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Violence coupable

par Mahdi Boukhalfa

Les images de députés bloquant l'accès du Parlement à l'aide de cadenas est une forme de violence, même politique s'il en est.

Mais, il n'en demeure pas moins, comme le constatent les spécialistes, que la violence dans notre pays est devenue institutionnelle. C'est un fait, et il serait indélicat de le nier : l'Assemblée populaire nationale a vécu une violence au sens propre du terme qui a conduit à l'éviction de son président et l'installation d'un autre par la force.

Ce qui s'est passé à la fin du mois dernier est tout simplement une forme raffinée de la violence qui est en train de manger par petites doses la société algérienne. Les experts s'en émeuvent et préviennent le gouvernement et les responsables chargés de lutter contre de tels phénomènes déviants qui mettent gravement en danger l'équilibre sociétal. La violence est devenue banale, coutumière, dans notre société, et prend chaque jour des proportions de plus en plus inquiétantes. Pour la circonscrire, il ne faut surtout pas prendre des gants ni adopter un langage angélique, car elle est présente à tous les paliers de la société et dans certaines institutions publiques.

Quand des policiers tabassent en direct un supporter qui aurait transgressé les lois de la République, cela s'appelle également de la violence, et il ne faut surtout pas culpabiliser les uns et dédouaner les autres lorsque la sécurité du pays en dépend, lorsque la quiétude sociale est menacée, ou que l'ordre républicain est en danger.

En fait, chaque Algérien, à quelque niveau qu'il soit, est concerné par une lutte implacable contre ce phénomène qui ronge de l'intérieur la société algérienne. Qui la rabaisse. Il ne faut pas, surtout pas commettre cette fatale erreur de croire que la violence n'est repérable qu'au détour d'un stade de football ou par les comportements violents de telle ou telle galerie de supporters. Ce que les jeunes supporters expriment avec une rare violence dans beaucoup de cas récemment enregistrés dans certains stades de football, c'est bien cette extrême précarité sociale qu'ils vivent. C'est également l'absence de réponses adéquates à leur pressante demande d'intégration sociale qui peut se décrypter par un chômage chronique ou un abandon intolérable des pouvoirs publics de cette frange sociale.

La société algérienne, martyrisée, traumatisée, qui aura vécu une décennie noire moralement, physiquement, financièrement et psychologiquement catastrophique, dont ces dizaines de milliers d'éléments des forces de sécurité et leurs familles, a un grand besoin de calme, de se rassurer, de regarder autrement les nouvelles réalités du pays.

Le hooliganisme dans les stades est un mouvement de jeunes violents, qui a fait mal à la société britannique, mais il a été vaincu. Chez nous, le hooliganisme est partout, pas seulement dans les stades, dans l'ADN de la société. Et lorsque des représentants du peuple, les parlementaires, recourent à la violence pour chasser leur président légitimement élu, ce ne peut être qu'une caution de plus, un appel du pied à l'encouragement d'un phénomène qui, s'il n'est pas sérieusement combattu, deviendra problématique dans quelques années. Car il est de bon ton de discourir sur la violence, sur son impact terrible sur la jeunesse, ses effets dévastateurs sur la société, ou de produire des lois dissuasives, quand au plus haut niveau des structures de l'Etat, on appuie cette violence, quand elle n'est pas encouragée par des postures politiquement dangereuses.

Pour autant, le moment n'est pas de chercher le coupable, mais de se concentrer sur les moyens d'extraire ce mal, cette gangrène, qui a failli mener le pays vers le chaos.