Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

«Bénadiction»

par El-Guellil

Nul doute que si l'on avait moins de pétrole, nous aurions été plus imaginatifs, plus entreprenants et plus matinaux. Le mois sacré serait un mois comme les autres. Nous aurions mieux respecté, et autrement, les vertus du travail, du savoir et toutes les autres valeurs universelles qui nous font cruellement défaut. Nous n'aurions pas entretenu l'amalgame et la confusion entre l'intelligence et la ruse. Nous aurions été moins sentimentaux et aurions aimé la terre plus ardemment. Mais, surtout, nous aurions été plus modestes.

Si nous n'avions pas eu de pétrole, nous aurions eu parmi nous moins de faucons et plus d'hirondelles, moins de rentiers et de bras cassés. Nous aurions appris, comme d'autres, que la seule richesse intarissable d'une nation est l'homme. Nous aurions, certes, eu moins de médecins, de pharmaciens, moins de psychiatres, mais nous aurions été probablement moins malades, moins dépressifs. Le revers a une médaille.

Mais comme l'on subit son destin, nous avons eu le pétrole, et il fallait inventer la vie qui va avec. Usine sur usine, des bidonvilles se superposant aux dortoirs, des aides succédant aux subventions, et, petit à petit, nous sommes devenus, selon le principe irréversible des vases non communicants, des «gueux socio-quantativistes superstitieusement autarciques», suffisamment éloignés de toute norme de rationalité et d'esthétique admise. Résultat, il se trouve parmi nous des citoyens plus citoyens que le reste, et l'ordre d'indigénat, supposé aboli, refait insidieusement surface grâce à ceux-là mêmes qui se réclament de l'avant-garde de son anéantissement.

Dans sa logique de cheminement actuelle, le pétrole pose inévitablement problème : il a cessé de profiter équitablement à tous. Mieux, à cause de ce même pétrole, nos enfants naissent endettés. Et salariés comateux de notre Etat, nous nous retrouvons incapables, semble-t-il, de garantir une digne retraite à ceux qui nous ont précédés d'une génération, blâmés d'avoir, paraît-il, mené une vie au-dessus de leurs moyens.

Sans le pétrole, nous aurions été des agriculteurs rugueux ou des provinciaux convaincus; et avec le pétrole, nous ne sommes pas encore des citadins industrialisés ni des majeurs vaccinés. Nous en sommes à mi-chemin, dans une douce transition prolongée. Ou plutôt, nous sommes des fellahs oisifs sans terre dans des cités-dortoirs parabolées. Le corps et l'esprit déconnectés. Les pieds dans la boue, la boue dans la tête et la tête ailleurs.