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C'est Chakib ou le peuple qui rira le dernier !

par Kamel Daoud

A une question sur de possibles poursuites judiciaires contre lui  ou sa gestion du pétrole et gaz et fric et appels d'offres algériens, Chakib Khellil, l'ex-ministre de l'Energie a répondu, un jour il y a quelques années, par un immense éclat de rire, au nez de la journaliste qui l'avait interrogé. Un bon rire qui résume tous les autres rires entre le régime et son peuple de service, l'impunité face à la naïveté, le crime face à la gratuité et le vol face à l'insolence. Le rire de Khellil a été suivi par des sourires, puis par un long silence en mode luxe et consulting international, périples VIP, avions et salons feutrés. C'était vrai : on ne peut que rire si l'on vous raconte que vous allez être jugé par une justice nourrie au pétrole alors que vous êtes le ministre de ce pétrole ou son premier gestionnaire délégué. Sauf que la justice n'est pas seulement algérienne. Elle court lentement mais rattrape souvent. C'est ce que dit la foi. Ou le TPI.

Cette fois, c'est en Italie où, selon les journaux du monde, une enquête universelle est ouverte qui implique une société parapétrolière en Italie, partenaire de Sonatrach qui ne dit rien pour le moment. Selon ce qui se révèle, il s'agit d'une enveloppe de 200 millions de dollars versée à un intermédiaire avec un ex-ministre de chez nous. Les noms de Khellil et de l'un de ses neveux émergents sont citées. D'où une curiosité d'indigène impuissant : de quelle nature sera le rire de Khellil si un journaliste occidental luis pose la question aujourd'hui ? Rire jaune ? Sourire malade ? Rire fou de peur ? Rire simple mais sans joie ? Rire affolé ? On verra. Ou on rira. Peut-être. Car si nous en Algérie on n'existe pas, on peut au moins regarder, à défaut de pouvoir juger.

En attendant, Sonatrach, ses dirigeants, ses directeurs et ses cellules de communication modernes, ne disent rien. Silence. L'entreprise est en mode démission depuis le premier épisode et jusqu'à aujourd'hui. Comme pour le reste de l'Etat, personne ne veut y décider, y parler, y assumer ou endosser dans le cadre de la dictature molle que nous vivons depuis trois mandats. D'ailleurs pourquoi y va-t-on réagir ? Le pétrole n'est pas à nous et personne n'a à nous rendre compte des comptes. Et comme pour beaucoup de produits étrangers, l'Algérien va aussi importer la joie de voir la justice (étrangère) triompher (à l'étranger) et un ex-ministre cité avec son neveu favori. On va même peut-être importer de la «Justice» un jour et sous-traiter des procès. Avec l'assurance d'exporter des coupables cependant.

Que va-t-il se passer si on prouve que cette filière de corruption est réelle ? En Occident, certains vont être jugés, inculpés ou innocentés. La justice va y faire son travail. Et chez nous, pour nous ? Rien : des affaires de ce genre vont servir à racketter plus encore ce pays par la prédation internationale : plus on est voleur chez soi, plus le tutorat des puissances devient puissant. C'est une chaîne alimentaire. Cette affaire n'aura aucune incidence ici. Aucune conséquence politique ou judiciaire. Aucun effet dominos. Rien. Le seul retournement de situation est que cette fois, c'est nous qui allons rire. D'ailleurs, on rit déjà.