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EVITER LE PIRE

par M. Saadoune

L'armée égyptienne a accompli un coup d'Etat. Les démocrates ou ceux qui se prétendent comme tels qui font dans l'exégèse spécieuse pour parler «d'acte II de la révolution» ou «de coup d'Etat démocratique» ne se moquent que de leur intelligence. Que ce coup d'Etat soit apprécié par une partie de la population ou des partis politiques ne change rien aux choses. C'est par le droit - notion constamment foulée aux pieds dans notre aire «spécifique» - que l'on qualifie le coup d'Etat.

On n'est d'ailleurs pas surpris de voir qu'à quelques rares exceptions, les Etats occidentaux, si prompts à donner des leçons de démocratie, ne parlent pas de coup d'Etat. Ce n'est pas un reproche qu'on leur fait, il s'agit juste de rappeler que leurs positions de «principe» sont à géométrie et à géographie très variables. Et surtout que leurs principes suivent leurs intérêts et ne vont jamais contre. Même si c'est une évidence, il faut toujours le rappeler à ceux qui donnent des leçons aux pauvres arriérés qui ne supportent pas, chez eux, les seins à l'air des Femen, présentées comme le nec plus ultra de la liberté. Ce qui est déplaisant dans ce refus chez les démocrates arabes ou prétendus tels d'admettre qu'il y a eu un coup d'Etat est qu'il dispense de poser ouvertement la question du rôle politique de l'armée.

En Egypte, disent-ils, l'armée n'a fait qu'accomplir la volonté du peuple. Et après ? Elle va donner le pouvoir à qui ? A Hamdine Sabahi, qui est devenu le plus fervent admirateur d'une armée qui n'a pourtant rien de «socialiste» et qui est, structurellement, insérée dans le business ? Il est absurde, du point de vue de l'analyse politique, de faire semblant que le droit a été respecté et que la rue a ôté la légitimité à un président élu. C'est un coup d'Etat que l'on approuve ou que l'on désapprouve ! L'admettre publiquement permet de soulever le débat de fond ! L'armée égyptienne n'est pas l'armée tunisienne, elle est au pouvoir depuis des décennies et les trois précédents présidents, avant Morsi, en sont issus. Cette armée a géré le pays de manière calamiteuse après la chute de Moubarak, elle a accepté après beaucoup d'hésitation l'élection de Morsi, négocié un modus vivendi avec lui. Elle est de nouveau au cœur du jeu. Et dans une situation beaucoup plus dangereuse.

Les premières actions du «nouveau pouvoir» sont marquées du sceau de la répression. Les dirigeants des FM passent ainsi du pouvoir à la prison et leurs médias sont fermés. Officiellement, l'armée affirme qu'elle ne compte pas prendre de «mesure exceptionnelle ou arbitraire» contre les Frères musulmans et respectera la liberté d'expression et de manifestation. Concrètement, ces mesures sont déjà prises. Les Frères musulmans sont ciblés et les discours diffusés dans les télévisions égyptiennes - beaucoup appartiennent aux nababs du système Moubarak - n'ont, c'est un euphémisme, rien d'apaisant. Les Frères musulmans feraient une grave erreur s'ils basculent dans la violence. Pour l'instant, ils s'accrochent à la légitimité et appellent à des manifestations pacifiques. Le resteront-elles dans la dynamique de haine qu'entretiennent les médias ? Il faut l'espérer.

Mais les militaires qui sont, plus que jamais, la réalité du pouvoir auraient tort de penser qu'étouffer et embastiller les Frères musulmans est une réponse à la crise actuelle. Certes, les salafistes, avec un opportunisme remarquable et probablement sur incitation des Saoudiens, soutiennent de facto l'intervention des militaires. Mais le mouvement des Frères musulmans a atteint depuis longtemps une masse critique, il a une présence très dense dans le tissu social. Le bannir du jeu est ce qu'il ne faut pas faire. Le pire n'est jamais bien sûr. Mais ce sont les décisions que prennent ceux qui détiennent les leviers qui sont déterminantes. Et ce sont les militaires qui les détiennent même s'ils ont Al-Azhar, l'Eglise copte et Al-Baradei avec eux.