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Qui limoge qui ?

par Kamel Daoud

Sonatrah a un nouveau PDG. 24 heures après que le premier ait démenti son limogeage. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que l'un des plus hauts PDG de l'Algérie dit que ce sont des rumeurs avant qu'il en soit une lui-même et ne se transforme en trace de pas qui remontent vers le nuage. A l'évidence, certains ne savent pas qui commande dans ce pays et quel téléphone il faut utiliser ou écouter pour leurs prévisions météo. Le plus important ce n'est cependant pas les limogés, mais les ignorés. Nous, les gens assis autour du puits de pétrole en écoutant l'imam du coin : on ne nous dit pas pourquoi, on ne nous dit pas comment, on ne nous dit pas qui tue qui. Si on élève la voix, on nous frappe ; si on ne dit rien, on se fait voler jusqu'aux molaires. L'info n'est pas un droit du peuple. Au peuple, la propagande. On ne nous dit rien sur les grandes décisions, mais on nous convoque tous pour applaudir un nouveau robinet inauguré par un ministre. La raison ? Evidente : avec Sonatrach, le régime gère son argent, sa fortune, son bien. Cela n'a rien à voir avec nous, nous n'avons aucun droit de regard ou d'écoute sur le plus gros butin de l'indépendance. Le pétrole a été nationalisé, il y a quarante ans mais nous n'avions pas compris : nationalisé ne veut pas dire propriété de la nation, mais propriété des propriétaires de la nation.

 Le régime a beau se maquiller durant ce printemps arabe, il reste ce qu'il est : ridé, méprisant, avare, méchant, soupçonneux et manipulateur. Il peut discuter avec vous de la Constitution (elle ne se mange pas) mais jamais des comptes de Sonatrach ou de l'armée. Là, il s'agit de souveraineté, c'est-à-dire de propriété, c'est-à-dire du sérieux, du vrai collège.

 Hier, les Egyptiens se sont levés contre une armée qui a chassé Moubarak pour prendre sa place et qui ne veut pas soumettre ses comptes et son budget au futur parlement. Nous, nous en sommes encore loin : nous n'avons même pas le droit d'obtenir un PV de délibération d'APC (instruction Ouyahia), alors ne parlons même pas du baril ou du galon.

 Du point de vue de l'espace mental, nous sommes encore traités par le schéma maquis/gens de la plaine. Le maquis est clandestin, son argent aussi, ses hommes, ses façons, ses décisions, ses mutations et sa bleuite. Le palais présidentiel est visible depuis 1962, mais le régime a gardé ses habitudes clandestines. Nous le subissons comme une force occulte et une occultation. Nous en décodons la rumeur, le bruit de frein ou la menace et le coup de feu et la purge et la nomination. Mais pas plus. Mais pas davantage. Il y a quelques années, lorsqu'il a été interrogé sur ses futurs possibles procès, l'ex-ministre Khellil a eu un sourire large qui allait de 62 et jusqu'à la prochaine indépendance. A cette époque, ce sourire a été ressenti comme une insulte par le chroniqueur. Il faut changer d'avis : cet ex-ministre a eu au moins la politesse esthétique de sourire. Aujourd'hui, on n'a même pas droit à une grimace.

 Le régime a limogé l'un de ses employés et n'a pas à rendre des comptes. Il en est convaincu.