Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

IMBROGLIO SUR LES RIVES DU NIL

par M. Saadoune

On attendait de voir les vraies actions du nouveau président égyptien Mohamed Morsi pour avoir

une idée des rapports qu'il comptait entretenir avec la puissante et envahissante armée égyptienne. Allait-il s'accommoder du coup d'Etat juridique qu'ils ont accompli ou, au contraire, engager le bras de fer ? Il vient de choisir la deuxième option en défiant ouvertement les militaires, en annulant par décret la décision des militaires de dissoudre le Parlement.

En rétablissant le Parlement, le président égyptien a d'abord pris une décision politique. Les militaires s'étaient arrogé tellement de pouvoirs qu'ils ne laissaient en réalité aucune marge pour le président réduit à un rôle purement formel. Sa décision crée un grand imbroglio juridique. En toute légalité, le président peut effectivement annuler une décision prise dans le cadre de la fonction présidentielle exercée de facto par les militaires. Mais ces militaires avaient introduit un complément à la déclaration constitutionnelle pour s'octroyer le pouvoir législatif. L'Egypte se retrouve avec deux pouvoirs législatifs.

La décision de la Haute Cour constitutionnelle dont les membres ont été désignés sous Moubarak et sont sous influence de l'armée, a été fortement contestée par les juristes. Pour eux, la décision de dissolution était infondée car les dépassements évoqués par la Haute Cour ne concernaient que quelques dizaines de sièges. Cela aurait justifié que de nouvelles élections aient lieu pour pourvoir ces sièges, mais cela n'est pas un argument pour contester la légitimité du Parlement élu. Pour d'autres, le président n'a pas le pouvoir de remettre en cause une décision de la Haute Cour. Des juristes rappellent cependant que la Haute Cour n'a pas pris la décision de dissoudre le Parlement et qu'elle s'est contentée de dire que la loi qui a présidé à l'élection du Parlement était illégale. Ce sont donc les militaires qui ont fait une interprétation politique en décidant de dissoudre le Parlement et de s'octroyer dans la foulée tous les pouvoirs.

Mais ces aspects juridiques, pour importants soient-ils, traduisent d'abord une situation politique. Les militaires, tentés d'imposer leur candidat, Ahmed Chafiq, ont dû y renoncer après la mobilisation de la rue. Ils se sont résignés à accepter le résultat des urnes en estimant qu'ils avaient verrouillé la situation. En engageant le bras de fer avec eux, le président Mohamed Morsi apporte la preuve qu'il n'a pas conclu d'arrangement avec les militaires contre la révolution. Ce n'est pas un «échec et mat» comme l'a écrit un journal égyptien, mais c'est bien le début d'une nouvelle partie politique dans une transition fortement perturbée. Les militaires se sont réunis en urgence comme si la décision était inattendue pour eux, certains partis politiques libéraux et de gauche appellent au limogeage du président tandis que les Frères musulmans saluent la décision ainsi que les révolutionnaires qui contestent la prééminence de l'armée.

D'une certaine manière, la décision de Mohamed Morsi remet les compteurs politiques à zéro avec une polarisation accrue entre les Frères musulmans et les militaires. Il est difficile de prévoir l'évolution de la situation. Mais la décision du président Mohamed Morsi est intervenue après la tenue d'un majliss echoura des FM, ce qui signifie que l'organisation a décidé de ne pas rester passive dans la mise au pas de la transition par les militaires. La partie que les militaires ont cru fermer est rouverte.