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Comment faire prévaloir l'autorité de l'Etat sur le littoral et les espaces maritimes ?

par Cherif Ali

La plage algérienne est-elle gratuite, meurtrière ou payante ? On y tue, on y bronze, on y paye ou on y prie ? C'est le dernier lieu de l'enjeu idéologique de cette nation devenue fragile, chancelante sur ses pieds traînants, menacée par la dislocation, l'enterrement ou la nécrose. (Kamel Daoud).

C'est vrai que pour les Algériens, passer une journée à la plage n'est pas forcément synonyme de détente et de loisir !

Etat des lieux

Par la force des choses, nos plages sont devenues des espaces rédhibitoires où la saleté le dispute à l'incivisme d'une jeunesse en manque de repères. Elles sont tenues par des « autoproclamés » concessionnaires qui, eux-mêmes, s'en remettent à des « gros bras » pour les gérer.

Les journaux n'ont de cesse de rapporter dans leurs colonnes les appels de détresse des citoyens racquetés au vu et au su de tout le monde par ces mafieux. Des reportages ont été diffusés à la télévision pour étayer les dires des victimes sans que les auteurs n'aient eu à y répondre !

Ces derniers, jusqu'à la saison estivale passée, ont continué à défier les lois de la République. Dont notamment, cette instruction du ministre de l'Intérieur, des collectivités locales et de l'aménagement territorial, qui consacre la « gratuité des plages » !

Dans les faits, les squatters des plages assurent tirer leur « légitimité » des maires qui leur ont donné « verbalement » leur quitus pour occuper tout ou portion d'une plage, louer des parasols et des chaises.

Et aussi monter, au pied levé, des aires de stationnement des voitures pour en faire payer l'accès à l'« automobiliste estivant », forcé de payer ou de s'en retourner chez lui. Au final, une journée de plage lui coûterait en moyenne mille dinars, au bas mot !

Quid du libre accès aux plages ?

Lors du lancement officiel de la saison estivale qui démarre en principe le 1er juin, Salah Eddine Dahmoune, le ministre de l'intérieur et des collectivités locales devait faire face à deux dossiers brûlants, et c'est le moins que l'on puisse dire :

- Les incendies de forêt

- La gratuité des plages

Si pour le premier, les choses semblent avoir été prises en main du côté du palais de gouvernement, il n'en est pas de mieux pour le second dès lors que les directives adressées aux walis pour « consacrer la liberté d'accès aux plages » n'ont pas été, totalement, mises en œuvre à en croire ce qui a été rapporté par les journaux. Le ministre a dû en dernier ressort dépêcher des inspecteurs qui ont collaboré « secrètement » avec les services de sécurité pour « libérer ces plages » de l'emprise de la maffia qui dicte sa loi aux estivants !

Pour l'heure, on évoque l'éventualité d'annuler le système de concession des plages, une pratique pourtant réglementée moins qui n'a pas porté ses fruits, un décret en fixe les contours : « deux tiers de la surface d'une plage peuvent faire l'objet de concession au profit de personnes offrant des prestations de qualité, la partie restante, un (tiers) étant libre d'accès aux estivants ».

Depuis des années, l'accès à de nombreuses plages est devenu payant que ce soit de façon directe à travers la demande de s'acquitter d'un droit d'entrée, ou de façon indirecte en faisant payer toute une panoplie de prestations qui conditionnent, de fait, le droit de s'installer à un emplacement. Des pratiques qui s'opposent à l'accès gratuit à la plage ! Et les écriteaux assurant que l'accès aux plages est gratuit conformément à la loi, font juste office de décor !

Plages publiques, plages privées : l'ambigüité !

Pour l'heure, on évoque l'éventualité d'annuler le système de concession des plages, une pratique pourtant réglementée mais qui n'a pas porté ses fruits ; un décret en fixe, pourtant, les contours comme suit : «Deux tiers de la surface d'une plage peuvent faire l'objet de concession au profit de personnes offrant des prestations de qualité, la partie restante, un (tiers) étant libre d'accès aux estivants».

Il faut savoir toutefois que depuis plusieurs décennies, les plages du monde entier sont l'enjeu de batailles entre professionnels du tourisme, riverains et associations écologistes.

En Europe, les plages à péage se multiplient; chaque Etat européen possède son propre modèle, afin d'arbitrer entre le développement touristique et la préservation du littoral et des paysages. Tandis que les zones privées se multiplient un peu partout, la Grèce, elle, met en vente certaines de ses plus belles plages. Rien qu'en Italie, le nombre de plages payantes a plus que doublé en dix ans pour atteindre 12 000 contre 5400 en 2001. Cela correspond à une plage privée tous les 350 mètres de côte. Certaines d'entre elles sont de «véritables citadelles clôturées, avec des piscines, des salles de gym et des restaurants». D'autres se contentent d'installer des chaises longues et des parasols qu'on peut louer à la journée pour une vingtaine d'euros. Toutes doivent, cependant, laisser libre une bande de cinq mètres à partir de la mer pour que l'on puisse circuler, mais gare à celui qui voudrait y installer sa serviette : il est interdit de s'arrêter !

Les défenseurs des plages privées estiment que c'est le prix à payer pour avoir un rivage propre, bien entretenu, et sécurisé.

Les conceptions françaises et italiennes, par exemple, s'affrontent : qui doit payer pour l'entretien des plages : le contribuable ou l'usager ?

En Algérie, la question est tranchée : c'est le citoyen lambda qui doit y aller de sa poche! Celui appartenant à la nomenklatura qui s'adonne au jet-ski au Club des pins, Moretti et ailleurs dans notre chère Algérie, n'a pas à se poser ce genre de question «bassement matérielle».

Parfois le mal est ailleurs. Ainsi, un concessionnaire affirmant avoir investi des milliards pour installer un espace de jeux sur une plage qu'il louait à la commune à raison d'un million de dinars par saison estivale, se disait victime de squatters qui l'empêchaient de travailler dans la sérénité.

Les collectivités locales peuvent confier à un ou plusieurs sous-traitants, par des conventions d'exploitation, soumises à la concurrence, tout ou partie des activités destinées à répondre aux besoins du service public balnéaire (des lots de plages). Ces activités doivent avoir un rapport direct avec l'exploitation de la plage et être compatibles avec le maintien de l'usage libre et gratuit des plages, les impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, ainsi qu'avec la vocation des espaces terrestres avoisinants.

Elles perçoivent en retour des recettes correspondantes.

En théorie, les pouvoirs publics ne ménagent pas leurs efforts pour «démocratiser les espaces maritimes, les plages notamment, et permettre à tout le monde d'accéder au loisir gratuit» !

Les pouvoirs publics sont-ils dépassés par l'ampleur de la tâche ?

Bon an mal an, les autorités centrales et locales s'attellent à la préparation de la saison estivale :

1. des dizaines d'établissements publics de wilaya sont mobilisés afin d'aménager les accès et les parkings des plages

2. des plans de lutte contre les maladies à transmission hydrique sont établis

3. des plans de circulation routière sont dressés par les services de gendarmerie et de police nationale.

En réalité, les choses virent au pire à chaque saison par la faute des «gros bras» maîtres des plages qui imposent leur diktat en taxant, pour tout et rien, les estivants.

A ce rythme, disait quelqu'un, on payera pour accéder à nos maisons, ou pis encore, pour voir nos enfants !

De ce qui précède, on peut s'autoriser à dire que la gestion du dossier des concessions des plages échappe au contrôle de l'Etat, des ministères de l'Intérieur et du Tourisme, des 14 walis des wilayas côtières et des P/APC qui en relèvent !

Avec le début des vacances, les Algériens vont-ils, par devers eux, débouler en Tunisie pour pouvoir se baigner tranquillement en famille, sans que leurs femmes ou leurs filles soient victimes d'incivilités, voire de harcèlement ? Ou se résoudre pour les moins nantis d'entre eux à «barboter» dans ce qu'il nous reste de plages libres, donc non surveillées, donc à problème ?

Peut-être bien, dès lors qu'en Algérie, on compte quelque 220 plages interdites à la baignade pour cause de pollution, les deux tiers restants étant infréquentables pour les familles !

La pollution, oui il faut aussi en parler. Et le ministère de l'Environnement et des Energies renouvelables doit, par exemple, se pencher sur le cas de la zone industrielle de Reghaïa où des rejets sont déversés, via le lac, directement dans les plages de Aïn Taya, Kaddous et Corso.

Des lieux mythiques qui doivent rappeler à notre premier ministre Noureddine Bedoui, son enfance et autant de bons souvenirs!

L'association des «éboueurs de la mer», dont l'aventure a débuté en 1993, à l'initiative de 8 jeunes plongeurs écologistes de Tamentfoust, appelée La Pérouse du temps de la colonisation française, un nom encore utilisé par les Algérois, est à encourager, voire à être encadrée par Fatma Zohra Zerouati, la ministre de l'Environnement et des Energies renouvelables.

Tous les moyens doivent être mis à la disposition de cette association qui doit être déclarée d'«utilité publique» !

Insécurité, incivilités : comment les réduire ?

C'est vrai, rien n'est plus comme avant, disent les nostalgiques ! Nos plages sont devenues un espace où il ne fait pas bon vivre.

L'insécurité, c'est le problème majeur malgré les efforts des services de sécurité qui se plaignent d'un manque d'effectif. Qu'est-ce qu'ils pourraient faire de plus pour sécuriser ces espaces maritimes ?

Patrouiller davantage afin de rassurer les baigneurs et dissuader les fauteurs de troubles ?

Il faut savoir déjà qu'il n'est pas facile de classer socialement la clientèle des plages, d'autant que l'absence de tenue vestimentaire supprime un critère d'identification social important pour l'observateur. A fortiori un gendarme ou un policier.

Et la «chicha», faut-il s'en préoccuper, l'interdire ? Demander aux maires de prendre des arrêtés pour mettre fin à de véritables joutes de fumeries collectives qui empestent l'air, gênent les enfants et laissent leurs parents décontenancés devant tant de déliquescence morale et d'incivisme ?

Ici, les jeunes fument des «joints» au beau milieu des familles qui n'ont pas le choix. Ces jeunes-là, déjà, ne respectent pas les consignes, encore moins la couleur du drapeau... Qu'il soit vert, orange ou rouge, ils sont dans leurs territoires !

Comment ne pas, dans ces cas-là, avoir une pensée pour le colonel Abdelkrim Nenouche, directeur général de la Garde communale, décédé le 2 mai 2018, qui ambitionnait de transformer le corps dont il avait la charge en police communale.

Pour combattre justement les incivilités décrites supra ! Il est parti malheureusement sans concrétiser son rêve. Dans l'indifférence des pouvoirs publics qui ont «oublié» de rendre hommage au défenseur de la République qu'il était. Mais il n'est pas trop tard pour honorer ce digne serviteur de l'Etat en lui décernant à titre posthume la médaille du mérite ou en baptisant un édifice public à son nom.

Pour l'heure, le ministre de l'Intérieur est, semble-t-il, décidé à faire bouger les lignes ! Il faut éradiquer la maffia des plages, a-t-il ordonné aux walis. Tout un programme pour le ministre et ses collaborateurs, qui auront également à se soucier de l'éclosion, çà et là, des «plages islamiques» et ceux qui les organisent pour, disent-ils, «nettoyer les plages du spectacle de la nudité et de la drague».

On est, dit-on, à la veille d'un grand mouvement des walis

Une opportunité peut-être pour, le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire de sortir « des sentiers battus » consistant à élever «machinalement » au rang de wali le secrétaire général de wilaya le plus ancien ou le chef de daïra le mieux « introduit », sans tenir compte de son aptitude ou compétence pour occuper cette fonction dans telle ou telle wilaya à vocation spécifique ( agricole, touristique, industrielle) .

N'est-il pas venu le temps de donner du contenu et du signifiant au prochain mouvement en commençant déjà par désigner des « walis-maritimes» à la tête des 14 wilayas côtières du pays ?

Ils auront à intervenir dans tous les domaines où s'exerce l'action de l'État en mer, notamment :

1. la défense des droits et intérêts nationaux, particulièrement dans les zones sous juridiction algérienne (mer territoriale, zone économique exclusive)

2. le maintien de l'ordre public en haute mer et sur les plages publiques

3. le secours et la sécurité maritime

4. la protection du domaine maritime et de l'environnement

5. la lutte contre les activités illicites en mer (pêche illégale, trafic de stupéfiants, migration clandestine, piraterie...).

C'est à ce prix là, peut-être, que l'on pourra faire prévaloir l'autorité de l'Etat sur les espaces publics maritimes, redynamiser le tourisme domestique et partant, faire revivre nos 1200 km de côtes, y compris la faune et la flore qu'elles recèlent !