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L'intégration nationale a besoin de patriotisme économique

par Arezki Derguini

On peut observer aujourd'hui, en Libye et à ciel ouvert, un processus de résistance de la société à la régénération d'une dictature. Car les causes de la dictature n'ont pas disparu : l'incapacité de la société à s'auto-organiser et à équilibrer ses pouvoirs avec l'aide de la communauté internationale. Cette dernière continue de lui disputer le contrôle de ses ressources et de ses forces. Le général Haftar compte sur l'épuisement des forces paramilitaires et l'émergence d'une demande d'autorité de la population. La question sera alors où la puissance militaire trouvera-t-elle l'autorité dont disposait la précédente administration du fait de son enracinement dans une guerre de libération ? Car la puissance seule ne peut pas gouverner, pour s'imposer durablement, elle a besoin d'un minimum d'autorité, d'un minimum d'obéissance de la société. Historiquement, c'est dans l'économie que s'est enracinée l'autorité postrévolutionnaire. L'élite économique secondée par l'élite culturelle récupère l'autorité du pouvoir militaire et les rapports de pouvoir se déplacent à l'intérieur de la sphère économique qui s'est autonomisée. L'absence de telles élites rend problématique une auto-administration de la société et tente une régénération de la dictature. Dans le cas algérien, le problème c'est que la centralité de l'État se délite et que les menaces sur les frontières se multiplient, le pouvoir militaire qui perd de sa légitimité d'exercice avec la dégradation des services publics, aura du mal à rester au centre du jeu.

Les purs nationalistes et l'impasse postcoloniale

Revenons rapidement aux causes qui ont rendu possible le système politique en Algérie. J'en propose un récit particulier. Il y a d'abord l'héritage colonial de l'État puis l'état de la société. Le système politique algérien est issu des forces sociales, politiques et militaires en présence au moment de l'indépendance. Elles ont été forgées dans la lutte anticoloniale. L'armée des frontières subjugue les forces militaires de l'intérieur et s'installe au centre du jeu social et politique grâce aux ressources dont elle hérite du colonialisme en même temps que s'enfonce la société dans un individualisme négatif. La dissociation du civil et du militaire se redouble à l'intérieur du militaire d'une différenciation entre les vrais et les faux nationalistes. La décision politique va progressivement se déplacer vers l'intérieur du militaire avec la corruption du politique en même temps que se forme une idéologie de la pureté nationaliste incarnée par les martyrs de la révolution. C'est autour de ce noyau formé par les purs nationalistes que s'organise la société. C'est à cet État profond que reviendra le contrôle de l'administration de la tête aux pieds. Le problème c'est que ce noyau s'enferme dans le monde des purs et impurs qu'il a créés.

L'expérience postcoloniale a conduit dans une impasse. Les purs nationalistes sont entrés en clandestinité pour se protéger de la corruption au lieu de devenir les leaders du mouvement national. La lutte contre la corruption interne et externe les a entièrement absorbés. La production de leaders en mesure d'entraîner la société dans une dynamique productive a été écrasée par une étatisation incapable de distinguer entre les bons et les mauvais leaders. Tous passaient donc sous son rouleau compresseur. La corruption est un symptôme et non une cause. La cause réside dans l'incapacité de la société à se différencier de manière à produire des autorités et des institutions efficaces, à s'engager dans une compétition productive. La société reste centrée autour de l'État et la compétition sociale autour de l'appropriation des ressources naturelles propriété d'État ou de leur produit. Les guerriers n'ont pas muté et ne sont pas devenus des capitaines d'industrie et des leaders d'opinion. Ils ont plutôt miné les champs économiques et culturels. Ils ont retiré la révolution de la rue. La société incapable de produire des structures dynamiques, de débattre et de produire des consensus est devenue le champ de compétitions d'appétits privés et d'idéologies étrangères.

De la lutte contre la corruption à la lutte contre les pauvres ?

À quoi s'expose l'évolution de la société aujourd'hui ? Les racines de l'administration militaire postcoloniale plongent ses racines dans celle de l'administration coloniale : les profondes asymétries dans la société (société à double collège), entre le citoyen et l'Etat (non redevabilité) sont toujours actives. Elle a désormais des racines dans la décomposition de la société que la compétition centrifuge autour des ressources naturelles et de leur produit accentue. La compétition centrifuge a conduit à la formation de l'individualisme négatif, de fortunes privées et non à l'accumulation d'un savoir-faire.

Quelle offre politique et quelle demande sociale vont donc émerger et s'ajuster ? La nouvelle offre prolongera-t-elle les anciennes ou pourra-t-elle s'appuyer sur une nouvelle demande sociale ? Tout dépend en dernier ressort des dispositions de la société (civile et militaire) et de ses conditionnements. Consentira-t-on à sortir de la compétition autour des ressources naturelles pour se préoccuper du développement des ressources sociales et en aura-t-on les moyens ? Ce développement concernera-t-il quelques-uns ou l'ensemble de la société ? Ceux qui pensent que l'on peut changer le système sans que la société ne change elle-même vont aboutir au résultat contraire de celui qu'ils prétendent. L'ancienne offre politique n'est plus en mesure de faire face à la croissance de l'ancienne demande sociale. Le même type de demande sociale, défendre le pouvoir d'achat catégoriel sans changer les conditions de production et les structures de marché ne pourra qu'appeler le même type d'offre politique, sans pouvoir concerner le même nombre de personnes. La compression de la demande ne pourra être alors qu'autoritaire. Se mettra alors en place une alliance entre les grandes fortunes et le pouvoir militaire. Et la lutte contre les pauvres prendra la place de la lutte contre la corruption.

Car la vie s'active à renouveler les asymétries : enfants nous dépendons de nos parents, vieillards nous dépendons de nos enfants. Enfants nous dépendons de nos maîtres, plus tard les maîtres dépendront de leurs élèves. La roue des asymétries tourne, c'est quand elle ne tourne pas que la vie bloque. C'est là qu'il faut distinguer entre symétrie et réciprocité. « Nous t'avons élevé, tu as grandi, c'est maintenant à ton tour de prendre soin de nous » et l'asymétrie s'est inversée, peuvent dire les parents et les éducateurs à leurs enfants. Asymétrie sans réciprocité signifie domination, exploitation, distorsion ou rupture de la relation. La symétrie est dans une relation de réciprocité immédiate, « je te donne, tu me donnes », elle passe par l'échange volontaire entre étrangers qui respectent leur égalité, qui veulent séparer cette relation de tout le reste, qui veulent rester libres pour le reste. Elle peut conduire à la rivalité entre frères et sœurs qui se disputent l'héritage de leurs parents, entre étrangers qui se disputent un bien rival. La rivalité transforme la symétrie en asymétrie pour établir une domination. La compétition centrifuge cultive la rivalité. Nous sommes tous des rivaux (« ce qui est pour moi ne sera pas pour toi » comme dans un jeu à somme nulle) dans cette compétition, nous accumulons des biens matériels, mais pas de savoir-faire. Nous consommons, mais ne produisons pas de capacités productives individuelles et collectives.

La classe ou les nouvelles élites et les nouvelles dispositions sociales ?

La question est donc, quelles dispositions sociales va-t-on encourager ? Va-t-on assister à l'émergence d'élites civiles ou à la formation d'une pseudo-classe capitaliste qui à l'aide du pouvoir politico-militaire voudra établir son autorité sur la société ? Les deux voies sont périlleuses, car la différenciation dans un cas ou dans un autre n'est pas aisée. Dans le modèle dominant de société (les sociétés démocratiques de classes capitalistes), les sociétés les plus performantes sont celles où la classe dirigeante est considérée comme une élite qu'il faut imiter, où la société s'identifie à l'élite, où la domination bénéficie d'une certaine obéissance de la société. Une assez bonne mobilité sociale caractérise ces sociétés, le mimétisme est ascension, il n'est pas l'attribut d'une classe sociale. Le bon imitateur d'hier devient l'innovateur d'aujourd'hui. La couche sociale dominante, l'élite, si elle est héréditaire fait corps avec la société. Dans les sociétés postcoloniales où l'existence de classes et la domination de l'une d'entre elles n'est pas acquise, la transformation du système passe par la formation d'une élite, autrement dit par le consentement de la société dans une certaine différenciation sociale pour conduire le changement. La classe dirigeante doit d'abord être une élite, il s'agira ensuite pour la société de savoir quel devenir elle envisage pour une telle élite, un devenir héréditaire ou non, de classe ou non. Le devenir de classe sera d'autant plus aisé que la société aura renoncé à la réciprocité et que la transformation sociale n'aura pas exacerbé les asymétries sociales, mais les aura atténuées grâce à des conquêtes extérieures qui rendent possible une redistribution efficace. L'asymétrie de classes aura été acceptée parce qu'elle redistribue largement de sorte à réaliser une intégration nationale. La différenciation de classes acquérant ainsi une certaine légitimité. Le devenir de classe de l'élite dépendra donc en grande partie de l'effacement du principe de réciprocité dans le fonctionnement de la société, de la capacité de redistribution de cette élite et donc de ses conquêtes extérieures, et des règles de la reproduction sociale. L'abondance rendant possible une redistribution desserrant la contrainte du principe de réciprocité et permettant à la transmission héréditaire de s'établir sans avoir à affronter frontalement le principe de réciprocité. Nous sommes inégaux, mais chacun y trouve son compte. Les règles de l'héritage pouvant se soumettre à un principe de concentration ou de fragmentation de la propriété.

Mais ne sacralisons pas l'élite. En imitant une élite, la société s'incorpore des normes de comportement, des normes de réussite. Le plus important n'est donc pas l'élite, mais l'adoption des règles qui la discipline. L'émergence d'une nouvelle élite signifie la formation de nouvelles dispositions sociales. Elle peut s'effacer une fois celles-ci adoptées. Prenons un exemple les subventions alimentaires. Quand on aborde ce sujet, on met toujours l'État au centre de l'opération, avec ses incitations et ses prohibitions. Et on considère la société comme une chose passive et le marché comme une chose gouvernée par des lois. En vérité le marché partage une production et une consommation. Et ce partage n'est spontané qu'en apparence, il résulte de choix collectifs qu'on ne veut pas voir.

Prenons l'exemple de la consommation de lait. Si nous choisissons de partager tous ensemble la consommation du lait subventionné, nous pesons sur la balance extérieure. Si nous laissons le lait subventionné en partage des revenus inférieurs et achetons à sa place du lait de vache local, nous soulageons la balance commerciale et renchérissons le prix du lait local. Nous encourageons ainsi la production locale de lait. Si nous réduisons notre consommation de viande rouge, nous réduisons l'importation d'aliments de bétail et réduisons l'envoi des génisses à la boucherie. Dans la production animale, par nos choix de consommation, nous rééquilibrons les prix du lait et de la viande rouge, nous redistribuons la production de viande et de lait. Nos préférences ici résultent de choix collectifs qui visent à améliorer la production locale et à réduire nos déséquilibres extérieurs et non de petits calculs individuels quant à notre plaisir personnel immédiat, indifférents au futur et à la consommation des autres. Les choix collectifs ici supposent une certaine réciprocité sociale (nous voulons que tous consomment du lait) ou équité et impliquent une plus grande efficacité économique. Il est aisé de voir qu'une telle opération d'équilibrage des prix par les choix collectifs est plus aisée sur un territoire où la population peut bien voir le rapport de causalité entre ses choix et l'orientation de la production qu'à une échelle plus grande qu'elle ne maîtrise pas. Exemple : consommateurs et producteurs ont-ils une connaissance du marché de la pomme de terre ? Connaîtrions-nous des surproductions s'ils avaient une telle connaissance. Il faut admettre que rien n'est fait pour que la société maîtrise ses marchés. Quand on critique la spéculation, c'est toujours le comportement immoral de certains marchands qui est accusé et non le ministre du Commerce qui est incapable de donner à la société les moyens de contrôler ses marchés et ses marchands. Le ministre du Commerce ne permet pas aux producteurs et consommateurs d'interagir avec leurs conditions de production et de consommation autrement qu'à l'aveuglette pour permettre aux mieux informés d'entre eux de spéculer.

En fixant les préférences comme des préférences individuelles, en adoptant le théorème d'impossibilité d'Arrow, on affirme que ces préférences sont incapables de s'accorder. En vérité nous sommes toujours dans le modèle de la guerre de tous contre tous : on prend des individus séparés qui ne peuvent pas s'accorder sans une instance transcendante. Il vaut mieux donc neutraliser ces préférences, les enfermer dans des individus à qui l'on confiera un simple calcul de plaisir et de déplaisir à effectuer : je travaille ou je ne travaille, je consomme plus ou moins de ceci ou de cela pour mon plaisir personnel. Il faut en vérité renoncer à la séparation des deux normes suivantes : chacun a ses préférences, est libre de faire ce qu'il veut d'un côté et d'un autre la solidarité est l'affaire de l'État, autrement dit de toute la société mais pas de chaque individu. On entretient ainsi une coupure entre la Société et les individus. Le revenu des hydrocarbures a rendu cela possible et a produit de l'individualisme négatif, la coupure entre société et individus. En vérité, la société définit où commence la liberté de chacun et où elle se termine. Les individus doivent définir ce qu'ils s'accordent mutuellement et ce qu'ils sont libres de s'accorder à eux-mêmes. Et ils ne peuvent le faire en imitant d'autres sociétés oubliant leurs conditions d'existence et leurs valeurs. Que chacun puisse être propriétaire d'une activité, comme c'était le cas dans la société précoloniale, qu'il puisse se marier, fonder une famille et vivre une vie décente ne peut être accordé par l'État. Les individus seuls peuvent se l'accorder et en faire la politique réussie d'une élite.

Il faut redonner à la société un rôle actif, si nous voulons qu'elle transforme ses préférences, et accepte de se reconnaître dans certaines élites qui l'aideront dans l'adoption de nouvelles dispositions. Il faut désacraliser l'élite. Les élites doivent émerger dans le cours de la transformation des normes sociales. Elles ne peuvent être héréditaires qu'en s'imposant au cours des choses avec lequel elles s'efforceront de composer.

Rendre à la société la propriété de ses actions

Il faut remettre la société au centre du jeu social, plutôt qu'un État importé, déconnecté des ressources sociales. Remettre la société au centre du jeu social c'est permettre l'émergence d'un État adapté au jeu social et à ses ressources. Il faut le répéter, l'État est un prolongement de la société, une exosomatisation de la société, une professionnalisation de ses services généraux. Nous n'avons pas à séparer la société de l'État, le système de la société, contrairement à ce que la majorité des sociétés africaines ont fait. Pour que les individus puissent définir leurs choix collectifs, il faut qu'ils puissent avoir des prises sur leurs marchés. Il faut rendre la propriété de ses actions à la société et lui donner la possibilité de définir ses choix.

En l'absence de marchés locaux des « actions », le processus d'accumulation se trouverait réservé aux riches. De tels marchés supposeraient d'un côté une redistribution du pouvoir de commander par le biais d'une redistribution de la propriété d'État qui établirait une propriété collective distribuée en actions, en droits de vote ; ils permettraient la conversion et la réallocation des ressources que fragmente l'héritage pour permettre la formation d'intérêts collectifs équilibrés. Il s'agirait à la fois d'empêcher la concentration du capital, la monopolisation du savoir-faire et de permettre son accumulation. Soulignons-le, le capital est savoir-faire accumulé, il comprend et sépare le travail vivant d'un côté et le capital fixe de l'autre. On peut essayer ensuite de définir les capitalismes en fonction de cette association dissociation.

Avec un tel marché des actions, l'investissement pourrait davantage s'attacher à des productions qu'à des profits individuels en prohibant l'intérêt qui favorise la formation d'une classe de rentiers. Encore un point de théorie : il n'y a pas de théorie de l'intérêt en général, il y a des théories situées de l'intérêt, qui conviennent à des situations, à des politiques et pas à d'autres. L'intérêt négatif, prend aux rentiers et aux épargnants, et donne aux producteurs et consommateurs. Il rééquilibre les rapports entre ces catégories pour préserver l'équilibre général de la société. Cela dépend aussi des dispositions de la société, de sa situation objective et de ce qu'elle veut en faire. La division de la société en propriétaires et en prolétaires livre le marché des actions aux premiers. Dans une conjoncture de stagnation de la croissance, il sera de l'intérêt des actionnaires d'une société de classes de privilégier la spéculation sur les flux financiers pour assurer leur revenu en ruinant les petits actionnaires plutôt que d'investir dans la production pour y perdre leur avoir. Il faut bien voir aujourd'hui que les crises financières dans ces sociétés sont des crises régulatrices et récurrentes du capitalisme. Il faut les considérer comme la mise en faillite des petits actionnaires et des petits emprunteurs, dont profite une classe de rentiers qui favorisent la spéculation à défaut de pouvoir réaliser des profits dans la production et une autre partie de la société qu'il faut préserver. Avec la stagnation de la croissance, la déconnexion des marchés financiers de l'économie réelle, l'intérêt joue sur une division profonde de la société : héritiers spéculateurs dominant la pratique réflexive de la société d'un côté, et déshérités qui peuplent ce que l'on peut appeler la nouvelle domesticité d'un autre.

Si l'intérêt a permis de libérer la production dans le passé, c'est parce qu'il associait investisseur et producteur en cédant le pas au dernier et non au premier. À l'ère des fonds de pension, des crises financières récurrentes et de ce que certains économistes appellent la stagnation séculaire, où l'intérêt des inactifs s'efforce de dicter sa loi à l'investissement, il faut dans les sociétés émergentes veiller à ne pas laisser s'installer ces rapports entre propriétaires, producteurs et travailleurs, entre rentiers, capitalistes et travailleurs. La société par ses actions partage sa population et ses revenus. Elle doit maintenir une certaine cohésion entre ses gagnants et ses perdants. La société doit accorder des rentes à ses inactifs, mais elles ne pourraient pas durer longtemps si elles prenaient le pas sur les salaires des travailleurs et le profit des producteurs. Dans ses choix de production et de consommation, la société émergente doit s'attacher à définir une structure des revenus (rente, profit, salaire) en faveur de l'accumulation du savoir-faire. Ce sont ces choix suffisamment inclusifs qui définiront le rôle de l'intérêt. On ne peut exclure les rentiers de tels choix. Les actionnaires des fonds de pension peuvent aussi former d'autres préférences collectives que celles qui consistent à maximiser leur revenu. Ils peuvent se considérer comme une partie active et solidaire du reste de la société. De tels choix supposent donc une certaine réciprocité sociale, une certaine solidarité sociale entre les trois catégories.

De tels marchés des actions qui rendraient sa prise à la société sur la production, et le marché à la délibération sociale, permettraient de considérer le profit comme un simple moyen d'accumulation matérielle et non l'objectif de toute production. L'accumulation est accumulation de savoir-faire avant d'être accumulation d'argent. Le choix d'une production ne signifie pas le simple abandon d'une autre, mais le choix d'une structure de la production qui a tendance à évoluer en comprenant ou pas l'ensemble de la population active. La variable profit ne serait donc pas la fonction dominante de chaque production, mais une fonction de l'ensemble, la division du travail et la productivité n'ayant pas la même tendance à se développer, le profit mobile apparaissant ici et là. Il ne faut donc pas se focaliser sur le lieu où apparaît le profit, mais sur les lieux où il peut apparaître : le front de la division du travail, du mouvement de la productivité sociale du travail. Une partie du surplus allant au marché, à l'accumulation, une autre à la redistribution, la structure de la production resterait ainsi attachée à une structure sociale équilibrée.

Les principes de symétrie et de redistribution sont des manifestations du principe de réciprocité

Je n'opposerais pas ici ces trois principes, au contraire. Le principe de réciprocité ne se manifeste pas de la même manière dans des conditions différentes de marché et de distribution du capital. Tel qu'il se manifeste dans l'échange non marchand, il est don réciproque. Dans la société marchande, il est échange d'équivalents, principe de symétrie entre partenaires égaux. Dans une société solidaire au pouvoir économique inégal, il est principe de redistribution. La société est comme une grande famille à laquelle le père ne peut plus commander.

Si la société pouvait faire le choix d'une structure de la production avec une polarisation du marché du travail et une concentration du pouvoir économique, conformément aux structures mondiales de la production et du marché du travail, pour réussir son intégration nationale, elle devrait pouvoir opter pour un fort prélèvement de la redistribution sur le produit marchand. C'est le cas des sociétés scandinaves où un fort consentement à l'impôt manifeste une certaine réciprocité sociale de base. Cela ne peut être le cas des sociétés émergentes. Elles ne disposent ni des ressources nécessaires à une telle polarisation de l'activité ni celles nécessaires à des services publics de qualité en mesure de garantir la mobilité sociale requise par une société égalitaire. L'étroitesse du marché ne pouvant supporter une forte redistribution, donc le financement de services publics de qualité, c'est à une redistribution du pouvoir économique, un élargissement du marché, qu'il faut commencer par opérer. C'est à un resserrement du rapport entre le principe de réciprocité et de redistribution qu'il faut opérer.

Il faut garder à l'esprit le scénario scandinave même s'il n'est pas question de l'appliquer. On peut en retenir le principe suivant : il faut une certaine polarisation, de sorte que le marché national ne se disjoigne pas du marché mondial, il faut une certaine redistribution et donc un certain marché pour que la polarisation ne disloque pas la société. La solution réside dans une certaine solidarité séparation des sphères marchandes et non marchandes. On partirait comme du point de départ précolonial où chaque individu avait les moyens de subsister : le marché est à la marge de la société non marchande, celle-ci en s'élargissant et en cédant des éléments s'intègre progressivement dans le marché en même temps qu'elle accepte une certaine redistribution pour ceux qu'elle a laissés derrière. Le principe de réciprocité resterait le principe de base de la société. Il ne disparait pas dans la société marchande sous le principe de symétrie, il se convertit en principe de redistribution. « Voilà pourquoi nous sommes quittes », règle de l'échange, comprend aussi ce que nous nous accordons mutuellement, avant que nous acceptions d'entrer en compétition. Copropriétaires de la Terre, d'un territoire ou d'un patrimoine, d'une fratrie, membres d'une communauté de défense, nous nous obligeons mutuellement à certains devoirs. C'est en vérité là que commence toute société. Même dans les communautés les plus petites, il existe toujours un avant de la compétition et un centre de redistribution. Le père redistribue à ses enfants dans la famille simple, le grand-père dans la famille élargie, l'aîné dans la famille souche à ses frères et sœurs qui n'héritent pas, le cheikh de la tribu arch. Dans une société égalitaire, le principe de redistribution veillerait directement à la cohésion de la communauté disjointe par l'échange marchand, réunissant ce que le principe du donnant-donnant avait rendu quitte et permettant aux échanges d'équivalents de se multiplier sous un contrôle direct de la communauté dont le premier principe serait le droit à une activité pour tous, pour parler comme le faisait Fichte, ou à des capacités pour tous pour parler comme Amartya SEN. Dans la perspective de s'intégrer dans une communauté d'échanges plus vaste, elle s'organiserait de sorte que ses échanges avec elle élargissent leur gamme sans porter atteinte à son principe de base. La différenciation interne entre activités tournées vers l'extérieur et celles tournées vers l'intérieur, qui suivrait un tel élargissement, ne devrait pas aboutir à une dislocation, mais à l'émergence d'un principe de redistribution qui veillerait à ce que la solidarité, la mobilité sociale restent respectueuses du principe de réciprocité. Les règles de l'héritage ne devant pas contrecarrer un tel souci de mobilité et de solidarité.

Redistribuer le capital pour distribuer des capacités pour tous

La distribution des terres régulièrement redistribuées, dans les communautés arch peut nous inspirer. La terre cultivée était mobile comme le capital aujourd'hui. En vue de conserver des capacités de production et d'échange à chacun, il faut une redistribution du capital qui s'accorde avec une distribution des capacités pour tous, donc une diffusion du savoir-faire et une redistribution qui ne sépare pas les activités rentables ou marchandes des autres, celles-ci pouvant devenir celles-là ou disparaître. Dans la communauté arch, la propriété est collective, la distribution du capital est collective.

La Terre est donnée en héritage à tous les êtres vivants. Ses ressources ne peuvent pas être monopolisées, ses êtres vivants ne peuvent pas être mis en esclavage. Le capital est d'abord la production de la coopétition sociale. L'appropriation privée n'implique pas automatiquement la propriété privée, n'exclut pas nécessairement la copropriété. La propriété privée est dans la tête des chefs qui veulent commander et être obéis. Elle est dans nos têtes de chefs qu'a infestés l'individualisme négatif et que portent des corps incapables de faire par eux-mêmes ce qu'ils demandent aux autres. Les ressources naturelles que nous nous approprions ne nous appartiennent pas et ce que notre production s'approprie est le résultat de conventions. Une société qui n'est pas souveraine quant à la propriété de son capital n'est ni souveraine, ni ne peut considérer que chacun y a sa part. Nous nous considérons comme le propriétaire collectif de nos hydrocarbures, chacun y réclame sa part. Il sera difficile de revenir sur ce principe, mais nous avons mal distribué les parts. Il n'a pas servi à monter une machine productive, une accumulation du capital, des capacités pour tous. Avec la dissipation de cette ressource, reviendra-t-on à chacun pour ce qu'il possède ? Reconnaîtrons-nous ce nouveau droit de propriété privée, cette nouvelle convention qui accorderaient à certains de vivre comme des humains et d'autres comme des sous-humains ?

l'attachement au territoire et l'intégration des espaces économiques dans l'espace social

C'est l'attachement à un territoire et ses êtres qui fait la force d'une collectivité. C'est l'attachement collectif de populations à leur territoire qui est au fondement de la souveraineté d'une nation. Il faut livrer des guerres pour détacher les populations de leur territoire, de leurs habitudes, des liens qu'ils y ont tissés. C'est la faiblesse de leurs attaches, leur rigidité ou faible intensité, qui les rend détachables. L'individu ne se sépare pas de ses fortes attaches, il les emporte avec lui. Les deux périodes coloniales et postcoloniales qui ont exproprié les populations de leur territoire ont profondément entamé nos liens. Nous avons relâché nos attaches, nous vivons comme hors sol. Et nous nous sommes tournés vers l'extérieur. Les riches veulent vivre comme les riches du monde. Les autres veulent quitter le pays.

L'État républicain démocratique, ce dieu mortel est de plus en plus abandonné par ses adorateurs, il a de la peine à être adopté dans le panthéon africain. Seuls ceux qui en profitent veulent continuer à le servir. S'attacher à ce dieu, plutôt qu'à ce qui nous est donné en partage, ce que nous avons en commun, ruine nos espérances. Il n'a pas fait renoncer aux plus puissants la guerre. La guerre de tous contre tous qu'il s'efforce d'externaliser, finit par resurgir dans les rangs de ceux qui s'en croyaient protégés. Parce qu'il a pris des individus isolés, incapables de s'organiser sans lui, lorsque sa capacité d'externaliser la guerre se trouve en défaut, les individus retombent dans la guerre de tous contre tous. L'État dit républicain et démocratique que nous avons hérité des sociétés européennes, l'État westphalien, est le prolongement des sociétés féodales qui ont fait passer la guerre d'une échelle européenne à une échelle mondiale. Il a été engendré dans ce mouvement : de la paix dans leur fief à la guerre contre d'autres fiefs, de la paix dans la nation à la guerre entre Etats européens, de la guerre entre États européens sur leur territoire à la guerre sur des terres étrangères. La guerre des dieux (Max Weber) en échange de la guerre de tous contre tous.

Pour passer du territoire intégrateur à la nation intégratrice, les petites communautés intégreraient de plus grandes en faisant passer les échanges d'une échelle plus petite à une échelle plus grande rendant le principe de réciprocité comme échange de dons inapplicable. Les liens ne pouvant plus se personnaliser, il doit alors se convertir en principe de redistribution : « nous ne serons quittes qu'aux conditions suivantes » (autrement ce peut être la guerre). Le principe de réciprocité se manifesterait dans le principe de redistribution de la société marchande. Le principe de symétrie marchande s'étendrait avec l'élargissement du cercle des échanges et avec l'apparition des asymétries s'étendrait le principe de redistribution[1]. Il faut donc au départ protéger la société du marché qui tend à impersonnaliser sans redistribuer, pour qu'elle puisse étendre ses échanges sans être détruite. Dans l'esprit de Karl Polanyi (protéger la société du marché) et suivant le trilemme de Dani Rodrik[2], on peut dire que la démocratie réelle a aujourd'hui besoin du patriotisme économique.

C'est la vie sociale et matérielle qui prête ses terres, ses enfants à la société marchande qui lui doit redevance, comme dirait Thomas Paine ou sa terre, son travail et sa monnaie comme dirait K. Polanyi. La propriété privée prend un prêt pour un don. Le travail peut-être intensif, vivifiant, sans être marchand. Il rendrait alors à la vie sociale et matérielle ce qu'elle lui a donné. Avec le travail gratuit pas de réciprocité pour le marché : on ne paie pas ce qui est gratuit. La vie sociale doit être à double face, l'une tournée vers l'infrastructure de la vie économique : la vie matérielle que nous ne produisons pas et qu'il faut entretenir à la suite de nos extractions et externalisations négatives, l'autre vers la vie marchande : la superstructure de la vie économique, les marchés que nous construisons, et son rapport au monde. La régénération de la vie matérielle, qu'ont détruite les externalisations marchandes, par le travail non marchand face au changement climatique est incontournable pour une société de progrès, dès lors que les deux sphères marchande et non marchande restent séparées. La préservation du principe de réciprocité doit rester à la base du fonctionnement social, de manière personnalisée dans la société non marchande et impersonnalisée dans la société marchande, pour préserver la cohésion d'ensemble de la société et y favoriser l'apprentissage de la coopétition sociale. L'élargissement de la sphère marchande n'a que rarement compté sur elle-même et sur le consentement des sociétés non marchandes. La société marchande de l'État westphalien a étendu ses marchés par la force. Derrière le marchand s'est souvent caché un marchand d'armes, s'il ne l'accompagnait pas.

le consommateur investit aussi

Le profit est un résultat de la structure des prix plutôt que du prix « réel » d'un produit. Et la structure des prix confronte les préférences des consommateurs, les élasticités des producteurs et les structures du marché. En préférant la consommation d'un produit sur un autre plus performant et moins coûteux relativement, la société transfère comme du profit d'un produit à un autre. Si le produit préféré se trouve sur une ligne de développement de la division du travail qui permet à la productivité d'augmenter ou d'être mieux distribuée, le produit préféré pourra finalement surclasser le produit de meilleur rapport qualité-prix au départ. On peut donc affirmer que la définition manipulation des préférences n'est pas négligeable ni ne peut être arbitraire. Ni le mouvement de la productivité. Seules les structures du marché peuvent avoir quelque chose d'arbitraire, quelque chose que la force peut imposer. Il faut que les structures du marché accordent les préférences sociales aux lignes d'approfondissement de la division du travail pour que le processus d'accumulation puisse progresser. Et il faut bien voir que le consommateur par ses préférences investit aussi. Il investit par ses choix de consommation. Et c'est sur cet investissement que le producteur voudrait anticiper, les structures du marché étant données. C'est cet investissement qu'il essaye d'identifier quand il étudie « les tendances du marché ». Le fait que le consommateur ne soit pas conscient de son investissement le rend vulnérable. La théorie microéconomique standard, en postulant l'impossibilité mathématique d'agréger des préférences individuelles en préférences collectives ne dit pas plus qu'il est impossible à des experts, à une rationalité instrumentale, de les agréger. Et en les fixant comme des données personnelles, elle s'autorise de les travailler, de les formater en les soustrayant à l'action collective des consommateurs pour les soumettre aux possibilités des producteurs. Dans la réalité, des préférences collectives sont formées et sont inspirées par les grands producteurs. Le pouvoir de la masse des consommateurs, sur ses préférences collectives et face au pouvoir des producteurs, est ainsi pulvérisé.

Car comment dissocier les préférences du consommateur de son horizon d'attente, des anticipations sur les comportements possibles des producteurs et des autres consommateurs ? La science économique standard en se donnant les préférences comme des préférences individuelles ne fait qu'enlever à la société le droit de former ses préférences collectives pour les confier à la Science économique. Ce qu'elle retire d'une main (le choix collectif des consommateurs par les préférences individuelles), elle le redonne d'une autre (le choix collectif des producteurs), si possible comme elle le souhaite. Ce qu'elle nie d'un côté, elle le compose d'un autre côté. Et inversement, en se donnant des préférences collectives, la société soustrait à la Science la possibilité de les performer. « Réencastrer » l'économie dans la société, c'est rendre à la société son économie, à commencer par la formation de ses préférences. C'est rendre au consommateur sa fonction d'investissement et ne plus en faire le monopole des grands actionnaires. C'est ce que j'ai appelé ailleurs une politique de la demande. C'est à partir de la composition par la société de cette demande que peut se projeter une politique de l'offre. Les grands équilibres entre la production et la consommation, l'épargne et l'investissement sont alors fonction de l'alignement des préférences avec le bon usage et le bon rendement des ressources. Dans une société émergente qui vise à faire émerger une économie cohérente qui ne disloque pas la société, l'économie de marché ne doit pas obéir au simple profit, mais à une délibération sociale qui accordent les préférences collectives avec les possibilités désirables de développement de la vie économique. Il faut cesser d'associer planification avec une construction par le haut de la société. Il faut définir la planification comme la résultante de plans sociaux, individuels et collectifs, comme un exercice citoyen, un produit de la délibération sociale. C'est la séparation étatique de la politique et de l'économie, de la politique et de la science qu'il faut remettre en cause, non pas du point de vue donc d'une autorité supérieure, mais du point de vue de la société. Il faut cesser de réserver le vote, l'élection à la politique. On vote de plusieurs manières, avec son argent, avec une contribution non marchande, avec son rapport à l'impôt.

Et l'appropriation du profit n'étant pas la règle, mais la production répartition des productions, mais un bon usage des ressources et une bonne répartition de la productivité, mais un certain rapport de la redistribution et du marché, la différenciation sociale au lieu de trouver son terme dans la formation d'une classe capitaliste aboutirait à la production d'une société efficace et solidaire. Dans l'horizon d'attente d'une société, il faut aligner les possibilités de développement de la vie matérielle, les préférences des consommateurs et les structures du marché : quelles productions pour quelle(s) société(s), que viendraient arbitrer et valoriser des préférences collectives. « Je préfère ceci pour que chacun puisse contribuer avec une activité, je préfère cela pour que notre contribution à la production mondiale puisse s'élever » peut-on dire. Et entre les deux un marché national, tiré par le haut et tenu, soutenu par le bas, qui puisse faire la jonction.

L'intégration nationale et la composition de nouveaux intérêts collectifs

L'intégration nationale ne se fera pas par le travail salarié, comme il a été espéré au départ de la période postcoloniale. Il n'y aura pas de société salariale au bout de la dynamique sociale. L'auto-organisation rencontre des difficultés dans les sociétés émergentes avec la dichotomie capital-travail[3] importée. Pour équilibrer les rapports de force, réaliser l'existence d'un intérêt général, l'opposition capital-travail joue dans un espace trop étroit, l'espace de l'économie marchande. Dans une économie émergente, le travailleur consommateur n'a ni le pouvoir d'exercer une influence sur le pouvoir politique ni une influence sur le pouvoir économique. Il ne constitue ni une base électorale sérieuse ni un pouvoir d'achat en mesure d'influencer la politique économique. Ceci pour dire que les formes de mobilisation sociale et politique importées des démocraties occidentales ne sont pas du tout adaptées à une société émergente comme la nôtre. Les syndicats autonomes dans notre société ne peuvent défendre que les intérêts de leur corporation au détriment de l'intérêt général. L'intérêt général étant mal représenté, le poids des syndicats étant trop faible, ils ne peuvent faire au mieux que de la cogestion avec leurs employeurs en tant que subalternes. Ils ne participent que marginalement à la composition de l'intérêt général dont la définition appartient aux forces dominantes et cachées du champ social.

Il faut dans notre société émergente que les intérêts de la société puissent être composés de sorte à former des intérêts collectifs équilibrés impliquant toute la société, car ils sont actuellement distribués dans des asymétries radicales ; qu'ils puissent être représentés et se contrebalancer pour éviter l'approfondissement des asymétries existantes et la défaillance de la redistribution.

Il faudrait que les forces du marché mondial ne dominent pas les forces du marché national ni que les forces du marché national ne dominent les forces de la société non marchande. Il faut constituer le monde non marchand en forces sociales de sorte que le principe de symétrie soit respecté avec les forces du marché. L'étage marchand doit s'élever au-dessus du rez-de-chaussée non marchand sans l'écraser et le déstructurer. Les mythes du tout marché, de la société de marché, de la société salariale ont vécu. L'étage marchand n'absorbera ni la vie matérielle, ni la vie sociale, son rez-de-chaussée non marchand, il s'en détachera plutôt, s'il y est mal arrimé.

L'économie et ses trois étages sont de retour. Il faut accorder au rez-de-chaussée non marchands des territoires et des monnaies locales (complémentaires de la monnaie nationale) qui lui permettent de développer ses échanges, ses « marchés » et ses « banques » pour qu'elles puissent faire de la place aux échanges marchands, pour qu'elle puisse contracter avec l'État. La liberté d'échanger ne doit pas être confondue avec la liberté de l'échange marchand, ni être synonyme de liberté du plus fort, mais condition du droit d'exister, de vivre d'une activité.

Des monnaies locales permettraient de donner leur autonomie à ces espaces qui ne peuvent pas affronter la compétition nationale et internationale. Ne pas leur donner la capacité de s'organiser, de développer des échanges internes, de contrôler leurs échanges extérieurs handicaperait l'intégration nationale plutôt qu'elle ne la favoriserait. Une intégration nationale passe désormais par l'usage de ces outils indispensables à la construction de leurs espaces, si l'on veut que les populations et la société restent maîtresses de leur territoire. Le Brésil, peut-être parce qu'inégalitaire, a conduit en la matière un certain nombre d'expériences. Il peut être une source d'inspiration majeure. Une intégration nationale exige désormais une multiplication des centres de redistribution. L'État central ne peut pas rester le centre unique.

L'intégration nationale ne sera pas le fait d'un État central surimposé. La croyance en la capacité d'un centre unique pour construire la société s'affaisse. Car l'État est un prolongement de la société, une sorte d'exosomatisation de la société, produit par une dynamique de différenciation sociale au chemin dépendant. Notre société n'a pas suivi la trajectoire historique européenne que résume l'Etat westphalien et ne pourra pas la suivre. On ne peut pas mettre la séquence précoloniale entre parenthèses. On ne peut que s'égarer dans le temps ou la prolonger. L'histoire de l'Algérie est riche en colonisations, qu'en reste-t-il ?

La construction par le haut de la société par les États colonial et postcolonial ont pulvérisé les collectifs existants et ont privé les individus de la capacité de se constituer en collectifs consistants. Le premier en dépossédant les populations de leurs terres et en cantonnant les populations dans des centres de regroupement pour briser leur résistance. Le second dans son projet de création d'une armée industrielle du travail. La composition des intérêts confiée à l'État est allée à contre-courant d'une composition sociale. L'État en prenant en charge l'éducation, la santé et le logement a dessaisi la famille, les collectivités locales de la satisfaction de leurs besoins. Il a disjoint la liberté de la capacité. Il a fait jouir les individus d'une liberté factice en leur soustrayant la possibilité de développer leurs capacités. Nous n'avons pas appris à nous servir en servant les autres, en étendant nos liens et nos marchés. Au service de l'État, nous devions ignorer nos proches, faire comme si tout le monde était égal. Dissoudre, détendre nos liens personnels sans étendre leur réseau. Alors que la construction de nos intérêts ne peut s'opérer que par le bas, de proche en proche. Nous devons commencer par aider nos proches, compter sur nos proches avec lesquels nos comptes ne sont jamais clos. Nous devons construire nos réseaux.

J'entends souvent dire, et l'ai dit moi-même, que sans la politique de l'Etat, je ne serai pas parvenu au point où j'en suis. Mais je constate maintenant que je n'ai plus de famille, que je n'ai pas accompagné mon père qui aurait voulu que je l'aide, que j'ai délaissé frères et sœurs, que j'ai rompu avec mon territoire, que je n'ai pas de savoir-faire à transmettre. L'État est resté sourd à la dynamique sociale, ceux d'en bas réclament toujours l'aide de ceux qui sont en haut. Et en haut, peu de fonctionnaires ont résisté à cette demande, ils ont construit des réseaux de clientèles, des réseaux mafieux au lieu de construire des territoires, des marchés et leurs règles. Un élu n'est pas regardé comme porteur d'un programme, mais comme un « proche » qui coopère avec les siens ou d'autres plus intéressants. Un élu qui ne coopère pas avec ses proches n'a aucune grâce à leurs yeux, si ce n'est pas un traître, c'est un corrompu caché qui regarde vers le haut et pas vers le bas. La corruption a sa base dans cette demande sociale de construction de réseaux. Et les politiques qui ont besoin d'une clientèle plus large que celle des cercles mafieux sont ensuite livrés en pâture par le système aux récriminations des citoyens. C'est une société de l'argent qui ne peut s'organiser qui corrompt l'État importé. La société de l'argent ne pourra donc pas accomplir sa révolution bourgeoise, la lutte contre la corruption l'en empêchant, et l'État importé ne pourra pas non plus accomplir sa mutation, lui qui refuse à la société le droit d'organiser ses intérêts et de les défendre légalement.

La différenciation sociale démarre avec le marché et la séparation du producteur et du consommateur. On parle alors de société marchande de producteurs indépendants. « Je ne consomme pas ce que je produis, je vends mon produit pour acheter le produit des autres ». La différenciation se poursuit avec la concentration de la propriété. Quand la terre cesse d'être abondante, s'achète et se vend, certains producteurs cessent d'être propriétaires. Quand on a vendu sa terre, il reste pour vivre à vendre son travail. Quand la production marchande est étroite, elle ne concerne pas toute la société. Tout le monde qui ne possède que sa force de travail ne peut pas vendre son travail pour vivre. La faiblesse du marché ne peut par conséquent financer une redistribution en mesure d'achever l'intégration de toute la société. Pour transformer une société égalitaire faiblement différenciée en société égalitaire différenciée, il faut conserver la solidarité et la symétrie des sociétés marchande et non marchande. La redistribution ne sert à pallier les défaillances du marché que lorsque le marché est censé intégrer toute la société ou sa grande majorité. Dans une société émergente, elle doit servir la préservation ou la progression de la société non marchande d'où elle sort. Le marché n'a pas pour fonction de structurer la société. Le marché étend le principe de réciprocité à l'étranger symétrique, mais il produit des étrangers. Avec un rapport à l'étranger asymétrique (colonialisme, impérialisme), le principe de réciprocité s'est perdu. Dans la société précoloniale, à dominante rurale, le marché était un marché intertribal. Ce qui signifie globalement un marché entre deux collectivités distinctes qui ne se devaient pas de comptes sinon conjoncturels. Le développement naturel du marché, autrement dit consenti par les collectivités, correspondrait au développement différencié de leurs marchés. Les plus petits seraient entre des fractions de tribu, les plus grands de plusieurs tribus. La connexion entre les grands marchés pouvant constituer un réseau de marchés et organiser un marché national. Jusqu'à constituer des centres urbains de production autour de ces grands marchés. Mais ces marchés n'auraient pas détruit le fonctionnement des sociétés non marchandes comme la fait la dépossession coloniale. Ils auraient converti le principe de réciprocité en principe de symétrie (échange entre égaux) et en principe de redistribution (correction des asymétries sociales conséquentes à l'extension du marché).

Espace social et espaces économiques

Quand nous ne pouvons pas obtenir du monde ce que nous souhaitons pour notre progrès, nous devons l'obtenir de nous-mêmes. Dans la sphère marchande, il faut distinguer deux espaces : un espace intérieur celui de l' « étranger » intérieur avec lequel nous sommes pris dans des relations impersonnelles, avec lequel nous réglons nos comptes sur-le-champ d'une part mais pas seulement et un espace extérieur, celui de l'étranger international d'autre part, où nos rapports peuvent se résumer aux échanges marchands quand l'histoire ne s'en mêle pas. Nous retrouvons là les deux derniers étages de la vie économique : l'un exposé à la compétition internationale (que l'on dira capitaliste) et un autre ouvert à la compétition nationale, mais protégé de la compétition internationale. Ce découpage n'est pas une affaire étatique, mais une affaire de conscience sociale, de choix collectifs qui se transforment en stratégie. Chacun doit avoir présent à l'esprit la compétition qu'il accepte et engage avec l'étranger duquel il faut obtenir certains échanges et la compétition qu'il accepte et engage avec les siens par laquelle il nous faut obtenir par nous-mêmes certaines productions. Nous réservons une demande à la production marchande nationale une autre à la production mondiale. Ce sera à la délibération sociale et politique de les déterminer selon les capacités et les volontés du territoire. C'est la production d'une telle conscience sociale qui doit être l'expression du patriotisme économique et à la base de l'intégration nationale. Nous devons distinguer les espaces de nos échanges, ce que nous ne pouvons pas échanger d'un territoire à un autre et qu'il nous faut produire pour donner une activité à chacun, ce que nous pouvons échanger d'un territoire à un autre, puis ce que nous devons produire pour pouvoir échanger avec le monde et incorporer ses innovations d'intérêt. Sans que ces espaces ne soient séparés, mais enchâssés l'un dans l'autre, rendant possible l'existence du principe de redistribution sur un territoire. Pour ce faire, il faudrait réhabiliter l'impôt local et permettre aux territoires de se former sur la base d'une intégration volontaire des trois espaces qui rendent possible la réciprocité, les échanges et la redistribution entre eux. On ne peut pas imaginer une telle intégration sans un fort attachement des populations à un territoire, sans un certain esprit de corps. Voilà pourquoi il faut parler de patriotisme.

L'expérimentation sera le fait de trois étages qui se partagent les problèmes et les solutions. Permettant aux problèmes et à l'innovation de circuler, l'innovation de l'un pourra être à la base de l'innovation de l'autre, le problème de l'un pouvant trouver sa solution dans l'autre. Trois étages distincts de la coopétition, mais toujours en résonance, un premier pour tous où chacun peut retomber, redémarrer, être soutenu par la redistribution et soutenir la vie marchande. Ensuite ceux qui peuvent produire pour le marché national, où l'on se demandera quelles compétitions nationales fructueuses il faudrait organiser, qui peuvent soutenir un second étage et bénéficier de ses innovations, deuxième étage qui puisse participer à la production mondiale, s'incorporer les innovations du monde et les diffuser à son étage inférieur. Le principe de réciprocité veut que la mobilité sociale fonctionne entre les trois étages et pour ce faire, qu'ils disposent d'un même espace social. L'accroissement de la part de la production nationale dans la production mondiale étant l'enjeu stratégique du progrès social et dépendant de la capacité de la société à s'incorporer le savoir-faire mondial, on ne peut obtenir une diversification de l'économie sans un certain ordre entre les trois étages qui diffuse et s'accommode un tel savoir-faire. L'accroissement de cette part, le fait direct du troisième étage et de son élargissement, ne peut pas aller sans un fort soutien des étages inférieurs qui ne peuvent eux-mêmes lui rester solidaires sans retour sur leur investissement. La solidarité des étages doit aller dans les deux sens. Si nous voulons partager davantage avec le monde, son mode de vie et ses façons de faire, il nous faudra lui donner davantage. Et ce n'est certainement pas en fabriquant des assistés qu'on y parviendra. Tous doivent se sentir concernés par un tel objectif d'intégration mondiale.

L'Allemagne nous donne l'image d'une société qui fait aussi reposer sa compétitivité sur un travail dit précaire. À la différence de la France, elle préfère donner un travail que de mettre au chômage. L'important est que ce travail qui rapporte peu aujourd'hui puisse entretenir quelqu'un qui puisse rebondir, qui puisse à nouveau contribuer. Il faut que la volonté de contribuer l'emporte sur le désir de rétribution, qu'un tel sentiment soit partagé par tous les étages. Ici aussi, cela ne peut pas s'imaginer sans un fort esprit de corps.

J'aime me rappeler l'image de la famille traditionnelle, lors du repas où les hommes et les vieux étaient les mieux servis, les enfants et les femmes ensuite. On commençait par la force productive, la personne qui travaillait, ensuite les gardiens de la mémoire. Les enfants avaient envie de grandir pour avoir plus de considération, une meilleure part. Ce sont toujours les pauvres qui paient l'addition, qui doivent faire le plus d'effort. Là n'est pas le problème. Car il y a les pauvres qui vivent dans l'espoir de ne plus l'être et ceux qui vivent dans la nuit. Alors donner de l'espoir aux pauvres, n'est-ce-pas ce qui fait battre le cœur une société ? Allons-nous toujours les nourrir de faux espoirs ?

Transformer les forces du marché

Aller plus loin que Marx, non pas la lutte des classes, mais la lutte des masses. La minorité des producteurs et la majorité des consommateurs. Ici on tiendra compte du consommateur de la société marchande et de la société non marchande. Le premier tirant toute sa consommation du marché, le second partiellement. La loi des consommateurs pourrait être la suivante : épargner pour décider de l'investissement, consommer pour décider de la production. Pour contrebalancer ou réduire la puissance des propriétaires monopolistes, les organisations de travailleurs ne font plus le poids, elles ne sont pas adaptées aux besoins d'une composition sociale de l'intérêt général. La société industrielle fordiste s'est délitée. Le mouvement ouvrier mondial est dans l'impasse, il n'a pas survécu aux divisions Nord-Sud, il est achevé par la fragmentation des chaînes de valeur mondiale. Il faut transformer les forces du marché, car les choses changeront quand le marché changera, il faut structurer le marché de sorte à produire des forces équilibrées. Il faut démocratiser la propriété, des comportements citoyens de la part des consommateurs et des épargnants souscripteurs des nécessaires inégalités. Si l'inégalité est nécessaire à la différenciation sociale et à l'accumulation, les citoyens animés du principe de réciprocité doivent accorder à la redistribution la place nécessaire. Les plus nantis doivent vouloir veulent pour autrui le minimum qu'ils veulent pour eux-mêmes. La liberté de chacun commencera au-delà d'un certain seuil collectif : la possibilité de fonder une famille et d'avoir une vie décente (ce qui suppose un droit à une activité supplantant le droit de propriété), à partir duquel chacun est libre de singulariser ses préférences personnelles : libre d'aimer le travail, l'excellence, un travail rentable ou enrichissant, une vie simple à la campagne ou compliquée en ville. Travailler tous pour garantir une vie décente à chacun : préférences individuelles convergentes ; travailler au-delà : préférences individuelles divergentes. Vous ne pouvez pas disposer librement de tout votre revenu : la redistribution. Vous pouvez disposer de votre revenu à partir du moment où chacun a le minimum pour vivre. Cela suppose un principe de réciprocité bien ancré dans la société. Cela suppose une société sans classes héréditaires.

Contribuer ou rétribuer : le mérite, le talent sont d'abord des créations de la société

Cela suppose de revenir aussi sur la notion de méritocratie, le mérite individuel justifiant la rétribution. Il faut cesser d'attribuer d'abord le mérite à l'individu, le mérite est d'abord celui du milieu social, ensuite seulement celui de l'individu. Il est davantage collectif qu'individuel, quelles que soient les sociétés. Les valeurs sociales y ont leur part. L'égalité des chances est plus réduite dans les sociétés aux milieux sociaux inégalitaires[4]. Et les plus méritants ayant hérité davantage qu'ayant contribué de leur propre personne ne sont pas ceux qui ont le plus de talent, qui lui est distribué par d'incommensurables et différentes variables. Ils ne sont pas nécessairement ceux qui auraient pu le mieux contribué au bien-être de la société sous une autre distribution du capital. Ce qu'il y avait de bien dans l'hérédité c'était la transmission familiale. Or aujourd'hui la transmission ne bénéficie-t-elle pas d'autres canaux, ne déborde-t-elle pas la famille et le milieu adoptif ?

Dans notre société, d'une génération à une autre, on peut observer que les talents naturels ne s'héritent pas. Ici, pas de tel père, tel fils. On le constate aisément dans notre société qui a connu des transformations ultrarapides. Le fils de l'ancien moudjahid ou de l'officier supérieur qui de sa position de pouvoir politico-militaire a fait sa fortune, n'hérite pas d'un métier, et pas du « talent » de son père qui s'est construit au cours de la guerre de libération, qui a agi et réfléchi ensuite.

Bien sûr le système héréditaire se prévaut de l'éducation. Il transmet un capital culturel (P. Bourdieu) qui ferait la différence. Mais ce capital culturel est celui d'une société de classes, d'une classe qui se reproduit, ce n'est pas celui d'une société égalitaire au changement ultrarapide. Il vaut pour une classe dans une société, pas pour toutes les sociétés et surtout pas pour une société en constant bouleversement. Le capital culturel d'une société égalitaire ne reproduit pas une société de classes, il est partagé et se différencie par rapport à d'autres sociétés. Pour accroître notre part dans la production mondiale, on ne peut pas faire confiance aux anciens cadres vite bousculés et périmés pour diffuser le capital.

Le talent est aussi une création de la société. Une création de la société par le fait que c'est elle qui valide, qui en constitue la demande et qui en contrôle l'émergence. La personne offre ce qui est demandé par la collectivité, son offre est structurée par des organismes. Lorsque la demande sociale ne valide pas, l'offre n'est pas reconnue ; lorsqu'elle n'est pas certifiée, elle peut s'efforcer d'obtenir la reconnaissance, mais elle devra patienter à ses risques et périls.

La concurrence des talents peut être un obstacle à leur révélation, si la concurrence dans le milieu ne leur est pas favorable. Tous les milieux ne sont pas innovateurs ni ne bénéficient des bonnes structures de marché. L'administration de la concurrence dans un milieu, les structures du marché peuvent donc favoriser ou défavoriser l'innovation. Un soin particulier doit être apporté à cette question dans les sociétés émergentes qui pour favoriser l'innovation ne peuvent aligner leurs structures sur celles des économies de marché.

En guise de conclusion : je vais ramasser ma réflexion sur l'intégration nationale dans l'argument suivant : il faut établir la propriété privée comme qualité émergente de la propriété collective et non de la propriété étatique. C'est cette question que la lutte contre la corruption élude. La propriété privée ne pourra pas s'enraciner dans la propriété étatique comme elle l'a fait dans les sociétés européennes. La propriété étatique ayant été la propriété privée des monarques de droit divin, lieutenants de Dieu sur terre. C'est dans les territoires que ce recadrage de la propriété privée est possible, la mémoire collective en est la garante. Et ce sont dans ces territoires où le principe de réciprocité sociale garde quelque sens que le principe de redistribution pourra retrouver sa force et une intégration nationale sa condition.

[1] On peut dire qu'à une certaine époque la Chine a appliqué un tel principe avec la ville de Shenzhen en l'instaurant comme zone de libre-échange. Mais la redistribution ne saurait s'entendre qu'au seul titre du revenu. Elle comprend le capital qui est nous le répétons savoir-faire.

[2] Leçons grecques pour l'économie mondiale, Project Syndicate, 11 mai 201.

[3] Voir l'article entretien de Immanuel Ness (Points d'étranglement : Les travailleurs de la logistique perturbent la chaîne d'approvisionnement mondiale) par Mohsen Abdelmoumen.

[4] L'influence de la situation socio-économique des parents sur la performance des élèves dans l'enseignement secondaire est particulièrement forte en Belgique, en France et aux États-Unis, tandis qu'elle est plus faible dans certains pays nordiques, au Canada et en Corée. Par ailleurs, dans de nombreux pays de l'OCDE, y compris tous les grands pays d'Europe continentale, la performance des élèves est fortement conditionnée par leur environnement scolaire.

Les politiques redistributives et de garantie de ressources semble être accompagnées d'une plus grande mobilité sociale intergénérationnelle. OCDE 2010. « Une affaire de famille : la mobilité sociale intergénérationnelle dans les pays de l'OCDE. »