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Le gambit russe

par M. Saadoune

Bachar Al-Assad bientôt «lâché» par Moscou ? C'est la dernière des rumeurs-hypothèses qui circule au sujet de la crise syrienne. Alimentée par Vladimir Poutine en personne qui a déclaré n'avoir «jamais dit ou posé comme condition qu'Al-Assad devait nécessairement rester au pouvoir à la fin du processus politique». Propos saisi et interprété au vol par la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton qui a déclaré qu'il «y a un chemin à suivre et nous sommes prêts à le suivre. Nous invitons les Russes à contribuer à la solution». Exit Bachar Al-Assad ? La conclusion est hâtive.

La formule de Poutine n'est pourtant pas équivoque sur le fait que le processus politique doit d'abord s'engager avant d'envisager un éventuel départ de Bachar Al-Assad. Pour l'heure, c'est ce processus politique qui est totalement bloqué et c'est sur cet aspect que Moscou insiste en déplorant d'ailleurs une attitude «négative» de l'opposition syrienne. La Russie vient d'ailleurs de recadrer de manière très officielle le champ de l'interprétation: elle n'a rien contre un départ du président syrien s'il intervient dans le cadre d'un accord de transition politique, mais elle ne négocie pas avec d'autres pays l'avenir du président syrien. C'est le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, qui a tenu à apporter la précision après la multiplication de déclarations sur le «lâchage» de Bachar Al-Assad par Moscou.

On peut comprendre ce souci de la précision pour une Russie qui a constamment appelé à une solution politique négociée entre Syriens sans ingérence extérieure. Admettre qu'elle «négocie» le départ de Bachar Al-Assad aurait été des plus incohérents. Le seul vrai message envoyé est que la Russie ne fait pas du maintien en place de Bachar Al-Assad une religion. «Nous n'avons jamais dit ni posé comme condition qu'Assad reste nécessairement au pouvoir à l'issue de ce processus politique. Ce problème doit être réglé par les Syriens eux-mêmes», a indiqué Gatilov en précisant que son pays «n'entretenait pas de contacts et ne menait aucune discussion avec d'autres pays pour savoir si Assad devait ou non se maintenir au pouvoir». A Pékin, où Poutine est en visite chez son puissant allié chinois, le message est similaire: refus d'une intervention et appel à «un arrêt immédiat des violences et le processus de dialogue politique devrait être lancé dès que possible », selon la formule de Liu Weimin, porte-parole des Affaires étrangères de la Chine. Le vrai préalable russo-chinois réside dans l'engagement effectif d'un «dialogue politique» qui est, selon eux, bloqué par une opposition syrienne. Celle-ci, selon eux, spécule trop sur un effondrement du régime et un pourrissement de la situation favorisant une intervention extérieure.

Il n'en reste pas moins qu'en affichant qu'elle ne s'oppose pas à ce que le départ de Bachar Al-Assad soit un élément du processus du dialogue «entre Syriens», Moscou tend une perche à l'opposition syrienne pour saisir une opportunité. D'autant que les Américains ne sont pas prêts à une intervention militaire en Syrie, du moins pas avant les élections présidentielles qui auront lieu le 6 novembre prochain. C'est un temps terriblement long pour une crise syrienne qui tourne en accéléré à la guerre civile. Il n'est même pas certain que l'Europe, où l'on trouve les plus fervents partisans de l'intervention, soit elle-même en mesure de la soutenir, en raison de sa crise économique et financière qui peut prendre des proportions inédites. Mettre le départ de Bachar Al-Assad comme un élément de la négociation et du processus politique est, vu de Moscou, un moyen de sortir du statu quo. Mais il n'est pas certain que l'opposition syrienne saisisse cette perche?