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QUESTIONS SUR UN «VOTE MUSULMAN»

par M. Saadoune

Les musulmans votent Mélenchon. Quelques sondages sur des sites électroniques communautaires donnent effectivement une ample préférence des musulmans de France pour le candidat du Front de gauche. L'homme étant un laïc qui soutient la loi anti-nounous voilées - qui interdit aux assistantes maternelles le port du voile à leur domicile pendant leurs heures de travail -, cette préférence n'a rien de religieux.

Le «laïcard» Jean-Luc Mélenchon apparaît clairement à ces personnes sondées comme celui qui ne développe pas de discours agressif contre les musulmans, agressivité qu'il réserve à la droite et à l'extrême droite. Mélenchon n'est pas le candidat des musulmans, mais les sondages, au demeurant d'une ampleur très limitée, le placent comme candidat le plus acceptable pour eux. Cette préférence pour Mélenchon peut être lue comme une réaction de rejet à la campagne outrageusement antimusulmane de Nicolas Sarkozy qui a cédé à la thématique de l'extrême droite en faisait du «halal» un sujet majeur. Pourtant, cette perception doit être fortement nuancée. C'est surtout le discours politique et social de Mélenchon qui «marche», les musulmans faisant partie dans leur immense majorité des classes défavorisées qui ont frémi au discours «rouge» du candidat du Front de gauche. On est clairement dans un vote politique qui ne déroge pas à une tendance de l'électorat populaire français.

 Mélenchon peut être tout, sauf l'incarnation d'un vote communautaire musulman ou théologique. Tout le monde sait qu'il n'existe pas de «vote musulman» en France alors qu'il existe un vote arménien pour ne citer que celui-là. Aucune consigne de vote publique ou souterraine n'incite les musulmans à faire un choix entre les candidatures. On a au mieux une incitation à voter. C'est tant mieux! Il faut observer néanmoins un grand paradoxe. Les musulmans n'ont pas d'existence politique organisée mais ils sont pourtant, et depuis des décennies, le charbon de tous les discours démagogiques de l'extrême droite à la droite présumée honorable. Et d'une manière générale, ils sont constamment mis sur la sellette des médias qui s'abreuvent de tout pour les stigmatiser, y compris de faits divers. Etant entendu qu'un acte répréhensible commis par un individu présumé musulman retombe indubitablement sur l'ensemble des musulmans de France.

La communauté musulmane n'existe pas en tant que force organisée en France - ni le CFCM ni la Mosquée de Paris ne peuvent prétendre à ce rôle -, mais les musulmans sont constamment au centre des discussions. Jusqu'à la ridicule mode du «complot du halal» qui a agité la campagne électorale présidentielle. Taper sur les musulmans, c'est facile. Et ceux qui le font croient, en insultant au passage l'intelligence des électeurs français, que cela peut rapporter gros. Cela leur évite de s'appesantir sur les inégalités économiques et sociales qui s'approfondissent, sur les politiques publiques qui servent les minorités de nantis et sur un pouvoir d'achat en berne alors qu'il était la priorité politique apparente.

Si les musulmans étaient mieux organisés, parlerait-on autant d'eux ? S'ils avaient la capacité de peser sur le vote comme le font d'autres communautés, les politiciens oseraient-ils tenir de tels discours islamophobes et racistes ? Ces questions méritent d'être posées. Et au fond, elles sont dans l'air. Le vote musulman n'existe pas mais les islamophobes et les démagogues de France et d'ailleurs vont finir par en créer la nécessité et le forcer à se cristalliser.