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Vigie, d'accord, mais pourquoi pirate ?

par Abdelkader Leklek

Ce dont je vais traiter, ne concerne finalement ni une vigie, qui est une sentinelle, un guetteur sur un poste d'observation haut perché sur le mât central, ou le grand mât d'un navire pirate.

Ce vigile signalera tous les dangers, et toutes les embarcations bonnes à aborder et à piller. Ni le pirate qui est un marin pilleur de bateaux. Et à ce sujet le panel est large. On parle de corsaires, ce qui qualifie les pilleurs institutionnels, les abordeurs gouvernementaux de vaisseaux. De boucaniers, pirates qui faisaient fumer la viande ou le poisson, mais s'adonnaient au brigandage en mer. De flibustiers, qui sont les pirates opérant dans les mers des Antilles, et autres forbans et ruffians. Ma chronique, a trait à ce qui vient de se passer en France, à Toulouse, en ce mois de mars.         Et qui a tenu en haleine tout l'hexagone et la Navarre, et beaucoup de personnes de par le monde. Qui a mobilisé tout ce que compte la classe politique française, en cette période de campagne électorale. Et du m'as-tu-vu, moi j'y étais. Il s'agit bien sur de ce jeune français de 23 ans, qui avait, de sang froid abattu sept personnes dont trois enfants. Cet évènement dont l'animateur principal était Mohamed Merah, avait tenu en otage des centaines de gens, et avait provoqué une peur sur la ville rose, que chantait Claude Nougaro. Ce jeune homme avait fait trembler pendant trois jours plusieurs institutions françaises et pas des moindres. La présidence de la république, et les états- majors des armées. Les commandements de la gendarmerie et celui de la police, et la quasi-majorité des préfets et tous leurs collaborateurs. En conséquence, la république française déclencha, le plan Vigipirate.

Cependant pour la première fois de son histoire, ce plan a été activé à son degré d'alerte le plus élevé : couleur écarlate. Donc vigipirate, dont il est question ici, c'est le dispositif sécuritaire français crée en 1978, destiné à prévenir et à traiter les différentes menaces qui viendraient à surgir et dont les conséquences, risquent ou bien sont à même de déstabiliser la république française.

De menacer l'intégrité du territoire, de provoquer à grande échelle, des troubles à l'ordre public, et de favoriser la survenance de risques. Vigipirate, c'est la contraction de : Plan gouvernemental de vigilance, prévention et protection face aux actes terroristes. C'est un plan qui a un objet, des objectifs et une architecture. Pour l'objet il s'agit : de doter les pouvoirs publics français d'un système de réponse adapté aux nouvelles caractéristiques de la menace. Lisible, souple, gradué, opérationnel, facilitant la communication gouvernementale. Pour les objectifs, le plan vigipirate, ambitionne d'atteindre plusieurs et particulièrement : informer les ministres et les représentants de l'État, préciser le rôle des autorités publiques, définir des mesures de vigilance, de prévention et de protection, activer les chaînes opérationnelles, informer la population, préparer le déclenchement des plans d'intervention, fournir un cadre pour la préparation et l'entraînement. Quant à son architecture opérationnelle, le plan s'étage en trois niveaux. D'une part : évaluation de la menace, de l'autre : objectifs de sécurité et niveaux d'alerte, et enfin : domaines et mesures de vigilance, de prévention, et de protection. Pour mettre en œuvres, cette procédure, le plan vigipirate est échelonné en cinq (5) niveaux d'alerte. Chaque niveau d'alerte est représenté par une couleur.

Le blanc pour: absence d'indication de menace, ce qui induit, une posture permanente de sécurité. Le jaune pour: menace imprécise, ce qui implique d'accentuer la vigilance. L'orange pour: menace plausible, ce qui entraîne, de prévenir les risques d'une action crédible. Le rouge pour: menace hautement probable, ce qui oblige, de prévenir les risques reconnus graves. Et l'écarlate comme ultime degré, pour : menace certaine, ce qui commande, de protéger les institutions et limiter les risques pour la population. Bien sûr chaque degré comporte des mesures qui sont dans certains cas, très contraignantes pour les populations. Le plan vigipirate se décline aussi selon la menace et son espace d'apparition, en huit champs d'intervention.

1- Piratair -Intrusair c'est le plan mis en action pour la capture de pirates de l'air qui se trouveraient dans les carlingues d'avion. Il est en général déclenché contre le terrorisme aérien, les détournements d'avions, les prises d'otages et les utilisations d'aéronefs comme vecteur ou arme pour causer des dégâts. Et pour les promoteurs de vigipirate, l'exemple le plus cité, et le plus mis en lumière, est la prise d'otages par des éléments du G I A sur l'aéroport d'Alger dans un airbus de la compagnie air France.     Ces otages furent libérés sur l'aéroport de Marseille Marignane, par les militaires du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale, le Gign, en décembre 1994. 2-Pirate-mer, est le plan mis en branle contre les actes terroristes et la piraterie maritime, et en général, contre tout acte de malveillance en mer pouvant être associé à une prise d'otages.

Cette procédure fut mise en œuvre en avril 2008,pour secourir le navire de plaisance battant pavillon français, Le Ponant, pris en otage par des pirates somaliens, le 04 avril 2008. Les pirates furent capturés, mais sur la terre ferme, après avoir perçu une rançon, lors d'une opération héliportée, menée par l'armée française.

3- Piratome est la version du plan qui est engagée en cas d'attaque aux agents radioactifs, et aux agents à rayonnements ionisants. 4-La déclinaison Piratox, ce sont des dispositions appliquées lors d'attaque aux agents chimiques toxiques, et qui pourraient entraîner une contamination à large spectre.

5- Biotox, est la variante, pour lutter contre toutes attaques utilisant des agents infectieux, virus, bactéries, contagieux ou non, ainsi que des toxines comme la toxine botulique. Ces trois dernières versions ont été fusionnées en un seul plan : pirate NRBC, pour nucléaire, radiologique, biologique, et enfin chimique, depuis 2010. Il existe d'autres modulations du plan gouvernemental vigipirate, comme, 6-Pirate-Ext, déployé, quand intervient une attaque contre des ressortissants ou des intérêts français hors du territoire national. Il y a aussi en 7-Métropirate, qui concerne les attaques qui surviendraient dans les transports collectifs ferrés souterrains. Mais également la huitième et dernière déclinaison, qui est Piranet, conçue pour parer à toutes attaques, paralysant ou parasitant les systèmes informatiques d'information. C'est ce plan gouvernemental, qui avait été mis en œuvre, dans une ou plusieurs de ses versions pour mettre hors d'état de nuire, le jeune français Mohamed Merah. Néanmoins, cette fois-ci, la conduite et le pilotage, avaient soulevé des polémiques tous azimuts, et des critiques par paquets, dont les plus virulentes sont venues des Israéliens. La quasi-majorité de la presse d'Israël avait fustigé les ratées des policiers du RAID. Un ancien officier des forces spéciales de l'armée israélienne, avait affirmé que : «d'un point de vue purement technique, cette opération qui a duré 32 heures s'apparente à un échec opérationnel». Un autre avait déclaré ceci: «si je comprends bien, le RAID n'est donc pas capable en 30 heures d'aller chercher un individu seul dans un appartement?». En France même, cette affaire qui intervient en pleine campagne électorale, avait donné du grain à moudre à tous les challengers du président candidat, Nicolas Sarkozy. Eva Joly candidate des verts, a vertement pourfendu, le ministre de l'intérieur qui selon elle, avait outrepassé ses missions et ses prérogatives en commentant heure par heure les évènements de Toulouse. Ce faisant disait-elle, Claude Guéant avait violé les dispositions du code de procédure pénale, et battu en brèche le sacro-saint principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, entre notamment, l'exécutif et le judiciaire. D'autres intervenants avaient aussi exhumé les rivalités qui existent entre les deux unités spéciales. D'une part le Raid, relevant de la police, et de l'autre, le Gign, dépendant de la gendarmerie, qui sans l'afficher s'opposent une concurrence farouche.

François Bayrou, autre concurrent du président sortant, avait dit haut et fort, dès le dénouement de cette affaire que : «la république avait des questions à se poser». Le thème de la sécurité quoique récurrent à travers tous les discours de la campagne électorale, a depuis l'affaire Merah, envahi totalement la scène des joutes oratoires de tous les candidats. D'ailleurs et pour l'histoire, dès sa naissance le plan vigipirate, n'avait pas fait l'unanimité. Le chercheur en sciences sociales, Mathieu Rigouste, dans un livre paru en 2009, intitulé : «l'ennemi intérieur» qui se proposait de dénoncer les substrats idéologiques des réponses politiques aux violences urbaines, que connaissait et connaît encore la France. Note dans un passage du bouquin, ce qui, en fait constitue l'idée nodale de sa thèse : l'évolution de la notion de défense vers celle de sécurité. Et qu'en conséquences, c'est sur ce concept nouveau, qu'avaient été votées les lois anti-gang et que s'était créé en 1978 le plan Vigipirate. «La translation, défense, sécurité affirme-t-il, s'était opérée en prenant appui sur la désignation d'un ennemi intérieur furtif, traversant l'ensemble du corps social, le délinquant, le casseur, le gauchiste. Il s'agirait selon les concepteurs de l'anti-gang à la française d'appliquer au maintien de l'ordre les méthodes de l'anti-terrorisme, à l'époque encore considérées comme appartenant au domaine de la guerre. Ainsi s'était amorcée une conception du quadrillage urbain métropolitain à partir de l'apport technologique de l'antiterrorisme en guerre coloniale.

Le plan Vigipirate est conçu en 1978 pour faire face à une menace globale véhiculée par une internationale terroriste, incarnée par des faux réfugiés politiques et des clandestins. «Il signale l'institution, dès la fin des années 1970, de l'amalgame du migrant et du terroriste. De surcroît, dit-il, ces lois renvoient très précisément aux dispositifs anti-gang conçus par Frank Kitson pour l'Irlande du Nord à partir d'une rénovation des dispositifs algériens de Roger Trinquier.» Ainsi la boucle est bouclée, et on ne se défait pas facilement de ses vieux démons. Ce sinistre personnage, qu'est Trinquier, est connu pour les massacres de centaines d'algériens, qu'il commit, comme adjoint de Massu durant la bataille d'Alger. Ensuite, comme commandant du 3ème régiment parachutiste de combat à la frontière algéro-tunisienne, et également comme créateur du fameux, dispositif de protection urbaine, DPU. En réalité un outil imaginé et mis en application par les services de l'action psychologique de l'armée colonialiste française. Ce dispositif avait permis de contrôler la population de la Casbah, lors de la bataille d'Alger et de quadriller la ville arabe comme on disait alors, quartier par quartier, immeuble par immeuble et de pénétrer les réseaux du FLN de la zone autonome d'Alger. Alors serait-ce une fatalité, que quasiment tout ce qui se passe en France, recèle, une relation directe sinon indirecte avec l'Algérie ? L'histoire ne se réécrit pas. Mais par moment l'histoire se répète, quand chacun des protagonistes, emploie à son profit ce qu'il en retire. Ainsi la bataille d'Alger, et ce dispositif de protection urbaine, conçu pour contrer l'action des fidaïnes et des moudjahidines, dont les géniteurs sont Massu, Bigeard, Godard, Trinquier et Ausaresse, serait l'ancêtre du plan vigipirate. En ce mois de mars, mois des martyrs en Algérie, puisque Ben M'hidi, Benboulaïd, Si-El Haoues, Amirouche, M'hamed Bouguerra, Lotfi et tant d'autres chouhadas, connus ou anonymes, y sont tombés au champ d'honneur. Et si à travers ces quelques lignes, leurs noms suivent ceux de leurs bourreaux, les hommes ne se valent pas, et de loin. Des agresseurs et les agressés, des offenseurs et les offensés. Des spoliateurs et les spoliés, des meurtriers, des criminels et leurs victimes.

Ausaresse n'avait-il pas revendiqué dans son livre paru en 2001, sans le moindre remords, les tortures, les exécutions sommaires de suspects parfois maquillées en suicides, et les massacres de civils, auxquels il avait participé ou qu'il avait ordonnés. Il affirme à ce propos, ceci : « tout ce que j'ai fait, était conforme à la déontologie de tout militaire dans les conditions de guerre». Ce sinistre personnage reconnaît avoir assassiné Larbi Ben M'hidi en mars 1957, et avoir été le supplicié de l'avocat Ali Boumendjel. Donc la réponse cruellement tueuse, criminelle et assassine, dans cette dialectique macabre, au: «donnez-nous vos avions et nous vous donnerons nos couffins». Comme au: «Mettez la Révolution dans la rue et vous la verrez reprise et portée par tout le peuple».       De Ben M'hidi avait inspiré le plan vigipirate. En tous les cas, si la révolution algérienne, de même que la bataille d'Alger, peuvent et pouvaient servir de genèse et de matrice, à des dispositifs adéquats pour produire plus de paix et plus de sécurité dans le monde, qu'il en soit fait. Ainsi nous ne serions pas les seuls à en profiter de notre révolution. Et là réside la dimension humaine et humaniste de la révolution algérienne. Et pour revenir à mon interrogation de présentation, si ce dispositif sécuritaire français avait été baptisé à sa naissance en 1978, vigipirate, empruntant une sémantique qui renvoie à la vigie et au pirate, la réponse est à recherchée dans les référentiels culturels de ses initiateurs. Toute autre chose exposée dans cette chronique, l'est dans le seul but, de voir autrement l'actualité, comme chaque jeudi de la semaine, au Quotidien d'Oran.