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L'amnistie : pour vider les sachets, il faut laisser se remplir les urnes

par Kamel Daoud

L'amnistie fiscale est officiellement lancée. En gros, on peut déposer son argent sale contre une facture de 7% de taxe sans questionnaire sur l'origine. Comme le Pouvoir, l'argent algérien est sale et est tombé depuis longtemps dans la clandestinité et le sachet. En gros, il s'agit de la même initiative : dépénaliser l'acte de gestion, dissoudre le DRS et blanchir l'argent. D'autres pays l'ont fait et cela a réussi à refonder un pacte national, un new deal à l'américaine. C'est donc la révolution économique ? Chez nous, il y a déjà des doutes dans les commentaires des tasses de café et chez les détenteurs de sachets. La principale raison du doute est la « légitimité ». Un homme d'Orient a dit à un ami du chroniqueur une sagesse : le capital est cupide mais lâche; envieux mais couard. C'est le propre de l'argent sale : il ne fait pas confiance. L'opération algérienne va donc buter sur la barrière de la peur, sur l'histoire du turn-over trop rapide des équipes dirigeantes et sur l'inquiétude quant à la survie de l'actuel régime et son état de santé.

En gros, cette opération intelligente manque d'un vis-à-vis crédible : le régime n'offre pas de garanties politiques mais seulement des garanties « administratives ». La question de la légitimité n'a pas encore été tranchée et cela fait peur à l'argent dans sa tanière. Et pour le moment, le régime a même peur de lui-même et de ses hommes. Gaïd Salah est allé trop loin dans sa mission de revanche contre les janviéristes. Toufik est sans descendance. La formule Saïd Bouteflika est tout simplement folle et l'option Ouyahia est un affront et Saïdani ne sera pas président car il y a une différence entre orchestre et chef d'orchestre. Et encore plus entre une musique et un instrument.

Curieusement, le régime ne semble disposer que l'option Sellal. L'homme traîne la réputation d'un mauvais communicateur selon les canons de la propagande officielle, mais il parle algérien et maîtrise l'art rare de ne pas faire de la politique et de ne pas avoir d'ambition pour sa personne. Sans marquage partisan, il peut offrir la seule issue possible à l'équipe Bouteflika. Solution technique donc pour assurer une transition sans lapidation et un consensus sans catastrophe. D'ailleurs, les transitions de régimes chez nous aiment les présidents qui n'ont jamais voulu être présidents. Le cycle algérien est d'un président tonitruant suivi d'un président calme : Benbella/Boumediene/Chadli/Boudiaf/Zeroual/Bouteflika. Un vrai cycle. Sellal pourrait être la seule solution de survie après la mort de l'actuelle équipe pour un mandat unique de transition sans ruptures violentes.

Sans légitimité restaurée et confiance solide, l'argent restera à l'ombre, le pouvoir dans le clair-obscur, le maquis sera au palais et l'économie algérienne sera encore celle de la régence turque : basée sur le racket, le beylik et la rente. La légitimité est une valeur économique de base pour les nations. L'Algérie qui s'en est longtemps passée avec le don du pétrole, redécouvre le concept avec cette amnistie qui aurait dû être lancée par un nouveau président pour mieux asseoir un nouveau deal de relance pour le pays. Chose faite avant, il importe maintenant de trouver une solution politique au plus vite. L'Algérie a bien des solutions, mais le régime n'en a, du point de vue de la technique douce, que celle de Sellal, bien que cela puisse étonner. Sinon, il faut passer par le basculement ou par le putsch interne. Et en attendant, l'argent va rester dans les sachets, tant que les urnes sont dans les garages.

Bonnes vacances.