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Un accord inapplicable

par M. Saadoune

La rencontre de Genève s'est terminée sans que le départ de Bachar Al-Assad soit formellement enregistré comme étant une condition de la transition. Il ne pouvait l'être au vu des divergences sur la question entre les Occidentaux et la Russie et la Chine. Mais comme la réunion qui l'a précédée, les annonces de la conférence donnent lieu à des interprétations divergentes. Les Occidentaux font valoir que le texte adopté de manière laborieuse le stipule de manière «implicite», les Chinois et les Russes disent absolument le contraire. Ils font même valoir que la formule qui prévoyait d'exclure du gouvernement de transition dont la participation pourrait « compromettre la stabilité et la réconciliation » a été retirée du texte final.

On est donc clairement parvenu à un texte de «consensus» que chacun interprète comme il l'entend. Les protagonistes de la crise en Syrie sont, une fois n'est pas coutume, entièrement d'accord sur l'évaluation des résultats de la conférence de Genève. Un «échec» selon Damas, un accord trop «vague», selon les opposants. Traduit en termes concrets, ce jugement des protagonistes d'un conflit en escalade signifie que l'accord est inapplicable en l'état. La quête d'une solution politique paraît d'autant plus lointaine que ses éléments sont désormais extérieurs et supposent un consensus entre les Occidentaux et le couple russo-chinois qui n'est pas près d'être atteint. En d'autres termes, cela signifie que l'escalade guerrière va s'accentuer, alimentée par l'afflux des armes de l'extérieur. Or, tant que les soutiens extérieurs des différents protagonistes campent sur leur position, on restera dans une logique guerrière destructrice. Chacune des parties en conflit va tenter d'obtenir un avantage militaire et politique en accentuant les opérations sur le terrain.

Les lendemains de Genève n'augurent pas - c'est un euphémisme - une accalmie en Syrie. C'est une sorte de statu quo d'usure entre les parties en conflit qui pourrait durer longtemps. A moins que la Turquie, de plus en plus tentée par aller plus loin en Syrie, n'intervienne en bousculant les équilibres. Mais une telle action, prise en dehors de l'Onu, serait trop risquée. La Russie ne manquerait pas de réagir en appuyant Damas. En réalité, la Turquie n'est pas un acteur négligeable dans la région mais elle n'a pas les moyens politiques de pouvoir se passer de la légalité internationale. Ses réactions ne peuvent pas, sans risque, aller au-delà d'une manifestation musclée à la frontière avec la Syrie. Objectivement, la situation est bloquée. Et la diplomatie n'est pas en mesure d'apporter une contribution à la crise.

En théorie, le Conseil de sécurité de l'Onu devrait se réunir prochainement pour approuver l'accord de Genève. Mais il semble exclu, même si certaines parties le souhaitent, que le chapitre 7 de la charte des Nations unies prévoyant l'usage de la force puisse être invoqué. Les Russes et les Chinois ne manqueront pas de s'opposer à un accord, inapplicable, et déjà objet d'interprétations divergentes. Or, Moscou et Pékin sont encore marqués par l'interprétation qui a été donnée par les Occidentaux aux résolutions sur la Libye. Ils ne cessent de dire qu'ils ne permettront pas une réédition de ce droit à «interpréter» des Occidentaux. Au final, à moins d'un changement brusque sur le terrain militaire, les choses peuvent rester dans cet état stationnaire sanglant jusqu'à l'élection présidentielle américaine.