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«Sir... yes, sir»

par Moncef Wafi

Un ministre de passage a décrété que, dorénavant, on ne sera plus analphabètes bilingues mais trilingues. Voilà ce qu'on a récolté du post-Bouteflika, à croire que certains regrettent déjà Ouyahia et Sellal. L'université algérienne, qui n'est jamais arrivée à décrocher un statut de compétence et qui a touché le fond avec les approximations des uns et des autres, va encore creuser un peu plus profond avec cette décision à la hussarde de remplacer le français par l'anglais. A force, les Algériens vont finir par développer un sabir, un genre de patois adapté à leur propre instabilité chronique.

Décider de remplacer une langue qu'on ne domine pas forcément par une autre qu'on ne maîtrise pas du tout relève d'un aventurisme dangereux sur fond d'une politique de récupération et d'un populisme douteux.

Le caractère même de ce gouvernement, qui n'arrête pas de prendre des mesures engageant tous les Algériens, sonne comme une gifle au visage du hirak qui n'a jamais demandé autre chose que le départ de ces personnes qui veulent infliger davantage de déconvenues au pays.

Comment a-t-on pris cette décision, sur quelles bases scientifiques et qui l'a décidée ? Ne me dites surtout pas que c'est le ministre de l'Enseignement supérieur qui en a eu l'idée alors qu'aucune étude sérieuse ni réflexion de fond n'ont été entreprises pour en discuter des contours, de la faisabilité de la chose et de ses conséquences à court et moyen terme. Il est vrai, aussi, que les visions à long terme n'ont jamais été le fort d'une gestion anachronique qui privilégie la décision personnelle au détriment de la compétence professionnelle. Notre propos n'est nullement de défendre la langue française ni d'encourager une langue anglaise mais il serait plus judicieux de faire cohabiter les deux pour une plus grande richesse linguistique des Algériens.

Pourtant, la perspective d'une telle option est presque impossible dans la logique surannée de ces gestionnaires intérimaires pour lesquels l'affrontement et la division sont toujours avantagés pour mieux s'installer dans la durée.

Cependant, personne n'est dupe de ces contre-feux allumés dans la précipitation pour détourner l'opinion des priorités nationales.

Cette question de la langue aurait pu être celle de la conduite à gauche, du clin d'œil en public, de la nage en short ou en burkini, enfin, de ces futilités dont le pouvoir a le secret pour amuser la galerie. Last but not least, la vérité est ailleurs et le diable réside dans les détails sordides.