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UN RESISTANT

par M. Saadoune

Nelson Mandela était, depuis quelques mois, en transit vers l'histoire. Il y entre désormais pleinement. Avec un ultime don aux siens: en résistant pendant quelques mois encore, il a permis à tous de se préparer à l'inéluctable. Ce résistant au long cours qui n'a jamais transigé devant l'injustice a cette élégance de l'âme qui facilite les choses aux gens. Un don rare. Qui lui a permis en un petit mandat de ruiner tous les pronostics, en cours chez les Occidentaux surtout, que la chute du régime honni de l'apartheid allait faire sombrer l'Afrique du Sud dans l'anarchie et les violences.

Cela était une possibilité tant était grande la violence physique et symbolique exercée pendant des décennies par les racistes d'Afrique du Sud contre les Noirs. Et pourtant, cet homme patient a su transmettre sa patience aux siens pour que les choses se passent dans une atmosphère pacifique. Mais ce n'était pas de l'angélisme. Dans le processus de vérité et réconciliation mis en œuvre en Afrique du Sud - et en dépit de son imperfection -, il y avait un effort de catharsis mais surtout le constat implacable et public de la perversité et de la bestialité du régime de l'apartheid. Ce processus faisait partie intégrante du changement de régime, du passage à une autre histoire. Il y a dans cet homme, qui est passé par l'Algérie, une dimension transcendantale qui permettait de rendre possible ce qui semblait impensable. Un mélange de réalisme et d'utopisme qui permettait d'avoir un cap sérieux sans brûler les étapes.

Cet homme emprisonné, isolé, ce bagnard, a fini par emprisonner le régime qui le combattait. Il a fallu 27 ans de prison où l'homme s'accrochait à la vie sans renoncer à sa dignité. Aucune concession sur le thème de la violence qui le classait, chez les civilisés qui se livrent aujourd'hui à un éloge hypocrite en sa direction, parmi les terroristes. Les opprimés ont les moyens de lutte que leur impose la situation, explique-t-il, reprenant à sa manière le fameux propos sur le couffin de Larbi Ben M'hidi. Nelson Mandela a eu une grande vie avec ses 27 ans de prison dont dix-huit au bagne de Robben Island. Cette grande vie, il l'a faite, lui-même, par un acharnement de résistant et une volonté extraordinaire.

Le pouvoir n'était pas un but, la liberté, la justice oui. Il le montra en renonçant au pouvoir après un unique - et très déterminant - mandat qui a mis l'Afrique du Sud vers un cap. Et ce n'est pas rien, car les racistes n'ont pas fait de ce pays un paradis pour les opprimés. Et Mandela a réussi à éviter que les opprimés ne basculent dans la volonté de revanche ou de vengeance. Le mot de « Père de la Nation » n'est pas une clause de style, ni une formule de laudateurs. En passant rapidement la main après un mandat, Mandela montrait une distance à l'égard de l'exercice du pouvoir tout en restant proche des siens. C'est cela qui en a fait un symbole vivant, fraternel et souriant. Cet homme manquera à l'Afrique du Sud, à l'Afrique. A l'humanité. Et aux résistants.