Bouteflika est de retour. Sa longue hospitalisation en France
a épuisé l'indignation, l'humour, la colère et les analyses. Tellement et si
bien que son retour n'est plus un événement politique, mais seulement une
nouveauté médiatique. Certains tenteront déjà la résurrection, d'autres vont se
confiner dans la prudence des premiers jours ou la compassion pour un malade,
mais cela ne change pas à ce que nous avons découvert : Bouteflika n'est pas
nécessaire mais le changement est nécessaire. L'homme a dévoilé le vide
politique et institutionnel algérien dont est le premier artisan et sa maladie
nous a fait entrevoir sur quoi repose la «vie» de ce pays : presque rien sauf
le consensus de la mastication ou de la prédation. L'absence de Bouteflika nous
a été donc plus utile que sa présence physique. Nous y avons découvert que
personne ne songe à notre avenir, que le pays est bâti sur une conception
absurde de l'immortalité de son Président, que «après moi c'est le chaos» est
l'une des injazate de la décennie, que la classe politique est si pauvre et
appauvrie qu'elle peinera à trouver un maire et pas seulement un Président, que
la mythologie des décolonisateurs a ses limites quand il s'agit de «leur» santé
ou de leur argent, que la mascarade de la guerre des mémoires et des demandes
d'excuses ne résiste pas à un AVC, que nous sommes à une telle limite du
scepticisme qu'on a demandé à Zéroual de revenir, faute de pouvoir ressusciter
Boumediene, Ferhat Abbas ou Boudiaf. Nous y avons aussi découvert le prix réel
de la plus grande mosquée d'Afrique, la fiction de la vie du FLN, du RND et des
appareils quand ils ne sont pas guidés par téléphone et que mis à part le frère
de Bouteflika, personne ne savait rien et que tout le monde était traité comme
un étranger à la famille. Nous y avons découvert que le Président dans ce pays
est un Dey et que le pays peut mâcher, sans lui, et que cela arrange presque
tout le monde qui a le monde à lui tout seul ou pour sa femme et ses enfants.
Nous avons découvert aussi que Bouteflika avait un prénom (Saïd) et qu'il
mangeait des gâteaux et travaillait (officiellement) comme nous tous : allongé
depuis l'indépendance. Trêve d'humour, la question : que va changer le retour
de Bouteflika ? Rien, sauf la manière de tuer le temps en attendant les
prochaines présidentielles. L'homme va gagner du temps, le pays va perdre du
temps et cela arrange la transition contrôlée.
La conclusion ? L'hospitalisation en France était une indignité,
80 jours sans Présidence pour un pays est une mascarade et le retour n'est
qu'un changement de lit. Le pays sera longtemps sur chaise roulante. Du moins
pour quelques mois encore.