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UN SCENARIO ABSURDE ET COUTEUX

par M. Saadoune

La presse tunisienne a choisi de mettre en exergue les critiques, fortes,adressées par le président Moncef Marzouki à Ennahdha qu'il a accusée d'être tentée, comme l'a été le RCD de Ben Ali, de s'approprier l'Etat. C'était dans un message lu au congrès du CPR auquel, par réserve présidentielle, il s'est abstenu d'assister. La critique à l'égard des islamistes est rude. C'est même la plus rude depuis la constitution de l'attelage à trois qui gouverne la Tunisie depuis les élections. Tellement rude que des ministres et des dirigeants d'Ennahdha ont quitté la salle où se tenait le congrès pour manifester leur mécontentement.

Ce message montre que le président tunisien, contrairement à l'image qu'en donne une presse tunisienne qui se déchaîne contre lui comme pour faire oublier des années de «lèche-majesté», conserve sa liberté de penser. Pourtant, au-delà de la critique qui porte aussi bien sur la tendance d'Ennahdha à placer ses hommes sans tenir compte de leur compétence ou non, des retards dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle ou dans les projets de développement de l'arrière-pays abandonné, le message de Moncef Marzouki défend toujours l'option stratégique d'une alliance entre les «laïcs modérés» et les «islamistes modérés». Non seulement il dresse de cette alliance de 9 mois un bilan hautement positif, puisqu'elle a permis, selon lui, d'éviter la paralysie de l'Etat et une crise politique dangereuse, mais le président tunisien estime que le pays n'aurait rien à gagner et tout à perdre dans une bipolarisation de la vie publique entre laïcs et islamistes. Une direction dangereuse, selon lui, qui aboutit à une logique de confrontation sur la base d'un «scénario absurde et coûteux?».

L'alliance, qu'il souhaite reconduite sous une forme ou une autre à l'avenir, est d'autant plus nécessaire qu'il existe des courants antagoniques qui souhaitent ramener le pays à ce scénario sans tenir compte de l'intérêt de la société pour la paix civile. Ces courants ne tiennent pas compte non plus d'une expérience historique où le pays a constamment oscillé entre «le chaos et le despotisme» ou entre une tutelle d'un groupe restreint et une autre. L'alliance entre les «islamistes modérés» et «laïcs modérés» permet d'éviter un rétrécissement du pays qui deviendrait, en cas de bipolarisation idéologique et politique, «étroit pour tout le monde». Dans un pays qui est à la fois moderne et conservateur, arabe, islamique, afro-méditerranéen, pauvre et riche? il n'existe pas de solution par la ruse. Mais un nécessaire apprentissage de cohabitation dans un cadre démocratique afin que l'on puisse «construire ensemble un pays assez vaste pour accueillir tout le monde».

Aux militants du CPR dont certains commencent à trouver pesante la cohabitation avec Ennahdha, il souligne que le choix de l'alliance n'a pas été motivé par une pulsion opportuniste pour « partager les butins du pouvoir comme certains le prétendent » mais par une réflexion stratégique. «C'était un bon choix et si je devais revenir au point de départ, je ne choisirais pas d'autre voie. Et j'espère qu'il se poursuivra, à l'avenir, sous une forme ou une autre». La réflexion de Moncef Marzouki semble, en bonne partie, alimentée par l'échec de la transition démocratique en Algérie après octobre 1988 et l'extrême polarisation politico-idéologique qui s'est installée par la suite. Mais ce que les Algériens peuvent en retenir est qu'une démarche de sagesse de non-confrontation nécessite impérativement un cadre démocratique réel. Le choix ne doit plus être limité au chaos ou au despotisme qui n'est jamais éclairé. Il n'existe aucune comparaison possible entre l'alliance actuelle en Tunisie et l'Alliance présidentielle «subie» par l'Algérie et qui a abouti au gel complet de la vie politique. Nous avons beaucoup de choses à apprendre de la difficile transition qui se déroule en Tunisie.