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Saïdani a volé l'opposition

par Kamel Daoud

Laissons de côté Bouteflika, Khadra ou les autres. Parlons du plus grand opposant algérien. L'homme qui attaque le DRS, dénonce le système Mediene en place depuis vingt ans, crie au scandale des officiers qui « doublent » chaque administrateur, celui qui dit non aux enquêtes d'habilitation, qui veut la liberté de la presse, des journaux, de l'armée et des partis politiques. Il ne s'agit pas de Aït Ahmed, rentré, rajeuni et vigoureux dans la dénonciation, ni des militants chômeurs du Sud, ni de quelques journalistes connus ou militants de l'opposition ou de Saïd Sadi en solitaire, non, c'est un autre. Amar Saïdani, le manager du FLN. L'homme qui a été appelé par un téléphone et qui y répond par tout son corps, son verbe, ses yeux et son âme. Et c'est cela qui étonne et fascine : voici l'homme le plus obéissant d'Algérie, qui a le discours le plus radical d'Algérie. Tellement et si bien qu'il faut dénoncer le vol et l'usage frauduleux des droits d'auteur : tout ce qu'a dit l'opposition depuis vingt ans, ce qu'elle a dénoncé en Occident et dans les têtes, les livres, les journaux voici que Saïdani en fait son pain et son verbe et se présente en deux semaines à la place de nos deux décennies de lutteurs de classes, de mots et de théories. C'est vous dire que même l'opposition peut être volée, que ses mots ne sont plus les siens et qu'il ne sert à rien ni de soutenir ni de s'opposer : Saïdani fait les deux. En récente boucle, il a même attaqué Sellal, le Premier ministre, dans une sorte de duel inédit entre un énarque et un ancien employé de Naftal. Saïdani a donc pendu Sellal, l'a jugé et l'avertit, lui l'homme dont ne sait rien de plus que ses jeux d'épaules et de danse. Une telle insolence ne peut être que sur commande et un tel courage ne peut être qu'un ordre. Du pur parti unique, une incroyable invention du siècle : l'homme venu de rien et qui dit tout.

Et cela fascine les Algériens : on sait tous que cet homme fonctionne par le téléphone de son maitre, ne dit rien de lui-même, même pas son prénom, n'osera jamais élever la voix sans agrément et voici qu'il attaque comme jamais personne ne l'a fait en Algérie. On le sait télécommandé, avec piles, mais cela étonne encore et encore : que veut-on faire de cet homme ? Jusqu'à quel bout va-t-on l'utiliser puis le jeter ? Comment peut-on être aussi obéissant et aussi fanatique dans la vassalité et la servitude ? énigme. Cet homme est la fin de deux grandes familles politiques algériennes : le soutien et l'opposition. Misère des sens. Un jour, il va écrire même cette chronique.