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Après les trottoirs et les plages : un jour vous payerez l'accès à vos maisons

par Kamel Daoud

A la plage, l'Etat est nu. C'est-à-dire le Pouvoir. Affaibli, las, en retrait, exerçant la compromission, fervent du compromis. Comment reconnaître les petits-fils de l'époque Bouteflika et son règne de «frères Barberousse» vieillissants ? A la notion réactivée du butin et du bien-vacant. Chaque année, on le jure qu'il n'y aura plus de plages «privatisées» par le matraque et la sournoiserie de quelques maires, couverts par quelques agents, et puis on s'en va et on laisse s'étendre le pays payant au détriment du «pays pour tous».

Le sable du rebord du pays est devenu une rente, un pays à part, touché par l'appropriation violente. Avec le même glissement dans les sens : au début, le plagiste loue des transats et des parasols, par la suite il loue, le même service, mais s'approprie la plage.

Un jour, cela est arrivé au chroniqueur, un plagiste lui a demandé de ne pas rester debout entre la chaise longue sans occupant, et le coucher de soleil. «Même pour quelques minutes ?». Oui «la plage est à moi, ainsi que le bord de l'eau et la vue aussi et le coucher de soleil».

A Mostaganem et avec l'air le plus sérieux car le bonhomme en était absolument convaincu. Et ailleurs dans le pays. Le phénomène est devenu une loi de la jungle. Chaque année, le «bien-vacant» avance, prend plus de plages et de périmètres et se ferme aux Algériens. On y accède, aujourd'hui, en payant le droit d'accès et pas des «services» de plagistes. C'est la logique des trottoirs et des parkings sauvages. Le signe d'un régime nu qui ne gère plus que sa survie et qui se rétracte vers l'arrière, le silence, la médication et la gestion par de comiques «instructions Présidentielles» signées à blanc. On juge l'état d'un Etat à la sécurité et à la protection du bien privé et du bien commun. Depuis les Quatre mandats à vie, l'Etat a faibli puis est mort. Il ne reste que cette compromission nue et scandaleuse entre plèbe à matraque, maffia et pouvoirs locaux.

Le cas des plages privatisées est possible parce que le Régime est faible. La situation devient inextricable, chaque années et vous pouvez allez vous plaindre à un fourgon de gendarmes. Cela ne servira à rien: c'est un nœud coulant entre maires véreux, corps constitués, autorités locales et «réseaux» et délinquances avec de l'argent à se partager.

Au cinquième ou sixième mandats de Bouteflika donc, vous allez payer l'accès à vos quartiers, vos villages et même à vos maisons. L'air sera payant et racketté par les petits-enfants de ce Président qui a rendu gratuit l'argent et payante la citoyenneté, par ses politiques, ses compromis et ses largesses clientélistes. Générations du racket «hallalisé», l'oeil vif, l'insolence en pare-chocs, certaines de son droit par la primauté du débrouillard sur le travailleur, illettrées quant à la notion du bien commun et ne respectant que la force et ses hiérarchies. L'avenir est donc pour ce pays payant où nous serons gratuits et ligotés. Et rien ne confesse, au mieux, la fin d'un règne et son pourrissement que ce dépeçage d'une terre vivante, et ces appropriations flibustières des espaces publics.

Le pays du «bras» est là. Entre un bras d'honneur et un bras ballant.