Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Malaise aérien algérien

par M. Saadoune

Pour de nombreux Algériens, il était particulièrement choquant d'apprendre de la bouche d'un ministre français que leur gouvernement a accordé un droit de survol sans limite aux avions français engagés dans la guerre au Mali. Quand on fait durant des mois un discours anxiogène sur les risques d'une intervention étrangère, le moins que puissent faire les responsables du pays est de donner une explication aux Algériens. On espère qu'ils sont suffisamment «connectés» pour lire les commentaires des Algériens qui expriment leur malaise, leur doute et leur perplexité.

Il n'est pas inutile de rappeler que la majorité des Algériens était foncièrement hostile à Mouammar Kadhafi au début des événements de Benghazi mais qu'elle a changé car elle ne supportait pas de voir les avions de l'Otan de retour au Maghreb. Les autorités algériennes n'ignorent rien du réflexe de rejet quasi automatique qu'ont de nombreux Algériens à l'idée d'un retour, même passager dans les airs, de l'armée française. «On veut bien faire la paix avec la France, on n'aime toujours pas l'armée française», disait hier un vieux monsieur qui n'avait pas la mémoire courte. Certes, il n'est pas dans les habitudes des responsables algériens de s'expliquer devant les Algériens, ils continuent à penser que la seule «opinion» qui compte est celle des chancelleries et des médias étrangers. Mais ils devraient se rendre compte qu'Internet est une chose «neuve». Et que des citoyens qui n'ont pas accès à des médias lourds s'y expriment directement aussi. Et lourdement.

Espérons, encore une fois, que les services d'information des différentes autorités jettent un regard sur les explications «spontanées» qui sont faites de la décision algérienne annoncée par Paris. Quand les autorités ne font pas l'effort pédagogique d'informer et d'expliquer et qu'elles laissent à la communication - de guerre - du gouvernement français le soin de le faire, même les moins critiques éprouvent un fort malaise. Il ne manquerait plus que ce soit Paris qui nous annonce que l'Algérie s'engagera plus avant dans le conflit malien ! Certes, les autorités algériennes n'avaient pas les moyens d'empêcher la guerre décidée par Paris et adoubée par les Américains. Le porte-parole des Affaires étrangères a fait le minimum syndical en langue de bois diplomatique pour expliquer aux Algériens qu'il s'agit d'une décision «souveraine du Mali». Et que notre pays soutenait les autorités de Bamako face aux attaques des groupes djihadistes.

On aura compris à travers cette langue de bois que les autorités algériennes signifiaient qu'elles renonçaient à la démarche défendue depuis des mois et qu'elles convenaient que le groupe Ançar Eddine n'est plus fréquentable. Mais si l'on fait l'effort minimal d'expliquer - et de justifier - des décisions prises par des Etats étrangers, on se serait attendus à ce qu'on en fasse au moins autant s'agissant d'une décision de l'Etat algérien d'autoriser le «survol sans limite» de son territoire. Ce n'est tout de même pas une mesure technique mais un acte politique qui positionne clairement l'Algérie dans une guerre qu'elle a, officiellement, cherché à éviter. Ce n'est pas une question de «pure forme». Les Algériens ont tout simplement droit à une information claire émanant des autorités de leur pays. Ils ont droit également à des explications sur la politique de l'Algérie au Sahel. Et ils veulent savoir jusqu'à quel point notre pays va-t-il être impliqué ou s'impliquer dans cette guerre française au Mali. Ce n'est pas trop demander !