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Sahara Occidental: faut-il encore compter sur l'ONU?

par Benattallah Halim*

Le rapport que vient de publier le SG de l'ONU Ban Ki Moon sur le Sahara Occidental pour son examen par le Conseil de sécurité, le 27 avril prochain , incitera-t-il ce dernier à débloquer le processus pour la tenue du référendum d'autodétermination ? Contribuera t-il aussi à faire revenir le Maroc sur sa décision d'expulser des personnels de la Minurso ?

Au vu des dernières données sur le plan diplomatique comme sur le terrain, les deux hypothèses paraissent bien improbables parce qu'un rapport de force défavorable et durable est en train de se forger pour stériliser la solution politique découlant du plan de paix de l'ONU. Ne conviendrait-il pas, dès lors, de prendre acte de cet état de fait pour s'interroger s'il peut y avoir d'autres possibilités de solutions pour le règlement d'un conflit, plus que jamais porteur de menaces sur la sécurité dans la région ?

La visite effectuée par le SG de l'ONU, en Algérie et dans les territoires occupés du Sahara Occidental, a corroboré, s'il en était besoin, la « stratégie » marocaine visant à rendre inopérant le déroulement du référendum d'autodétermination, en arguant que la seule négociation possible est celle devant porter sur le « statut d'autonomie régionale ».

Déjà, la dernière réunion, certes informelle, du Conseil de Sécurité pour examiner le « différend » entre le SG de l'ONU et le Maroc est symptomatique de la tendance lourde qui prévaut en son sein. Ce différend est survenu, lors de la dernière visite, en Algérie, du SG de l'ONU et l'utilisation par celui-ci des termes « territoires occupées » pour qualifier le Sahara Occidental. Le Conseil de Sécurité a minimisé les sanctions prises par le Maroc à l'égard de la Minurso et a demandé « d'aborder les circonstances qui ont conduit à la situation actuelle ». Il n'a pas exigé le maintien du personnel de la Minurso expulsé par le Maroc. Le Conseil de Sécurité n'a t-il pas, dès lors, entériné la décision marocaine d'expulser la Minurso, ouvrant ainsi la voie à de potentielles «dépassements armés».

Une nouvelle hypothèque va donc planer sur la tenue d'un référendum d'autodétermination, dans la mesure où les conditions de sa tenue vont, durablement, se dégrader. Force est de constater que de façon générale et sur la durée, l'attitude du Conseil de Sécurité se révèle peu favorable au Front Polisario, obligé de constater que l'organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationale affiche une position contre-productive pour la tenue du référendum.

A n'en pas douter, les Membres Permanents ne sont pas en faveur de la naissance d'un nouvel Etat dans le Maghreb susceptible de réveiller les nombreuses velléités indépendantistes, encore vivaces de par le monde, y compris au sein de pays Membres Permanents. La France veille, tout particulièrement, à ce que cela n'advienne pas dans le Maghreb. Comment d'ailleurs pourrait-elle accepter un autre référendum d'autodétermination dans « sa » région ? D'autre part, la résurgence d'une tension dans les relations algéro-françaises, n'est pas de nature à faciliter l'aboutissement du processus onusien. Tant que le statu quo politique prévaudra au Sahara Occidental, que la stabilité du Maroc sera préservée et que la sécurité dans la région ne sera pas menacée, le Conseil de Sécurité se limitera à des décisions allant dans le sens d'un immobilisme défavorisant le Front Polisario.

Le non règlement de ce problème et l'absence de perspectives de solution politique, à moyen terme, ne cessent de poser des enjeux de sécurité dans un Maghreb qui est l'une des régions au monde où l'intégration régionale accuse le plus grand retard. Or, s'il y a un problème à ne pas léguer aux générations futures pour que puisse émerger le Maghreb en tant que tel, sur la scène internationale, c'est bien celui du Sahara Occidental.

Parce que l'absence de perspective laisse planer une menace sur la sécurité de notre pays et celle de la région, la recherche d'un plan B, autonome des circuits onusiens, pourrait aider à réamorcer une dynamique de dialogue endogène, et ainsi ouvrir la voie à une solution politique globale. Un plan B se basant sur le modèle des ?Accords d'Evian' afin de permettre aux acteurs de la région de reprendre en main le devenir du Maghreb; en somme inventer une solution s'inscrivant dans une perspective régionale, à même de produire un nouvel équilibre des intérêts nationaux. Ne serait-il pas souhaitable de voir l'Algérie redéployer ses capacités de médiation et s'investir, intensivement, pour réunir les conditions d'un dialogue incluant l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Front Polisario?

Posons-nous la question de savoir si la formule du dialogue direct sur le modèle des ?Accords d'Evian' ne contribuerait pas à mettre sur rails un processus de négociations « inclusif » et global. Ce modèle n'a-t-il pas démontré sa pertinence « méthodologique » qui a consisté à tout mettre sur la table, à élaborer un « paquet » et à mettre tout en oeuvre pour parvenir à un accord politique satisfaisant les parties. Une tentative de dialogue politique direct entre les acteurs dans la région, serait préférable à une attente indéfinie d'un Conseil de Sécurité, peu disposé, à contre sens des intérêts de ses Membres Permanents. Un signal venant des acteurs de premier plan eux-mêmes serait utile et positif, afin d'espérer sortir de l'impasse.

Dans cette configuration de « dialogue inclusif », des concessions de toutes les parties sont nécessaires. Le Maroc souffrirait de voir le Front Polisario autour de la même table, mais y gagnerait la présence de l'Algérie qui jusqu'à présent ne se considère pas comme « partie concernée » par la négociation. Le Polisario accèderait au dialogue direct sans que cela préjuge sa reconnaissance par le Maroc, loin s'en faut, et l'Algérie gagnerait la présence du Polisario autour de la table, sans que cela induise la reconnaissance d'un quelconque caractère « bilatéral » du problème.

Dans le rapport de force présent, aucune des deux parties n'est en mesure d'atteindre son objectif. Ni le Maroc qui n'accepte la négociation que si elle porte sur le statut d'autonomie, ni le Front Polisario qui demande la tenue du référendum d'autodétermination qui conduirait à l'indépendance. L'Algérie se considérant, quant à elle, nous l'avons évoqué, « partie non concernée ».

Dans ce contexte, l'objectif de ce « dialogue inclusif » sans préalables ?autant que faire se peut- serait la recherche d'une solution politique sur la base des termes de référence des résolutions du Conseil de Sécurité, tout en laissant les parties libres de s'entendre sur une plate-forme de compromis, de discuter d'arrangements institutionnels et de sécurité bilatéraux et régionaux, de formules de coopération, et de jeter les bases d'un Maghreb Uni. Un Maghreb évolutif qui s'ouvrirait à d'autres pays voisins, à un stade ultérieur, lorsque les circonstances le permettraient.

Des mesures de confiance réciproques seraient nécessaires pour apaiser les tensions et préparer le terrain à la négociation. Certes, par le passé, les tentatives n'ont pas manqué, sans jamais être couronnées de succès, mais y a-t-il une alternative au dialogue? Inciter le Maroc à dialoguer est d'autant plus impératif que les cycles d'escalades qu'il déclenche se rapprochent sans cesse.

Dans cette optique, la réouverture de la frontière algéro-marocaine, accompagnée d'un contrôle sévère, dans le cadre d'un « deal global » sur les contentieux bilatéraux, viendrait répondre à l'attente de deux peuples voisins qui ne se côtoient plus. Les peuples maghrébins sont, suffisamment, sanctionnés par les politiques de visas européennes pour se voir, de surcroît, empêcher de circuler librement à travers le Maghreb.

Les circonstances présentes autour de la question du Sahara Occidental et l'échec de l'UMA - le terme ?UMA' est devenu impropre parce que le Maghreb est arabe et berbère - posent de multiples interrogations au sujet de l'avenir du Maghreb dont les pays ont un destin, inéluctablement, solidaire.

En vérité, aucune partie n'a intérêt à exploiter les difficultés de ses voisins pour espérer tirer son épingle du jeu, à titre individuel. Compter sur des appuis extérieurs et nouer des alliances avec eux pour prendre l'avantage est un autre faux calcul. Face au poids des autres pôles de puissance, le cavalier seul de chacun des pays du Maghreb accroît leur vulnérabilité économique et sécuritaire de l'ensemble.

En redonnant de l'espoir aux peuples du Maghreb qui se verraient offrir la perspective d'un Maghreb Uni émergeant en nouveau pôle d'influence, l'Algérie contribuerait à donner aux jeunes générations, aujourd'hui coupées les unes des autres, un monde différent de celui de leurs aînés.

*Ancien Ambassadeur