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L'économie algérienne : économie-bébé

par Mourad Benachenhou

Il est aussi absurde de tenter une évaluation de la population mondiale « hors air » que de faire des estimations du produit intérieur brut algérien « hors hydrocarbures».

Le produit intérieur brut « hors hydrocarbures», une évaluation futile et inutile

A la lecture des statistiques des « exportations hors hydrocarbures, à l'exclusion des « passages clandestins, » que sont les exportations de dérivés des hydrocarbures, et de sucre, produit boursier importé, traité, et réexporté à des fins spéculatives, auxquels on peut ajouter la ferraille, déchet de produits industriels importés, le lecteur le plus ignorant des mystères de la « science économique, » peut aisément comprendre que ces misérables recettes d'exportations ne couvrent même pas une semaine d'importations.

Si, évidemment, on essaye d'aller plus loin dans l'analyse, on découvrira, sans l'ombre d'un doute, qu'en fait, même les exportations hors hydrocarbures « légitimes, » c'est-à-dire celles qui concernent des produits «entièrement algériens, » n'auraient pu voir le jour sans les équipements, la matière première, les moyens de stockage et de transport importés et , de toute «évidence, » payés par les recettes d'exportation des hydrocarbures.

On peut tirer de cette constatation la conclusion suivante, qui est loin d'être hâtive, même si son expression ne tient qu'à une seule ligne : une économie algérienne hors hydrocarbures est un mirage trompeur, une fiction qu'aucune statistique, si sophistiquée soit-elle, ne peut saisir, pour la bonne raison qu'elle n'existe que dans l'esprit de ceux qui l'imaginent en dépit du démenti formel de la réalité économique de notre pays. Le calcul de cet agrégat internationalement reconnu qu'est le Produit Intérieur Brut algérien, dont seraient exclus les hydrocarbures, est un exercice futile, qui entretient une illusion dangereuse, celle qui consiste à faire croire que ,sans pétrole, l' économie algérienne peut encore produire quoique ce soit, si ce n'est en quantités insuffisantes pour couvrir les besoins les plus élémentaires de la population algérienne, en croissance constante et irrésistible !

Des recettes « prêtes à consommer » pour mettre l'économie algérienne sur le bon chemin ?

Pourtant, on continue, dans les publications les plus sérieuses, sorties des meilleurs cerveaux, à entretenir à cette fiction dangereuse, car elle consolide l'illusion que l'économie algérienne serait non seulement prospère et assurerait à une population de plus en plus nombreuse, et de plus en plus exigeante, un niveau de vie soutenable pour le proche et lointain avenir, et que les autorités publiques auraient tout lieu de se féliciter de l'état du système de production et de consommation national, qui n'exigerait que de petites retouches pour mieux fonctionner, du type : réajustement du budget public, réaménagement du système fiscal, contrôle des importations par la mise en place de licences ou de quota d'importations de certains produits, encouragement à l'investissement fondé sur des exonérations fiscales et la facilitation de l'accès aux crédits bancaires, liquidation des actifs productions publics au profit du secteur privé, partenariat public- privé, plus grande ouverture de l'économie sur le monde, etc. etc. en bref, pour ne pas continuer cet inventaire, l'application de toutes les recettes vendues par les institutions internationales, et qui, jusqu'à présent, ont donné des résultats contraires à ce que les théoriciens sophistiqués avaient prédits.

On constate, avec grande amertume, que toutes ces recettes, appliquées avec docilité depuis ces vingt dernières années, et appuyés par des accords internationaux , dont le désastreux accord d'association avec l'Union Européenne, qui, paradoxalement ouvre totalement , et sans limites, le marché algérien aux produits en provenance de l'Europe, mais soumet à contingentement le peu de produits que l'Algérie peut exporter librement vers les pays membres de cet union ( à se demander si les « diplomates » algériens ont lu cet accord avec attention avant d'y apposer leur paraphe, et si les instances qui étaient supposées l'examiner avant sa ratification finale et sa mise en œuvre ont vraiment compris dans quel bateau ils allaient embarquer notre économie !)

Le secteur privé : un enfant stérile de la rente pétrolière

L'ouverture de l'économie à l'initiative privée, qui était supposée permettre l'éclosion d'une classe d'entrepreneurs innovateurs , acceptant le risque, et porteurs de projets originaux facilitant la réindustrialisation de l'Algérie, et la restructuration de l'appareil économique algérien en vue de tourner vers la diversification de ses exportations et entamer, si ce n'est réduire, la dépendance à l'égard des exportations d'hydrocarbures, a , en fait, abouti seulement à la création d'une classe de parasites , « moul achchkara, » selon l'expression populaire, auquel a été abandonnée la libre disposition d'une grande partie des recettes d'exportations algériennes.

Pourtant, ce n'est pas faute pour l'Etat de n'avoir fait preuve d'un excès de générosité dans les privilèges qu'il a accordés à cette classe « d'hommes d'affaires, » depuis les exonérations fiscales généreuses, en passant par l'indulgence face à une fraude fiscale visible et à la violation des lois du travail et de la protection sociale, sans compter les subventions aux salaires, que sont les 28 milliards de dollars de « transferts sociaux, » budgétisés, y compris les subventions cachées à l'eau , au gaz, à l'essence et à l'électricité, qui sont autant de bénéfices pour ces hommes d'affaires, et sans oublier la répression des revendications sociales des travailleurs du secteur privé : à lire la presse nationale, on constate que les revendications sociales, et les protestations concernent seulement et exclusivement le secteur public administratif et économique ou la gestion des différentes aides généreusement distribuées par l'Etat.

Le secteur privé : une simple annexe du secteur public

En fait, le secteur privé, dans toutes ses composantes et toutes ses dimensions est une annexe du secteur public, et il a fait moins pour la transformation de l'économie que le secteur d'état, pourtant décrié et voué aux gémonies. On a vu une montée en puissance politique, économique et sociale du secteur privé, qui ne s'est accompagnée d'aucun bouleversement dans le système de création de richesse du pays.

La dépendance à l'égard des hydrocarbures est encore totale, et la situation économique du pays continue à être tributaire du prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux, et du taux de change de la monnaie de payement de cette matière première qu'est le dollar par rapport à la monnaie principale de payement de nos importations qu'est l'Euro.

Alors que la théorie explique que la libération des initiatives privées va permettre aux agents du changement économique, que devraient être les entrepreneurs privés du pays, de découvrir et de mettre à bon usage les avantages comparatifs de l'économie nationale, pour donner un coup de pouce décisif aux exportations hors hydrocarbures, voilà que la réalité du terrain indique que sont abandonnées les productions nationales au profit de leur importation. Les vastes « centres commerciaux, » qui singent les systèmes de distribution des pays industrialisés, sont de véritables emporiums où on vend de tout, sauf des produits nationaux, industriels ou agricoles, et cela malgré la fameuse loi imposant un pourcentage de produits nationaux( qui lui obéît, et qui veille à son application ? Mystère et boule de gomme !)

Bref, l'économie de marché à l'algérienne n'obéît pas aux règles de l'économie de marché normale, et la puissance du secteur privé algérien ne vient pas de sa contribution à la richesse nationale, mais de son accaparement d'une plus grosse parie de la rente que le secteur public, sans contrepartie, justifiant l'arrogance des milliardaires et autres moul achchkara crées en masse par la politique irréfléchie d'infitah, qui a assuré la survie du régime, mais menace, dans un temps plus proche que l'on peut imaginer, la survie du pays et sa stabilité politique et sociale.

Le retour à l'industrie de substitution aux importations, voie royale vers le retour rapide et massif à l'endettement international

Même quand le secteur privé se lance dans de grandioses projets industriels , agricoles ou commerciaux, c'est dans la perspectives de récupérer encore une plus grosse partie de la rente, par des mécanismes de ponction des réserves de changes plus ou moins directs et plus ou moins originaux.

On investit à l'étranger et on importe le produit fabriqué vers l'Algérie, sans doute en le surfacturant à l'entrée, en application du fameux principe de « prix internes de facturation. » On importe le sucre brut, produit boursier, pour le raffiner à meilleur prix, en jouant des différentiels de taux de change et des subventions fiscales, sociales, comme des faibles prix de l'énergie et de l'eau, pour le revendre raffiné , au prix boursier international, récupérant au passage entre 10 et 20 pour cent de bénéfices en dollars, dont une partie serait, sans doute, maintenue, par le système de fausse facturation, dans des banques étrangères.

Maintenant, on a trouvé une autre mécanique, exploitant les besoin de créer rapidement des emplois, qui est « les industries de substitution aux importations ,» que ce soit dans le domaine de l'automobile, des produits électroniques, des matériaux de construction, de l'alimentation, etc. etc. Tout le processus d'investissement n'a qu'un seul objectif : tenter de transformer le maximum de dinars en devises, tout en faisant semblant de rendre service à l'économie algérienne par la création d'emplois entièrement financés sur les réserves de changes algériennes, et en jouant de la fierté nationale que génère des « industries de transformation industrielles, » qui ne sont , en fait, que du montage de kits, ou du mixage utilisant des équipements industriels importés, de la matière première importée, du vissage et / ou de la soudure des pièces détachées importées, ne donnant lieu à aucun transfert de technologie ou d'expertise, ou même d'expérience quelconque.

Voilà maintenant que l'on fait appel à l'expertise étrangère pour cultiver de l'ail et développer l'agriculture saharienne ! Qu'on se le tienne pour dit : derrière tous ces investissements, dont la réalisation et la production ne sont possibles que par des ponctions sur les réserves de change du pays et par l'expertise étrangère sans retombées positives sur le niveau technologique du pays, n'ont qu'un seul objectif : créer et entretenir, pour le long terme, des opportunités de transferts plus ou moins licites , plus ou moins illicites, de capital. Ce ne sont ni les applaudissements auxquels ces « investissements » donnent lieux dans des « infomerciaux, » qui ne disent pas leur nom, ni les prouesses « technologiques, » que mettent en avant leur promoteurs, qui vont changer la réalité des motivations derrière ces investissements « massifs. »

A quoi servent donc ces milliers d'ingénieurs et techniciens formés dans les universités et autres instituts algériens et étrangers ?

Le paradoxe, c'est que plus les universités et autres institutions de formations algériennes, ou même etrangères, forment de spécialistes en tous les domaines, plus le niveau d'éducation des Algériennes et Algériens s'élève, plus la dépendance économique et technique de l'Algérie s'accentue.

Plus on élargit le rôle du secteur privé, plus on l'encourage, moins on emploie le « potentiel technologique et technique national, » et moins on produit « national. » Plus on parle d'encouragement aux exportations hors hydrocarbures, moins on diversifie ces exportations.

Et le fameux slogan : « acheter algérien » devient plus un cruel rappel de la réalité économique algérienne, qu'un guide d'action incitant nos « privés, » qui réclament, comble du paradoxe, si ce n'est de l'insolence, que l'état liquide tous ses actifs et se retire totalement du circuit de l'économie, et qui, pourtant, jusqu'à présent, n'ont rien prouvé d'autres que plus il y a de richards dans le pays, plus le pays s'enfonce dans la pauvreté, la précarité et la dépendance extérieure économique. On avait la malédiction du pétrole. S'y est ajouté la malédiction d'un secteur privé parasite et dangereux pour l'avenir du pays, sa paix sociale, sa stabilité et même son intégrité territoriale.

En conclusion : Pourquoi peut-on qualifier l'économie algérienne « d'économie-bébé, » ou, pour faire sérieux de « baby économy. » ? La réponse apparait dans le développement présenté ci-dessous : tout comme un bébé, l'économie algérienne n'a pas la capacité individuelle de se prendre en main ; elle dépend, pour sa survie d'apports extérieurs à elle ; de même que le bébé a besoin du lait de sa mère et de l'argent de son père, et des soins des deux parents , pour survivre, de même l'économie algérienne a besoin de l'étranger pour fonctionner ; elle ne produit rien, en dehors des hydrocarbures, la mamelle de la maman, et ne vend rien d'autre, le salaire du papa, pour se procurer ce dont elle a besoin pour fonctionner, survivre, et assurer à sa population un niveau de vie décent, c'est-à-dire un niveau de vie comparable à celui offert dans les pays les plus avancés.

Le mode de consommation est entièrement copié, mais l'outil de production national pour l'entretenir n'existe pas, ou reste insuffisant pour l'entretenir, et demeure globalement à l'état infantile.

La montée en puissance du secteur privé algérien a accentué cette dépendance , en a exacerbé les conséquences, et risque de faire déboucher le pays, dans un proche avenir , sur des situations encore plus dangereuses que la crise qui a frappé le pays de 1986 à 2002.

Ce n'est pas de politique économique bricolée et formée d'un ensemble incohérent de mesures improvisées et frappée du sceau de l'affolement, que le pays a besoin.

Les autorités publiques actuelles, la classe politique qui détient les rênes du pouvoir, ont-elles la vision et la légitimité nécessaires pour redresser cette économie et assurer une transition politique vers un système institutionnel de citoyenneté partagée ? Ou faut-il attendre la prochaine crise économique, qui menace le pays, une fois que les réserves de changes auront été totalement épuisées, au plus tard en Avril 2020, pour que brutalement s'imposent des solutions dont la rigueur est difficile à imaginer ? Pendant combien de temps encore l'économie algérienne restera-t-elle une économie-bébé biberonnée aux hydrocarbures, nourrie, logée, vêtue, armée, transportée par l'extérieur ?

Seul l'avenir pourra donner la réponse à ces questions, car actuellement on a l'impression que le sommet ne pense qu'à surfer sur les problèmes sans tenter de les aborder dans le fonds.