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Morsi moins insignifiant qu'il a été présenté

par Kharroubi Habib

Le bras de fer n'a pas tardé à s'engager en Egypte entre le président élu Mohamed Morsi et le Conseil suprême des forces armées (CSFA). A l'initiative du premier qui a surpris ce dernier en annulant la dissolution du Parlement décrétée par les militaires peu avant qu'il ne soit déclaré vainqueur de l'élection présidentielle et investi dans sa charge. La décision de Morsi infirme par conséquent le bruit ayant couru qu'il aurait convenu de ne pas remettre en cause les mesures prises par le CSFA.

Le décret d'annulation dont il est le signataire signifie de façon abrupte que le président égyptien est déterminé à ne pas être le chef de l'Etat potiche, rôle auquel semblait devoir le confiner la confiscation par le CSFA des pouvoirs les plus sensibles dévolus à l'institution présidentielle et du pouvoir législatif qu'aurait dû exercer le Parlement dissous. Son initiative lui vaut assurément de bénéficier d'un large soutien tant des forces politiques opposées à la confiscation opérée par le CSFA que de l'opinion publique égyptienne tout aussi acquise à la revendication du retrait des militaires de la sphère politique nationale. Plus fin manœuvrier qu'il en donnait l'air, Mohamed Morsi a préparé son offensive en berçant le CSFA de la promesse qu'il ne nourrit pas d'intentions agressives contre lui, mais aussi en préparant les forces politiques et l'opinion égyptienne au « coup de force » qu'il préméditait contre ce CSFA à la popularité ternie par sa prétention à exercer une tutelle censitaire sur l'institution présidentielle.

Le bras de fer du président élu avec le CSFA ne surprend finalement que par la rapidité avec laquelle le premier l'a engagé. Il devait l'être tôt ou tard. Le temps jouait contre Morsi, car plus il aurait tardé à défier les militaires sur la question des pouvoirs confisqués par eux, plus ils encourrait d'être déconsidéré sous l'accusation d'avoir trahi la révolution qui a rendu possible son élection à la magistrature suprême et d'être dans la connivence avec l'armée qui ne veut pas se retirer de la scène politique. Contre le CSFA, Mohamed Morsi fait jouer la légitimité dont l'a investi le suffrage universel démocratiquement et librement exprimé. Une légitimité que les militaires ne peuvent ignorer et surtout y porter atteinte parce qu'elle est mise en travers de leur volonté de rester hégémoniques dans la sphère du pouvoir égyptien.

L'Amérique, allié « stratégique » de l'Egypte, se retrouve écartelée entre la connivence qu'elle entretient avec la hiérarchie militaire égyptienne et l'apparent crédit qu'elle accorde au président élu selon les canons démocratiques prônés par elle. Elle s'activera à l'évidence à favoriser la conclusion d'un compromis entre le président égyptien et le CSFA, mission dont aurait été chargé le secrétaire d'Etat adjoint William Burns qui se trouvait être « opportunément » au Caire quand le décret présidentiel allait être rendu public. L'on fera également remarquer que Mohamed Morsi a fait connaître sa décision après sa brève visite à Ryadh en Arabie Saoudite, grande pourvoyeuse d'aides financières à l'Egypte. Deux faits qui tendent à donner à comprendre que Morsi n'a pas joué au « Don Quichotte » en croisant le fer avec le CSFA, mais s'est ménagé des soutiens nationaux et internationaux dont la convergence lui procure une protection efficiente au cas où les militaires se décident à durcir la confrontation avec lui.