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La monarchie passe à la télévision

par Kamel Daoud

L'Algérie se monarchise : après le Frère, on montre maintenant les fils, les neveux, les proches. Les petits Bouteflika ont été montrés avant-hier à la télévision, après l'audience-prétexte avec le Ibrahimi : montrer Bouteflika capable de tenir debout, enfantant le futur, souriant au présent. C'est que le pays est depuis longtemps réduit à un déploiement lent et scandé au corps suprême. On l'a montré vivant, mais muet. Puis on l'a montré assis mais malade. Puis sur une chaise roulante mais murmurant. Puis parlant mais en photo. Puis, enfin, debout et souriant mais tremblant. Dans quelques jours on va le montrer puissant, volant, planant ou nageant ou courant. C'est à quoi a été réduit le politique : un exercice de corps pour prouver que le corps est vivant. Du coup, plus besoin de campagne et Khadra peut rentrer en France : un Président qui peut tenir debout, après des mois couché, est suffisant pour se succéder à lui-même. C'est déjà le cas. Il sera réélu parce qu'il a réussi à se mettre debout. Dans la lenteur du premier homme qui a marché sur la lune. Un petit pas pour nous tous, tous les jours, un grand pas pour lui. Et donc, tout doucement, on va aller contre le sens de l'histoire mauvaise : au lieu de changer on va résister, arrondir l'angle et le dos et réélire le même chez nous. Ce que Moubarak doit regarder avec admiration, Khadhafi avec philosophie post mortem et Assad avec exaltation. Rien dans les mains du magicien : sans guerre civile, sans révolution, sans bourrage d'urne, sans magie. Juste je me lève, je me réélis. Et le pire c'est qu'on a désormais une vraie monarchie : avec frère, deux frères et des neveux. L'image a profondément choqué quelque chose de profond et de tabou chez nous Algériens : malgré tous nos malheurs, nous avons depuis très longtemps la tradition de la république, du collégial, pas du familial. Voir les neveux de la famille régnante gambader sous les yeux de télévision de Khelladi, déambuler là où on ne peut pas mettre les pieds, affirmer la primauté du sang hérité sur le sang versé, a heurté nos sens. Boumediene ne l'a jamais fait. Chadli l'a caché, Benbella l'a subi mais jamais dit, Zeroual ne s'en est pas inquiété et Boudiaf n'y a jamais pensé. Bouteflika l'a fait : il exhibe le mandat comme un règne et la république comme un royaume et ses neveux comme des enfants de roi.

On le savait avec les décrets sur le passeport diplomatique, cousus sur mesure pour la «famille», maintenant on vous le montre à la télévision. Là, il ne s'agit plus de 4eme mandat ou d'un mandat à vie mais de l'amorce psychologique d'un mandat pour un siècle. Un tabou a été brisé : nous sommes prêts à devenir des sujets. Une monarchie grossière, insolente, méprisante mais présente. On l'a subie, elle s'affirme.