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Tebboune : les grands chantiers

par El Yazid Dib

Que pourra-t-il faire au cours de cette année qui s'entreprend dans une allure d'espoir et aléatoirement sceptique ? Son triomphe est dans la reconquête de cette confiance tant violée.

Sa prouesse est dans l'ensemencement des vertus vers une République de Droit, d'égalité et sans humeur. Des chantiers sont à ouvrir.

22 février 2019.22 février 2020. Le Hirak né le 22 février était perçu comme une colère nationale, un cri de ras-le-bol de la situation qui prévalait. Le peuple dans son ensemble est sorti pour dire ce qu'il n'avait pu exprimer durant des années. Il y avait énormément de revendications, ce qui a ramené toute la classe politique à observer une halte, presque une remise en cause et se mettre en adéquation avec ce soulèvement populaire. En fait il a libéré tout le monde.

Une année de fièvre dont 11 mois de convulsions. Dans ce dernier mois, des élections ont eu lieu, un Président est élu, un gouvernement controversé est parti, un autre complexe est arrivé, un général corps d'armée est décédé, des détenus ont été libérés, une réflexion constitutionnelle est constituée ...autant d'actions sont venues marquer la promesse ou l'attente d'une revendication née voilà presque une année.

Une lueur politique...

La crise semble ainsi se résorber p'tit à p'tit quoique certaines frustrations restent tractées depuis l'avènement du soulèvement général. Une lueur semble pointer dans une incertitude de moindre densité que celle qui habitait dangereusement l'année écoulée.

Outre le devoir percutant et irrésistible qui nécessite d'être accompli urgemment pour parachever le dénouement au plan politique ; il reste cette protestation qui ne cesse d'agiter ses ailes chaque vendredi et mardi dans un contexte national un peu inquietant. Ce qui a été dit par l'ex-candidat, Président actuel de la République est encore frais et fraîchement accroché à l'ouïe de chacun, d'écouter tout le monde, de faire siennes les doléances du Hirak et de s'investir à leur prise en charge.

Les libertés, l'emploi, la justice, l'égalité et tant d'idéaux, de rêves et d'attentes sempiternelles. L'illusion dans ce monde de jeunes incrédules n'est plus une tasse de café. Le comptant, le factuel, le palpable et leur célérité sont au seuil de l'attente avec des yeux grandement ouverts. En attendant l'accouchement d'un avant-projet de constitution, qui d'ailleurs n'est pas une panacée, juste une projection pour ce que sera demain cette République tant réclamée, le peuple a besoin de voir mieux. La bureaucratie, les transports, l'eau, les télévisions, le débit du net, les pensions, le marché et ses prix, même la pomme de terre sont toujours en stand-by. La constitution est certes le socle de l'Etat sur lequel doivent s'ériger somptueusement tous les droits et devoirs tant des citoyens que des pouvoirs. Donc elle ne doit pas être conjecturale et conjoncturelle comme celles qui l'ont précédées ou pitoyable et populiste pour qu'à chaque secousse des réfections dira-t-on sont nécessaires. Bâtir des principes solides, c'est renforcer ses remparts. Elle ne saura, disons-le dès maintenant frappée de légitimité que lorsqu'elle englobera en ses interstices des contre-pouvoirs garantis et assurés expressément. L'opposition est un droit divin. L'obsécration, voire les nuages qui flottent dans l'air politique c'est cette peur que par d'autres méthodes exhumées d'un récent règne l'on persévère à agir comme s'il n'y avait rien. Ni Hirak, ni engagements ni revendications à satisfaire.

Une ouverture à large consultation

Voir le Président de la République se déplacer pour rendre visite, chez lui ; au docteur Ahmed Taleb Ibrahimi, ancien ministre du temps de Boumediene n'est qu'un gage, à l'apparence de bonne volonté. Oui, chercher ainsi une légitimation en accordant de l'importance aux cadres de la nation et s'ouvrir à bien d'autres n'est que fortement légitime. C'est dire qu'après avoir reçu d'autres « personnalités », Hamrouche, Benbitour, Rahabi, Sofiane Djilali la série pourrait s'étendre à bien d'autres. Ghozali, Sifi et tous ceux qui ne se sont point impliqués dans la régence de fakhamatouhou. On verra bien le Président recevoir, Zeroual, le commandant Bouragaa, le commandant Si Azzedine Zerrari. L'on rapporte aussi que des parties, des associations et des syndicats seront du lot des gens à recevoir ou à « consulter ». Il vaudrait mieux zapper aussi ceux qui avaient pignon d'allégeance avec le palais effondré.

Notamment les personnes de ces « comités de soutien » déguisés à l'occasion qui en syndicats qui en associations. Le net avec ses archives et ses VAR est témoin de ces porteurs de cadres, ces laudateurs de mythe. Alors pourquoi ne pas élargir ces consultations aux hommes de sciences, de lettres et d'art ? On verra bien Yasmina Khadra, auteur de renommée internationale accueilli sur le perron de la présidence en compagnie d'une foultitude d'écrivains entre hommes et femmes de culture.

La concertation n'a jamais été un abandon d'autorité pour l'un ou un alignement au pouvoir de l'autre. Elle n'est que la résultante d'une volonté à vouloir bien mettre à plat toutes les ambiguïtés. Le Hirak est porteur quel que soit son porteur de pas mal de revendications qu'il faudrait disséquer l'une après l'autre et en faire ainsi un manifeste sur lequel va reposer une feuille de route taillée sur la souveraineté que tout pouvoir appartient au peuple.

Prendre des jeunes étudiants et les mettre à table, les laisser dire et en faire des acteurs de la nouvelle mouture républicaine aura cette facilité d'aller encore plus loin dans le dialogue intergénérationnel.

Une diplomatie qui renaît

L'Algérie a enfin commencé à connaitre les premiers souffles d'une renaissance qui a trop tardé à apparaitre. La diplomatie qui régnait durant ces dernières 20 ans n'était qu'une contrepartie d'un argent jeté par les fenêtres afin non pas de renforcer les capacités d'actions de l'Etat mais d'améliorer l'image flétrie par la biologie d'un Président en perte d'alacrité. Suite aux guerres internes de succession et aux convoitises du maintien ; le pays est resté en marge des grands événements politiques même ceux qui se déroulent dramatiquement à ses flancs. La Libye avait fait l'objet de congres un peu ailleurs en Europe sans que l'Algérie n'y soit invitée. La descente aux enfers, la mise au placard, le strapontin dans le concert des nations nous ont valu presque une hogra, un immense mépris. Nous avions pourtant misé sur un Lamamra, invétéré et chevronné, mais c'était sans compter sur sa honteuse complaisance en fin de carrière avec un régime finissant. Vice-premier ministre à Bedoui, il ne prêtait plus le bon profil. Un Lakhdar Brahimi, archéologique faisait avec son accent oriental et sa résidence à Paris, des missions en sens inverse juste pour venir dire la bonne santé et la lucidité d'un Président que lui seul en atteste. Au bonheur de tous ; le pays tente de sortir de l'omerta imposée par une conjoncture des plus difficiles. Oublions Sotchi, regardons ailleurs.

Une communication qui se cherche

L'une des premières missions de ce département dévolu à un gars du métier Amar Belhimer, homme sage et stable ; c'est d'abord ne pas détourner sa tête de son entourage, de son ancien aréopage et ne pas prendre des ailerons pour voler au dessus des rédactions brandissant le spectre de la censure ou suscitant l'autocensure et les modes voisins dont lui-même aurait souffert. Ensuite c'est d'assainir le secteur, notamment celui de ces télévisons off-shore. La publicité doit avoir son texte et ses règles d'équité. Les annonces que distille l'ANEP doivent disparaitre pour libérer le champ de la communication commerciale en l'encartant dans un cadre de normes à même de garantir la transparence et éviter le trafic d'influence ou tout supposé chantage. Il ne doit plus être de l'apanage de la dépense publique de tenir à la gorge la liberté d'expression. La différencier avec celle de la presse serait une action salutaire à la faveur de ceux qui font l'information. Belhimer est dans la l'obligation professionnelle d'imiter le Président de la République dans ses démarches d'ouverture. Sa consultation à lui est à ouvrir envers tous les professionnels de la communication et des domaines connexes. Le paysage est avarié. Le débat est aisé s'il arrive à se contenir dans la collecte des propositions à même d'inaugurer une nouvelle ère dans le métier. Un cadre juridique s'avère une urgence afin de réglementer l'exercice de ce droit à l'expression. Le code de l'information est dépassé. De nouvelles dispositions pratiques et flexibles de régulation doivent être édictées pour tous les supports du papier, à l'image, au son, à l'électronique. Par ailleurs, c'est à lui, loin de constituer une cellule de com, destinée à la coupure des manchettes ; de pourvoir la présidence en lui rapportant ce qui s'écrit et se parle dans les supports médiatiques notamment ce qui concerne l'amélioration de la gestion du pays. A son tour d'assainir les offices et les centres autonomes qui pivotent à ses alentours. A quoi sert un centre international de la presse ?

Une refonte législative, organique

A l'évidence tout dépendra de la substance de la constitution. Cette refonte n'en sera qu'une conséquence. Elle tient en l'état tous les textes subséquents. Une idée fédérative est déjà lancée pour légiférer sur le racisme interne, la haine concomitante, l'insulte réciproque ou la traîtrise échangée.

Cette loi qui n'aurait à agir que dans la pédagogie sociale sans interface politique ou quelconque immunité parlementaire est une réaction positive à tout ce qui s'est injecté dernièrement dans le sein de la société comme virus et animosité. Chacun y allait de son ego, de son, de sa tranchée pour réduire à rien l'autre. Pire, certains croyaient même cultiver un amour patriotique exclusif quand ils plaçaient ceux avec qui ils divergeaient d'avis dans l'apostasie, la trahison ou l'intelligence avec l'étranger. Il suffit que l'effet de rejet de l'autre soit réduit afin de l'anéantir et de faire disparaitre tout sentiment d'animosité ou d'adversité notamment lorsqu'il s'agit du destin national ou des grands défis. Personne, au regard de l'égalité de tous devant la loi ne pourra argumenter du fait de n'importe quel statut. Il n'y a pas que ce volet de la moralisation de la vie sociale. Enormément de lois sont à corriger. Tout arsenal juridique qui avait pour but d'obstruer le chemin des libertés et de la démocratie est appelé à s'épurer. Les relents fétides d'une ère, qui se poursuit parfois ; où à l'approche d'un agent patibulaire le sentiment d'être arrêté vous étrangle. Il n'y rien de plus confiant que ce placement dans la quiétude et la sérénité citoyenne. Produire du bonheur et de la sécurité est plus conséquent que toute loi faite juste pour être au diapason des conventions internationales. Que fait le Conseil des droits de l'homme ? Ou est l'Observatoire du service public ? Ou est la Délégation nationale de la circulation routière ? que fait la Délégation de la prévention des risques et des catastrophes naturelles ? Il y a énormément d'Offices, d'Agences, de Conseils, d'Instances qui foisonnent à la périphérie des ministères qui engloutissent les privilèges sans nulle responsabilité, jouissent de budgets et dorment sur la longévité. Ils ne sont jamais sous les feux de la rampe. Discrets, invisibles pour tout le monde, ils vivent allégrement sans aucun bruit public. Allez oust !

Revoir les nominations des dix derniers mois

Si Bedoui est parti son ombre, ses empreintes, ses copies, ses caporaux sont partout. Il avait de rien conçu des personnages, du néant des hauts fonctionnaires et de la précarité des notables. Les exemples sont édifiants parmi certains walis, directeurs de wilayas, secrétaires généraux ou de chefs de daïra. Parmi aussi les députés et les élus locaux, il existe des créations en contrefaçon. Durant cette gouvernance intérimaire à travers presque tous les ministères beaucoup de compagnonnage et camaraderie se sont vus gratifiés de postes qu'ils n'espéraient nullement en avoir en temps normal. L'enseignement supérieur, la culture, la communication, la jeunesse et bien d'autres départements ministériels n'ont été pour leurs détenteurs qu'une aubaine de pouvoir placer les leurs. Un regard strident et approfondi est à porter sur ce volet.

Neuf mois leur ont suffi de lancer leurs graines dans les sillons de secteurs dont les véritables ayant-droits eurent à être marginalisés ou mis hors circuit. Les promotions en mode TGV ont fait le principal menu de leur activité. Certains, très conscients du fait provisoire et très court qui enrobe leur nomination n'ont pas hésité à le dire en proférant que « rien ne dure, fais le bien seulement » quel bien ? Saper le mérite et encourager l'entrisme et la démesure.

En l'état, à voir ce qui se prépare et imaginer ce qui va avoir lieu le long de cette année, l'observateur pourrait conjoncturer sur des probabilités dont certaines ne sont qu'un aboutissement à ce qui vient à ce jour d'être lancé comme chantier. Verrons-nous une constitution qui divinise davantage la souveraineté du peuple et réhabiliter sa représentativité avec la disparition de ce Sénat qui ne sert à rien ? Verrons-nous le dispositif législatif électoral revu de concert avec la loi sur les partis qui n'aurait qu'à aérer l'embouteillage planant sur le paysage politique et partisan national ? Verrons-nous l'organisation d'élections législatives et locales anticipées ? Comme toujours gardons à l'œil et au doigt l'espoir et la vigilance !