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Comment devenir un Roi

par Kamel Daoud

Comment monarchiser un pays ou une république précisément ? D'abord se faire attendre comme un Roi ou un sauveur et faire durer l'attente. Puis arriver, hésiter avec dédain, puis laisser tomber, du bout des lèvres, sa théorie génétique : ce peuple ne me mérite pas. Ou si peu. Et si je suis venu, c'est juste par charité. Ensuite expliquer, en murmurant, contraint et contrit dans la corvée de devoir parler aux paysans : sinon je rentre chez moi. Puis laisser passer un peu de temps et faire le mondain : raconter des blagues sur le dos du peuple aux ambassadeurs étrangers, analyser le monde avec un café et des citations de livres anciens, faire montre de sa culture puis, se sentir agacé quand le téléphone sonne pour vous rappeler qu'il faut signer quelque papier d'intendance pour que ce peuple mange.

Et ensuite ? Se charger de créer le royaume des siens, d'autrefois. D'abord recruter les siens du sang ou du rang. Leur donner les provinces, car un Royaume n'est pas une couronne mais une addition de féodalités. Ensuite s'attaquer aux institutions de la république : encanailler l'APN, débiliter le Sénat et le transformer en emploi de vieux et en chambre à coucher très basse. Ensuite se tourner vers les patrons : clientéliser certains et taxer les autres. Avec le fameux impôt de soutien et de fidélité et avec un slogan : celui qui n'est pas avec nous, est contre la nation. Récupérer les polices, les corps, les forces et les mettre sous la coupe de ses hommes. Ensuite les appareils : leurs donner à manger et les obliger à faire le salut, à faire des poèmes de louanges et à chanter à l'unisson la gloire du Précieux et ses réformes. Il ne restera alors que trois barrages : le peuple dangereux quand il se soulève, léger quand il s'assoie ; ou l'armée ou les puissances étrangères. Là, pas de souci, ce que l'avenir vous promet, le pétrole vous l'achète. On nomme un fidèle à l'armée, un fidèle au pétrole et on achète les infidèles de l'Amérique et de l'Europe. Sur la liste, il en restera que ceux qui vous ont fait roi et ont affrété l'avion. Là, il faut attendre juste un peu, les isoler, les amoindrir puis les attaquer et les démanteler. Il n'y a pas de héros pour son valet de chambre ; donc, tuer le valet. L'oufkiriser, pour ceux qui lisent les livres d'histoire.

Et, après l'économie, l'armée, les institutions, il faut détruire ce peuple. Par l'obésité, l'argent gratuit, la moquerie de soi sur soi. Nommez un clown à la tête de l'Etat et le peuple perdra confiance dans le réel, en lui-même, puis se soumettra par effet de fatalisme : rien n'a de sens et donc il n'y a pas de sens. Le peuple devient nihiliste quand on attaque son réel par le grotesque.

A la fin, vous avez un Royaume parce que vous avez des sujets, des croyants, pas des citoyens. Vous remplacerez la constitution par vos décrets, les « services » par un Makhzen, l'économie par vos dons et vos enveloppes, le gouvernement par votre gouvernance et les lois par vos édictes. Ayant fait le vide, remplissez-le, pleinement, par votre image et votre présence : déclarez-vous irremplaçable, unique, garant de la stabilité par votre immobilité, incontournable, Père du peuple et frère du frère. Perdu entre le vide et le ventre, le peuple vous suivra ; les élites, angoissées, se soumettront par effet dominos ; l'Occident saluera vos réformes et votre sagacité. Et vous auriez réussi votre plus vieux rêve : avoir un Royaume à vous. Car votre vieux rêve n'a jamais été d'être Boumediene.

C'était, intimement, être Hassan II.