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1 Novembre 1954 : un nationalisme presque mystique?

par Abdellatif Bousenane

Après 61 ans du déclenchement de l'une des plus grandes révolutions armées de l'époque contemporaine, le nationalisme algérien se trouve aujourd'hui confronté à des épreuves déterministes.

Pour appréhender notre question, deux dimensions surgissent dans le chemin de notre analyse. La première est extrinsèque, concerne celle la plus globale et universelle, lié notamment à la tournure qu'a pris le monde d'aujourd'hui, à savoir la globalisation libérale et tous ce qu'elle a engendré de cosmopolitisme et des multiplicités des allégeances. La deuxième dimension est intrinsèque liée au contexte de développement local, là où les conflits politiques, les scandales politico-financiers et les difficultés socio-économiques représentent un vrai défi au nationalisme algérien.

GLOBALISATION, ENNEMI DES NATIONALISMES ?

Un des objectifs implicite de la globalisation libérale c'est de produire un avènement d'un monde post-national ou même d'une « culture mondiale » selon les théoriciens de ce paradigme. L'économie mondialisée avec tout ce qu'elle porte en elle d'échanges commerciaux et techniques, notamment avec l'avènement de l'électronique qui a accéléré cette démarche d'une manière vertigineuse, constitue à la foisla base et l'ultime finalité de ce modèle néolibéral. On veut remplacer ainsi le sentiment d'appartenance ou d'identification nationale par la recherche interminable des intérêts purement économiques. Ce mouvement très puissant et dominant a enfanté dès lors plusieurs phénomènes sociétaux dont les flux migratoires pas seulement vers les pays industrialisés très développés mais au sein même des pays du Sud. On vit désormais donc l'ère du cosmopolitisme et des multiplicités des allégeances dont la double nationalité est un élément fondamental, qui sont perçus, à tort, comme étant opposés à la notion classique du patriotisme national.

En France, la terre d'accueil de millions d'algériens dont une grande partie de binationaux et l'ancienne puissance coloniale contre laquelle on a déclenché cette guerre de libération nationale qui est devenue une grande référence à tous les peuples désirant la liberté et la justice, en cette même France, des voix s'élèvent, des dirigeants politiques et intellectuels très influents, pour demander, grosso modo, aux algériens « d'oublier », de « regarder vers l'avenir », autrement dit de ne pas donner beaucoup plus d'importance à l'histoire ! Mais dans le même temps, les intellos et les décideurs parisiens avec l'aide de leurs relais médiatiques, restent très attacher à leurs repères historiques où les événements les plus marquants de la deuxième guerre mondiale ont devenus de l'ordre du sacré !Ils ont largement remplacé la place du clergé, jadis très centrale. Il y a là une indéniable antinomie.

CONTEXTE LOCAL PROBLEMATIQUE :

Théoriquement, il est extrêmement compliquer dans un contexte de grandes difficultés socio-économiques avec toutes les injustices sociales qu'on subit de garder le même degré d'amour à sa patrie. Mais, dans la réalité tangible, plusieurs études sérieuses ont démontré le contraire. Les couches populaires qui subissent les effets de cette situation peu confortable, sont, paradoxalement, très attachés à ce sentiment d'adhésion à la Nation. Et plus on remonte dans l'échelle des classes les plus aisées, plus le degré de ce sentiment baisse. Néanmoins, il existe une corrélation assez forte entre les scandales politico-financiers impliquant des hauts fonctionnaires d'État et les responsables politiques d'une manière générale et la baisse du sentiment patriotique chez les populations. Car, on se sent trahi par les siens, par les premiers « soldats » qui sont censés défendre les intérêts de la patrie ! La globalisation que nous évoquions, ci-dessus, sa contradiction avec le nationalisme n'est pas tout à fait innocente dans ce chapitre aussi, car les grands réseaux mafieux de la corruption sont multinationaux ! Par ailleurs, les expériences politiques, aussi décevantes et problématiques qu'elles puissent être, constituent dans une large mesure un facteur évident de ce désamour. Comme les conflits politiquesentre les militants de la cause nationale eux-mêmes avant et après l'indépendance. Des assassinats politiques aux guerres fratricides de 1963 et la grande Fitna des années 1990 qui a mis un sérieux doute à notre capacité collective de former un État-nation digne de ce nom !

L'ALGERIE RESISTE !

Cependant, malgré tous ces coups très durs qu'a subit le nationalisme algérien, il demeure particulièrement fort chez une large partie de la population, puisque la quasi-totalité des acteurs politiques expriment leur fidélité implacable aux messages et symboles du 1 Novembre 1954 qui restent toujours le cadre de référence pour tout le monde. La force de ce sentiment d'appartenance, a été observé, également, se manifester lors des matches de la sélection nationale de football, là où on a remarqué une rare ferveur nationale y compris dans l'hexagone dont la présence du drapeau algérien dans des manifestations matrimoniales, culturelles ou sportives devient un phénomène socio-politique qui gêne autant les partis politiques souverainistes français ou les plus universalistes parmi eux.

Peut-être parce que cette « culture mondiale » tant espérée par les néolibéraux n'a pas de fond historique, elle n'a pas de mémoire et donc elle est vide de sens. La montée en puissance de l'extrême droite nationaliste en Europe et en Amérique du Nord est une vraie illustration de cet échec.

Peut-être aussi parce que l'Algérie est plus qu'une nationalité ou même une identité, c'est une très belle expérience de vie qui dure dans le temps, une « aventure » qui résiste à toutes hostilités et contraintes. C'est un pays vulnérable du tiers monde qui a su continuer à exister tant bien que mal et ce avec une finesse rare en rejoignant les rangs du capitalisme mondialisé pour ne pas subir l'exclusion qui aura des conséquences fatales et en préservant en même temps son modèle populaire inspiré justement du message du 1 Novembre.

Un petit État-nation qui a su conserver sa souveraineté en matière de décisions internationales malgré les venimosités des pays frères avant des ennemis. Il a refusé toutes les guerres des dominants, leurs bases militaires et leurs différents stratagèmes dans la région. Et l'histoire récente lui a donné raison. Peut-être c'est pour cette raison également que les algériens ont une perception presque mystique de leur Nation, ils pensent vraiment que Dieu aime l'Algérie !