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COUP D'ETAT, ACTE II

par M. Saadoune

Les Frères musulmans et leurs alliés regroupés dans «l'Alliance nationale pour la défense de la légitimité» ont beaucoup mobilisé vendredi dans le cadre de journée baptisée «briser le coup d'Etat». Trois manifestantes pro-Morsi ont été tuées dans le delta du Nil. Trois morts de plus dans une crise qui paraît sans issue. Une autre manifestation «millionième» pour le «retour de la légitimité» est annoncée pour lundi.

On est bien dans une bataille d'usure qui peut durer longtemps et déraper à tout moment dans la violence. Mais il faut bien admettre, à moins de se voiler les yeux, que la mobilisation anti-coup d'Etat en cours dépasse très largement les partisans des Frères musulmans et des partis islamistes. Des Egyptiens non islamistes participent aussi à la contestation de ce qu'ils considèrent comme une «restauration» de l'ordre ancien, voire une «contre-révolution». Le problème actuel de l'Egypte est que les pro-Morsi n'arrivent pas à «briser le coup d'Etat», les militaires ne pouvant se permettre de reculer car cela signifierait une vraie défaite politique qui ruinerait leur position privilégiée au sein de l'Etat. D'un autre côté, les militaires n'arrivent pas, non plus, à «briser» la contestation entêtée et «fervente» menée par les islamistes.

Les généraux égyptiens ont, à l'évidence, sous-estimé la capacité des Frères musulmans à résister et à mener à leur tour une contestation dans la rue sur la durée. Ils ont pu constater que dans les meetings anti-coup d'Etat, les dirigeants de l'armée sont très copieusement conspués. Le chef de l'armée Al-Sissi est en tête des cibles. Et alors que son portrait est arboré dans la place Tahrir par les anti-Morsi, les islamistes, malgré la privation de leurs moyens de communication, ont accusé les haut gradés de «vouloir hériter le pouvoir». En clair, disent-ils, les Egyptiens ont empêché Moubarak de passer le pouvoir à son fils et voilà les militaires qui veulent l'hériter et le garder entre leurs mains. «A bas le pouvoir de l'armée», clament continuellement les partisans du président déchu.

La charge a été suffisamment forte pour contraindre l'armée à dire que le général Al-Sissi ne sera pas candidat. Il n'en reste pas moins que le pays est totalement bloqué même si un gouvernement de transition est mis en place avec la « molle» approbation des Occidentaux et un soutien financier substantiel des monarchies du Golfe. Officiellement, l'armée est intervenue pour mettre fin à un «blocage» et au risque de guerre civile. Il est difficile de dire aujourd'hui, près de trois semaines après la destitution de Morsi, que la situation est débloquée et que la sécurité est meilleure et que le risque d'affrontements généralisés et de guerre civile est devenu moindre.

Les militaires qui ont gonflé jusqu'à l'absurde les chiffres des manifestants anti-Morsi ont voulu gagner sur tous les tableaux en donnant une allure «civile» au coup d'Etat. Ils ont mis en branle toute la machine médiatique et les politiciens anti-islamistes pour clamer qu'il ne s'agit pas d'un coup d'Etat mais de «l'acte deux de la révolution». Mais la riposte, encore pacifique mais massive, des partisans de Morsi les a déjà contraints à utiliser l'arme de la répression et l'instrumentalisation de la justice. Les choses ne font qu'empirer pour le général Al-Sissi. S'il ne veut pas entendre parler d'un retour de Morsi, il va devoir probablement être contraint d'assumer pleinement le coup d'Etat en décrétant la loi martiale. Ce sera l'acte II du coup d'Etat. Il n'est pas sûr que cela soit une solution. Mais cela montre bien que le coup d'Etat contre une «partie du pays» était bien hasardeux dans une Egypte en ébullition. Il est de plus en plus difficile à l'armée égyptienne de continuer à faire dans le maquillage en prenant place Tahrir comme alibi cosmétique.