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La révolution est tunisienne, la solution aussi

par Kamel Daoud

Le made in Tunisia. Le mode du moment. Pourquoi? Parce que dans ce pays une étrange voie est ouverte. Apres la fuite de Benali, on semble vouloir arrêter la fuite du temps ou la fuite devant le temps. Les laïcs, comme on aime les appeler, ont gagné une majorité, même relative, face aux islamistes d'Ennahda. Cela provoque des enthousiasmes fiévreux et une sorte d'espoir presque fou. Voilà, enfin, un peuple, prénom de tous, qui a compris que l'islamisme n'est pas la solution et que la religion n'est pas une assiette ni un moteur. Cela exalte les orientalismes dormants, chez les observateurs étrangers, les exotismes politiques et les illusions endogènes des élites locales. Voilà, le seul cas où un printemps arabe semble avoir une belle arrière-saison. Vrai? Avec réserves. D'abord les Tunisiens n'ont pas voté en masse. Le désenchantement a épuisé le corps électoral et « voter nfest pas manger » pour le ventre creux ou la tête éteinte. Le vote n'a pas été massif mais intelligent. Ensuite les gagnants ont obligation de coalition avec les islamistes. Cela veut dire calculs, politiques et concessions. Enfin, l'intégration des islamistes, dans le jeu politique, va imposer une sur-radicalisation des terroristes, si l'on peut dire. Sans issue vers la représentativité, ils vont opter pour le bruit et la fureur.

Et donc? C'est une victoire. La première dans le monde dit arabe qui n'a pas trouvé de solution entre l'armée et la mosquée. Une voie s'ouvre. Cela donnera des idées, bonnes, aux islamistes de bonne foi qui, peut-être, comprendront que participer cfest plus rentable que dfimposer. De l'espoir aux pessimistes qui, après un siècle, ont conclu que rien ne sert à rien et que tout sert aux islamistes ou aux militaires. Et de la lumière aux obscurités qui montent, dans nos âmes. Une chance est donnée, à partir de lfangle tunisien. On va l'apprécier avec enthousiasme et lucidité. On ne va pas cracher sur l'aube et sa clarté. La Tunisie a inventé le made in de la révolution. Elle invente celui de la solution. On admirera ce pays, sauvé ou en voie de lfêtre. Par les siens. Par Bourguiba. Par ce détail qu'il n'a pas d'armée sur le dos qui marque ses espoirs. Il servira dfarguments contre les esprits noirs, contre nos pessimismes et contre nos régimes qui nous vendent l'immobilité comme stabilité et la peur comme menace. Il montre, surtout, que les progressistes, les laïcs et les gens, autres, ne sont pas, tous, assis à regarder se coucher le soleil de leurs espoirs et à analyser, sans fin, la défaite ou la fatalité. Un pays dit arabe est vivant. Là, aussi, je rêve d'être Tunisien. Malgré mes lucidités pesantes.