporel à respecter ; tout cela comme si l'idée de « ne rien faire » en ces temps difficiles était inacceptable ou honteuse. Or, il n'y a rien de grave à faire un repli sur soi, à écouter le silence, à s'emplir de ce vide forcé et à utiliser cette vacuité pour résister à la panique et au stress ambiants. Nous sommes en jachère forcée, et ce n'est pas la fin du monde.

Derrière cela, il y a toujours et encore la même idée : celle selon laquelle on peut résister à tout, que l'on peut continuer à faire comme si de rien n'était quelle que soit la catastrophe en cours. Que, finalement, l'exceptionnel n'est pas si exceptionnel que ça.

Or, la vérité la voici : nous vivons une mise en parenthèse mondiale. Soit on reconnaît le caractère à part de cette situation, soit on persiste dans le déni et on continue d'emm... les gens. Est-ce si difficile à comprendre ? Des gens meurent, des malades se débattent dans leurs lits contre la fièvre et les difficultés respiratoires, des entourages sont saisis par la crainte et par le doute mais les « prescripteurs » donnent le la.

Il faut bouger, il faut s'agiter. Tout va très bien madame la marquise.

Mais il y a pire. Les adeptes de la « continuité d'activité » sont déchaînés. Exemple, cette structure, publique, qui devait m'accueillir pour une conférence à la fin du printemps et qui tient absolument à ce que je tienne la dite conférence via internet. Et de me bombarder de liens pour télécharger tel ou tel logiciel et pour apprendre à l'utiliser « convenablement » en un temps record. Mais, monsieur, je n'ai pas envie de me former « maintenant » à je ne sais quel logiciel. Ce n'est pas le moment. Il y a d'autres urgences.Dans le lot, et nombre d'amis m'en parlent car cela ne me concerne pas, il y a aussi les dingues de la visio-conférence alors que jamais les réunions, déjà inutiles, n'ont été aussi inutiles...

Témoignage d'une amie travaillant dans une entreprise spécialisée dans l'Intelligence artificielle. « Mon chef fait partie de ces Parisiens qui se sont sauvés de la capitale. Il a une maison du côté de Bordeaux. Il nous oblige à faire deux visioconférences par jour. Comme ça, juste pour nous tenir en laisse. Il le dit lui-même, on n'est pas en vacances sauf que pour lui, on sent bien que c'est le cas. Il est même content qu'on voie sa piscine en arrière-plan. On n'a pas grand-chose à se dire. Quelques courriels devraient suffire mais non. Il continue à être le chef. »

Ah les bons petits soldats de la mondialisation heureuse... Ces gens qui ont pillé les pharmacies parisiennes avant de quitter la ville et d'emmener le virus dans des déserts médicaux. Ces gens qui trouvent normal que des ouvriers, des caissières, des éboueurs continuent de travailler en étant exposés au virus. Ces gens qui n'ont pour les plus humbles que mépris de classe. Je ne sais pas comment sera l'après-Covid mais j'espère que nous allons pouvoir réduire l'influence et l'emprise sur la société de ces nuisibles. Sinon, la prochaine fois sera pire.Dans les circonstances que nous vivons, il est des continuités d'activité qui sont inutiles et qu'il convient de reporter. Que l'on fonctionne a minima, soit.

Que chacun mène sa mission dans son coin, d'accord. Mais faire feu de tout bois en se la jouant brave londonien impassible subissant avec courage le Blitz et les V2, non.

Cela vaut pour les écoles aussi. A quoi bon surcharger de devoirs des gamins anxieux qui, de toutes les façons, les traiteront par-dessus la jambe ? Il y a d'ailleurs une injustice de traitement scandaleuse dans cette école à distance. Certaines familles ont plusieurs ordinateurs, une imprimante et un scanner. D'autres pas. Et il existe aussi des familles qui n'en ont pas du tout. Chez certains, l'ordinateur est vieux et ne peut pas utiliser tous les logiciels nécessaires. De cela, le gouvernement français et son clownesque (dangereux) ministre de l'éducation ne semblent guère s'émouvoir.

Tout cela parce que l'objectif, politique, est d'éviter l'année blanche. Pour pouvoir pavoiser par la suite en affirmant que l'essentiel a été sauvé. Mais de quel essentiel parle-t-on ? Que vaut un bac dont de nombreuses épreuves de contrôle continu se déroulent à la maison. Dans certains foyers, les parents aident. Dans d'autres, ils ne le peuvent pas. Dans cette affaire, l'égalité inscrite au fronton des mairies semble bien relative. Bref. On ferait mieux de laisser les gens tranquilles plutôt que de s'agiter inutilement comme ces pauvres gars qui rangeaient les transats sur le pont du Titanic.